Images de page
PDF
ePub

D'EN-NASR-BEN-EL-HABIB

ET D'EL-FADEL-BEN

GOUVERNEMENTS ROUн. En Ifrikiya, le vieux gouverneur Rouh-ben-Hatem était mort (791), et avait désigné pour lui succéder son fils Kabiça. Mais Haroun-er-Rachid n'entendait pas que la fonction de gouverneur se transmit par hérédité dans son empire; prévenu de la fin prochaine de Rouh, il envoya, pour le remplacer en Ifrikiya, Nasrben-el-Habib. Cet officier arriva à Kaïrouan au moment où Kabiça venait de se faire reconnaître comme émir; ayant montré son diplôme, il reçut le serment de la population et des troupes. Il exerça, pendant deux ans, le pouvoir avec équité; mais, en 793, El-Fadel, autre fils de Rouh, obtint du khalife sa nomination au poste qui avait été occupé par son père, et vint prendre possession du commandement à Kaïrouan (mai 793).

Peu de temps après, la milice syrienne en garnison à Tunis se révolta contre le gouverneur de cette ville, El-Moréïra-ben-Bachir, neveu d'El-Fadel, dont la conduite imprudente et les exactions avaient soulevé l'opinion publique. Le chef de cette sédition, AbdAllah-ben-Djaroud, écrivit à El-Fadel pour faire connaître les griefs de la population, et aussitôt un autre commandant fut envoyé à Tunis; mais les gens qui s'étaient portés à sa rencontre le mirent à mort et cette sédition se changea en révolte ouverte. Les commandants des places voisines, gagnés par les promesses ou par l'argent, firent cause commune avec les rebelles. El-Fadel, ayant marché avec ses troupes contre Abd-Allah, fut défait par celui-ci et ne put l'empêcher de s'emparer de Kaïrouan. Ayant été lui-même fait prisonnier, il fut massacré par les soldats, malgré l'opposition d'Ibn-el-Djaroud (794).

ANARCHIE EN IFRIKIYA. Cependant le commandant d'ElOrbos, nommé Chemdoun, se déclara hautement contre les rebelles, fit alliance avec plusieurs autres chefs, parmi lesquels son collègue de Mila, et recueillit Moreira et tous les adhérents de la cause légitime. Ayant marché contre l'usurpateur, il éprouva une première défaite; mais, bientôt, El-Ala-ben-Saïd, gouverneur du Zab, vint le rejoindre avec de nouveaux contingents, et tous marchèrent sur Kaïrouan.

Sur ces entrefaites, Ibn-Djaroud, ayant appris que le khalife avait nommé comme gouverneur de l'Ifrikiya Hertema-ben-Aïan, et qu'en attendant son arrivée, un officier du nom de Yaktin allait venir avec la mission de pacifier la milice, se porta au devant de l'envoyé pour tâcher de transiger avec lui ou de détourner le coup qui le menaçait. En vain, Yaktin pressa le rebelle de déposer les armes Ibn-Djaroud refusa sous le prétexte que, s'il abandon

nait Kaïrouan, cette ville serait livrée au pillage par les Berbères au service de ses ennemis. Ne pouvant rien obtenir de lui, Yaktin s'appliqua à détacher de sa cause un certain nombre d'adhérents.

Peu après, Yahia-ben-Moussa, lieutenant de Hertema, se mit en marche vers l'ouest à la tête d'un corps d'armée et s'empara de Tripoli. Quant au gouverneur, il était resté en observation à Barka. En même temps, El-Ala, gouverneur du Zab, revint, avec ses Berbères, mettre le siège devant Kairouan. Ibn-Djaroud, se voyant perdu, écrivit en hâte à Yahïa pour lui offrir sa soumission; puis il sortit de la capitale, où il avait commandé pendant sept mois, et vint se remettre entre ses mains. Aussitôt El-Ala fit son entrée à Kaïrouan et massacra tous les partisans du chef révolté. Yahia-ben-Moussa arriva à con tour (mars-avril 795 et obtint, non sans peine, qu'El-Ala renvoyât ses troupes, dont les excès allaient croissant. Le chef qui se prétendait le sauveur de l'autorité du khalife se retira à Tripoli et, de là, écrivit à Hertema pour réclamer le prix de ses services. Il est à supposer que sa puissance était fort à craindre, car le khalife Er-Rachid lui écrivit lui-même, en le félicitant, et en lui envoyant une forte gratification. On put ainsi le décider à partir pour l'Orient1.

[ocr errors]

Dans le mois de

GOUVERNEMENT DE HERTEMA-BEN-ÂÏAN. juin 795, Hertema fit son entrée à Kaïrouan. Il proclama une amnistie générale et s'occupa de mettre en état de défense les fortifications de plusieurs villes de la côte, notamment Monastir et Tripoli. Mais l'esprit de révolte agitait partout les populations indigènes et le gouverneur ne pouvait compter sur sa milice, pour laquelle l'indiscipline était devenue une habitude. Se sentant trop faible et trop isolé pour mener à bien la rude tâche qu'on lui avait confiée, il sollicita lui-même du khalife son rappel. Haroun-erRachid désigna alors son propre frère de lait Mohammed-benMokatel pour occuper le poste important de gouverneur de l'Ifrikiya. L'on s'explique difficilement pourquoi le choix du khalife tomba sur un homme aussi incapable, dans un moment où la situation réclamait un esprit particulièrement habile et expérimenté.

[ocr errors]

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-BEN-MOKATEL. Arrivé à Kaïrouan dans le mois de ramadan 181 (octobre 797), le gouverneur donna aussitôt la mesure de son incapacité, ne comprenant rien à la situation, et se livrant à toutes les fantaisies d'un despote grisé par son pouvoir. Un an s'était à peine écoulé depuis son arrivée,

1. En-Nouéiri, p. 389 et suiv.

que les miliciens syriens et khoraçanites se mettaient en état de révolte et plaçaient à leur tête Morra-ben-Makhled. Un corps de troupes envoyé contre les rebelles les réduisit au silence; leur chef fut mis à mort.

Peu de temps après, Temmam-ben-Temim, commandant de Tunis, releva l'étendard de la révolte et, ayant réuni tous les mécontents, marcha sur Kaïrouan (octobre 799).

Ibn-Mokatel sortit à sa rencontre et lui livra bataille à Moniatel-Kheïl; mais il fut complètement défait et n'obtint la vie sauve qu'en promettant de quitter la place. Il se réfugia en effet avec sa famille à Tripoli, tandis que Temmam faisait son entrée à Kaïrouan.

A ce

IBRAHIM-ben-EL-AR'LEB APAISE LA RÉVOLTE DE LA MILICE. moment, le commandement du Zab était confié à un fils de l'ancien gouverneur El-Ar'leb, nommé Ibrahim, qui avait acquis une grande autorité dans cette situation. Dès qu'il eut appris les événements d'Ifrikiya, Ibrahim se mit en marche, à la tête de ses contingents, pour combattre l'usurpateur. Mais Temmam ne l'attendit pas; il évacua la ville, et le fils d'El-Ar'leb, ayant pris possession de Kaïrouan, annonça en chaire qu'Ibn-Mokatel était toujours le seul gouverneur de l'Ifrikiya. Ce dernier rentra en toute hâte dans sa capitale.

Quant à Temmam, qui s'était réfugié à Tunis, il tenta de semer la désunion parmi les troupes fidèles et même d'indisposer le gouverneur contre Ibrahim; mais toutes ses manœuvres échouérent et il apprit bientôt que celui-ci marchait contre lui.

Au commencement de février 800, Ibn-el-Ar'leb infligea à Temmam une défaite qui le força à rentrer à Tunis; il se disposait à entreprendre le siège de cette ville, lorsque Temmam lui offrit sa soumission, à condition que lui et ses frères auraient la vie sauve. Cette demande lui ayant été accordée, il se rendit à discrétion et fut conduit à Kaïrouan, d'où on l'expédia en Orient comme prisonnier d'état avec les chefs les plus compromis 1.

IBRAHIM-BEN-EL-AR LEB, NOMMÉ GOUVERNEUR INDÉPENDANT, FOnde la DYNASTIE AR LÉBITE. Cependant, le khalife Haroun-er-Rachid, ayant appris les tristes exploits de son frère de lait, se convainquit de la nécessité de le remplacer en Ifrikiya. Dans l'état des choses, Ibrahim était l'homme de la situation et son choix s'imposait. Le khalife ayant consulté à ce sujet Hertema-ben-Aïan, dont il appré

1. En-Nouéiri, p. 397.

ciait fort l'expérience, obtint cette réponse : « Vous n'avez per<< sonne de plus aimé, de plus dévoué et de plus digne d'exercer <«<le pouvoir qu'Ibrahim-ben-el-Ar`leb, dont la conduite passée est << garante de l'avenir. » Ces paroles achevèrent de décider le khalife qui avait reçu d'Ibn-el-Ar'leb une lettre par laquelle il sollicitait pour lui le gouvernement de l'Ifrikiya, offrant non seulement de renoncer à la subvention de cent mille dinars fournie par le gouvernement de l'Egypte, mais encore de payer au souverain un tribut de quarante mille dinars.

Cette solution, qui allait débarrasser le khalifat d'ennuis toujours renaissants et retarder de plus d'un siècle la chute de l'autorité arabe en Afrique, permettait néanmoins de mesurer tout le terrain perdu dans le Mag reb. Dès lors, en effet, le gouvernement. central n'aurait plus à intervenir dans l'administration du pays qu'il consentait à abandonner, moyennant fermage, à des vice-rois formant une dynastie vassale, et chez lesquels le pouvoir se transmettrait par voie d'hérédité. Ainsi, cette brillante conquête qui avait coûté si cher aux Arabes s'était détachée d'eux, province par province, dans l'espace de moins d'un siècle, et il ne restait au khalifat qu'une suzeraineté presque nominale sur l'Ifrikiya.

Ibrahim apprit officieusement sa nomination; mais, lorsque le courrier porteur des brevets arriva en Afrique, Ibn-Mokatel, qui se trouvait à Tripoli, les intercepta au passage et fit parvenir à Kaïrouan une fausse lettre le maintenant au poste de gouverneur. En recevant cette missive, l'Arlebite devina la supercherie; néanmoins il céda la place et reprit avec ses troupes le chemin du Zab. Mais le khalife, à l'annonce de cette incartade de son frère de lait, entra dans une violente colère et intima à Ibn-Mokatel, qui se disposait à revenir à Kaïrouan, l'ordre formel de résigner ses fonctions entre les mains d'Ibrahim. Celui-ci revint aussitôt du Zab et, dans les premiers jours de juillet 800, il prit définitivement la direction des affaires 1.

[ocr errors]

NAISSANCE D'EDRIS II. Pendant que l'Ifrikiya était le théâtre de ces événements importants, la dynastie edricide, que le khalife Haroun avait cru écraser dans son germe, renaissait pour ainsi dire de ses cendres.

Nous avons vu qu'Edris, en mourant, avait laissé une de ses concubines, nommée Kenza, enceinte. Après les funérailles du prince, le fidèle Rached réunit les principaux chefs des tribus

1. En-Nouéiri, p. 395 et suiv.

berbères et leur dit : « L'imam Edris est mort sans enfants, mais Kenza, sa femme, est enceinte de sept mois, et, si vous le voulez <«< bien, nous attendrons jusqu'au jour de son accouchement pour prendre un parti: s'il naît un garçon, nous l'élèverons, et quand il sera homme, nous le proclamerons souverain; car, descen<< dant du prophète de Dieu, il apportera avec lui la bénédiction « de la famille sacrée 1. »

[ocr errors]

Cette proposition fut acceptée avec acclamation par les Berbères, et en septembre 793, Kenza donna le jour à un enfant mâle. << d'une ressemblance frappante avec son père ». Rached le présenta aux cheiks indigènes qui s'écrièrent en le voyant : « C'est Edris lui-même, l'imam n'a pas cessé de vivre! »

On laissa à Rached le soin de l'élever et de gouverner en son nom, jusqu'à sa majorité, et les chroniques rapportent que ce tuteur ne négligea rien pour donner à Edris II une brillante instruction et faire de lui un redoutable guerrier.

L'ESPAGNE SOUS HICHAM ET EL-HAKEM. En Espagne, le khalife oméïde Abd-er-Rahman était mort en septembre 788, après un règne de plus de trente-trois années employées presque entièrement à l'affermissement de son pouvoir. Il laissa trois fils Soleiman, Abd-Allah et Hicham. Ce dernier, bien que le plus jeune, lui succéda après une courte lutte avec son aîné Soleïman. Pour assurer sa tranquillité, il acheta à ses deux frères leur renonciation au trône et, en vertu de leur convention, ceux-ci se retirèrent au Mag'reb.

Après un règne de près de huit années, Hicham cessa de vivre et fut remplacé par son fils El-Hakem (avril 796). Soleiman et Abd-Allah, ses oncles, ne tardèrent pas à quitter le Magreb en amenant une armée de Berbères pour lui disputer le pouvoir. Après deux années de luttes, Soleïman ayant été tué, la victoire resta définitivement à El-Hakem (800).

Pendant le règne de Hicham, des expéditions heureuses avaient été faites par les Musulmans en Galice, et les chrétiens avaient été humiliés par des défaites qui leur avaient arraché une partie de leurs conquêtes. Plusieurs souverains avaient succédé à Alphonse Ier. A la fin du vine siècle, Alphonse II, dit le Chaste, roi des Asturies, ne put empêcher les Musulmans de pénétrer jusque dans les montagnes de son royaume.

1. Kartas, p. 23. Ibn-Khaldoun, Berbères, p. 561. El-Bekri, Idricides. 2. Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, p. 101-139 et suiv. El Marrakchi (Dozy), p. 17 et suiv.

« PrécédentContinuer »