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Dans le mois d'octobre 812, Abou-l'Abbas-Abd-Allah arriva dans sa capitale. Son frère, Ziadet-Allah, s'était porté au devant de lui pour le saluer comme souverain, mais il fut reçu avec la plus grande dureté. Pour la première fois, le fils d'un gouverneur de l'Ifrikiya succédait à son père sans l'intervention du khalifat1.

Haroun-er-Rachid était mort en 809, laissant le trône à son fils El-Mamoun. Le nouveau khalife se borna à ratifier l'élévation du vice-roi de Kaïrouan.

CONQUÊTES D'EDRIS II.

Dans le Magreb, Edris II continuait à affermir son trône. Voulant sans doute faire oublier aux Aoureba l'ingratitude qu'il avait montrée à leur chef, il leur confia des commandements importants; puis, s'enfonçant dans les montagnes du sud-ouest, il attaqua les tribus masmoudiennes, les vainquit et soumit l'Atlas à son autorité. Après s'être avancé en vainqueur jusqu'à Nefis, près de la montagne de Tine-Mellal dans le Sous, il rentra à Fès (812). C'est sans doute vers cette époque qu'Edris commença à combattre le kharedjisme, dont il décréta l'abolition dans ses états; mais ce schisme avait pénétré trop profondément la nation berbère, pour pouvoir être supprimé d'un trait de plume; aussi ne devait-il disparaître de l'Afrique, où il avait déjà fait couler tant de sang, qu'après de longues et nouvelles convulsions. Quelque temps après Edris marcha sur Tlemcen, qui s'était affranchie de son autorité. Il y entra en vainqueur et reçut l'hommage des Beni-Ifrene et Mag'raoua qui y dominaient. Il séjourna quelque temps à Tlemcen et de la dirigea quelques expéditions heureuses contre les peuplades zenatienes et autres berbères. Ses troupes s'avancèrent ainsi jusqu'au Chelif. Cependant, il ne paraît pas qu'il eût osé se mesurer contre les Rostemides de Tiharet. Selon Ibn-Khaldoun, il passa à Tlemcen trois années, pendant lesquelles il s'appliqua à embellir cette ville et à orner la mosquée construite par son père. En partant, il laissa le commandement de la province, avec suprématie sur les tribus des Beni-Ifrene et Mag`raoua, à son cousin Mohammed, fils de Soleïman, qu'Edris I avait préposé au commandement de Tlemcen.

Rentré à Fès, il recueillit huit mille Musulmans d'Espagne, expulsés de Cordoue par El-Hakem à la suite de la révolte dite du faubourg (Ribad'), et les établit dans sa capitale, où ils formèrent le quartier des Andalous. Les émigrés de Cordoue étaient presque

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 243, 277. En-Nouéïri, p. 403. 2. Soit dans la même année, soit en 814, les auteurs n'étant cord sur cette date.

pas d'ac

tous des gens d'origine celto-romaine, qui avaient été contraints d'embrasser l'islamisme après la conquête de l'Espagne par les Arabes. L'arrivée de cette population très civilisée fut une bonne fortune pour la nouvelle capitale, et contribua à la faire briller d'une réelle splendeur dans les arts, les lettres et les sciences 1.

MORT DE ABD-ALLAH. SON FRERE ZIADET-ALLAH LE REMPLACE. A Kairouan, Aboul-Abbas-Abd-Allah, fils d'Ibrahim, loin. d'imiter la prudence de son père et de chercher à arrêter les progrès du prince de Fès, n'avait réussi qu'à indisposer les esprits contre lui. Violent et cruel, même envers les membres de sa famille, sacrifiant tout à la milice, accablant le peuple de charges, il combla la mesure des fautes en frappant la culture faite par chaque charrue d'une taxe uniforme de huit dinars (pièces d'or). Cet impôt, énorme pour l'époque, remplaça la dîme (achour), qui précédemment se payait en nature et était proportionnée à l'abondance de la récolte. De toutes parts s'élevèrent des réclamations; mais le prince resta sourd aux prières et le peuple continua à gémir sous son oppression.

Enfin, par un bonheur inespéré, Abd-Allah mourut presque subitement, d'une affection charbonneuse (juin 817). Ce prince, <«< le plus bel homme de son temps », avait exercé le pouvoir pendant un peu plus de cinq ans.

succéda à son frère, et,

Abou - Mohammed - Ziadet - Allah employant des procédés de gouvernement tout différents, s'attacha à réduire les prérogatives de la milice et à maltraiter et abaisser de toutes les façons les miliciens 2.

ESPAGNE : REVOLTE DU FAUBOURG. MORT D'EL-HAKEM. En Espagne, le khalife El-Hakem, avait entrepris, avec des chances diverses, plusieurs campagnes au delà des Pyrénées. L'alliance de ses oncles avec Charlemagne et Alphonse II, roi des Asturies, l'avait contraint à déployer toutes ses forces contre la coalition. Quelques-unes de ses razias furent couronnées de succès. Alphonse, de son côté, poussa une pointe jusqu'à Lisbonne et mit cette ville au pillage. Pour rendre compte à son allié Charlemagne du succès de cette expédition, il lui envoya « sept Musulmans de distinction, >> avec leurs armes et leurs mulets3».

1. Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, t. II, p. 70 et suiv. El-Bekri, Idricides. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 560, t. III, p. 229.

2. En-Nouéïri, p. 404, 405.

3. Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, p. 149.

Après avoir conclu un traité de paix avec les princes chrétiens, El-Hakem se renferma dans Cordoue et y vécut de la vie des despotes musulmans de cette époque, jusqu'à la grande révolte dite du faubourg (Ribad'), qui mit sa vie en danger et dont il triompha par son indomptable énergie. Sa victoire fut suivie de trois jours de massacres, et quand ses soldats furent las de tuer, sa vengeance n'était pas encore satisfaite; il ordonna aux survivants de quitter l'Espagne sans délai. On vit alors cette malheureuse population, décimée, ruinée, se diriger à pied, par groupes, vers les ports du littoral. Quinze mille Cordouans firent voile. pour l'Egypte; ils abordèrent à Alexandrie et s'y maintinrent, avec l'appui d'une tribu arabe, jusqu'en 826. Le khalife El-Mamoun les ayant alors forcés à capituler, leur chef les conduisit à la conquête de l'île de Crète, qu'ils arrachèrent aux Byzantins et où ils fondèrent une république indépendante. Les autres réfugiés, au nombre de huit mille, passèrent au Magreb et furent bien accueillis par Edris II, qui les établit, ainsi que nous l'avons vu, dans sa nouvelle capitale. A Fès, ils furent groupés dans le quartier des Andalous'. El-Hakem mourut le 22 mai 822 et fut remplacé par son fils Abd-er-Rahman II.

Pendant que

LUTTES DE ZIADET-ALLAH CONTRE LES RÉVOLTES. l'Espagne était le théâtre de ces événements, l'ar'lebite ZiadetAllah se livrait à Kaïrouan à tous les caprices de son caractère bizarre et cruel. Adonné au vin, comme le furent presque tous les princes de sa famille, il prescrivait dans ses moments d'ivresse les mesures les plus sanguinaires, qui retombaient presque toujours sur la milice. Dès le début de son règne il avait failli rompre, sans raison plausible, avec le khalife El-Mamoun et avait même poussé l'insolence jusqu'à adresser à son suzerain des dinars edrisides, pour lui faire entendre qu'il était disposé à se rallier à cette dynastie.

De tels procédés de gouvernement ne pouvaient aboutir qu'à des révoltes. En 822, une première sédition fut assez facilement apaisée; l'année suivante, le commandant de Kasreïne, place forte du Sud, nommé Omar-ben-Moaouïa, de la tribu de Kaïs, leva de nouveau l'étendard de la révolte. Ayant été fait prisonnier après une courte campagne, il fut mis à mort ainsi que ses deux fils par

1. Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, t. II, p. 76 et suiv. IbnKhaldoun, t. II, p. 562. El-Bekri, Idricides. Nous n'indiquons aucune date pour la révolte du faubourg, en raison de l'incertitude à laquelle les chroniques donnent lieu à ce sujet. Il faut la placer entre 814 et 817. 2. Au sud-ouest de Sebaïtla.

T. I.

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ordre du vice-roi: on fit endurer à ces malheureux les plus atroces souffrances. Cette cruauté envers un personnage des plus respectés par la colonie arabe excita la colère de la milice.

Mançour-ben-Nacer-et-Tonbodi, gouverneur de Tripoli, ayant laissé publiquement éclater son indignation et manifesté devant ses troupes l'intention de se révolter, fut bientôt arrêté et conduit à Kaïrouan. Mis en liberté, grâce à l'intercession de son ami R'alboun, cousin de Ziadet-Allah, Mansour se réfugia dans son château de Tonboda, non loin de Tunis, et une fois à l'abri de ses murailles, il renoua les intrigues qu'il avait entretenues avec les officiers de la milice et ne cessa de les pousser à la révolte, en leur retraçant tous leurs griefs contre le prince. Mais Ziadet-Allah, ayant encore une fois mis la main sur la trame, dépêcha vers Tunis son général Mohammed ben-Hamza, à la tête de cinq cents cavaliers, avec l'ordre d'arrêter inopinément Mansour.

De Tunis, le général envoya au rebelle une députation conduite par le cadi de la ville pour l'engager à venir se remettre entre ses mains. Mansour reçut la députation avec honneur, se montra disposé à obéir aux ordres du vice-roi et, en attendant, fit porter aux soldats de Mohammed-ben-Hamza des vivres et du vin. Lorsque la nuit fut venue, il garrotta le cadi et ses compagnons, s'empara de leurs chevaux, et, réunissant tous ses cavaliers, se porta rapidement sur Tunis. Les soldats de Mohammed étaient occupés à faire bonne chère avec les vivres de Mansour; plusieurs même étaient déjà plongés dans l'ivresse. Attaqués à l'improviste par les rebelles, ils furent bientôt massacrés ou dispersés.

A l'annonce de ces événements, tous les miliciens se trouvant dans cette région accoururent se ranger sous la bannière de Mansour. Le rebelle fit mettre à mort le gouverneur de Tunis et s'installa dans cette ville. Presque aussitôt Ziadet-Allah envoya contre les rebelles l'élite de ses troupes, sous la conduite de son cousin R'alboun, le chef le plus aimé des miliciens. A leur départ, le vice-roi leur adressa des menaces humiliantes et intempestives, annonçant que quiconque oserait fuir serait puni de mort. R'alboun eut beaucoup de peine à calmer l'irritation de ses hommes; mais les paroles imprudentes du maître avaient produit leur effet et il ne put empêcher les miliciens d'entrer secrètement en relation avec le rebelle. Lorsque, dans le mois de juillet 824, les deux troupes furent en présence, près de la Sebkha de Tunis, R'alboun vit ses soldats prendre la fuite et se trouva bientôt seul avec ses officiers. Ceux-ci étaient restés fidèles, mais on ne put les décider à rentrer à Kaïrouan, car ils connaissaient trop bien la violence de ZiadetAllah pour aller s'exposer à ses coups. Ils se retirèrent dans

diverses localités, semant l'anarchie et l'indécision, tandis que l'armée d'El-Mansour recevait sans cesse des transfuges.

Ziadet-Allah, mis au courant de la gravité de la situation, envoya partout des courriers pour annoncer qu'il ne songeait pas à punir les miliciens: mais il était trop tard; l'impulsion était donnée et la défection de la milice devint générale. Retranché dans son palais d'El-Abbassia, tandis que les rebelles marchaient sur Kaïrouan, le gouverneur put encore former une troupe nombreuse, composée de sa garde nègre et des gens de sa maison; il en confia le commandement à son neveu Mohammed et la lança contre l'armée d'El-Mansour. Mais la fortune le trahit encore: son armée fut anéantie, après avoir perdu ses principaux chefs. Cette victoire fit entrer dans le parti de Mansour les habitants de Kaïrouan, qui lui ouvrirent leur ville et lui envoyèrent des secours de toute sorte.

Ne pouvant plus compter que sur lui seul, Ziadet-Allah réunit ses derniers soldats fidèles et, s'étant mis bravement à leur tête, vint prendre position entre son château et Kaïrouan. Durant une quarantaine de jours, ce ne fut qu'une série de combats qui se terminèrent, en général, à l'avantage du vice-roi. L'armée de Mansour se débanda après une dernière défaite, et Ziadet-Allah put rentrer en possession de Kaïrouan. Contre son habitude, il accorda l'amnistie aux habitants et se contenta de raser les fortifications de la ville (septembre-octobre 824).

El-Mansour avait gagné le sud; il rallia ses partisans et infligea, auprès de Sebiba, une nouvelle défaite aux troupes du gouverneur. La route du nord lui étant ouverte, il se rapprocha de Kaïrouan afin de faciliter la sortie de cette ville aux familles des miliciens révoltés; puis il retourna à Tunis et s'y installa en maître (825). Ziadet-Allah se trouvait dans une position très critique, car tout son royaume était en insurrection; fort abattu, il se disposait même à capituler, lorsque la désunion éclata entre les rebelles et vint à son aide.

Ameur-ben-Nafa, le meilleur officier de Mansour, ayant rompu avec lui, accourut l'assiéger dans son château de Tonboda. Mansour n'avait pas le moyen de résister; il prit la fuite vers ElOrbos; mais, ayant été rejoint par ses ennemis, il fut forcé de se rendre. Ameur, au mépris de sa promesse de lui laisser la vie sauve et de lui faciliter le moyen de se retirer en Orient, lui fit trancher la tête. En même temps, une troupe de cavalerie envoyée dans le sud par Ziadet-Allah obtenait, avec l'appui des populations, quelques succès contre les rebelles et rétablissait son autorité dans le pays de Kastiliya.

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