Images de page
PDF
ePub

Cependant les Romains, qui avaient cru leurs ennemis écrasés, ne virent pas sans la plus grande jalousie les progrès des Karthaginois en Espagne. Ils jugèrent bientôt qu'il était de la dernière importance de les arrêter, et, à cet effet, ils conclurent un traité d'alliance avec deux colonies grecques d'Espagne, Sagonte1 et Amporia (Ampurias). Après s'être assuré ces points d'appui, ils forcèrent Asdrubal à signer un traité par lequel il s'obligeait à respecter ces colonies et à ne pas franchir l'Ebre. Malgré l'engagement auquel Asdrubal avait été forcé de souscrire, la puissance punique avait continué à s'étendre dans la péninsule; mais le poignard d'un esclave gaulois vint arrêter l'exécution des projets de ce grand homme (220). Le jeune Hannibal, qui s'était fait remarquer à l'armée par ses brillantes et solides qualités et qui avait en outre hérité de la popularité du nom de son père, fut appelé, par le vœu de tous les officiers, à remplacer son beau-frère Asdrubal, et, bien qu'il ne fût âgé que de vingt-neuf ans, reçut le commandement des possessions et de l'armée d'Espagne. Le Sénat de Karthage se vit forcé de ratifier ce choix, malgré l'opposition de la famille de Hannon opposée à celle des Barcides. Hannon voyait dans cette nomination la certitude de la reprise de la guerre avec les Romains. L'événement n'allait pas tarder à lui donner raison.

1. Actuellement Murviedes dans la province de Valence. 2. Vingt-six selon Cliton (Fasti).

CHAPITRE III

DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE

220-201

Hannibal

Hannibal commence la guerre d'Espagne. Prise de Sagonte. marche sur l'Italie. - Combat du Tessin; batailles de la Trébie et de Trasimène. Hannibal au centre et dans le midi de l'Italie; bataille de Cannes. La guerre en Sicile. Les Berbères prennent part à la lutte. -Syphax et Massinissa. - Guerre d'Espagne. Campagne de Hannibal en Italie. Succès des Romains en Espagne et en Italie; bataille du Métaure. Evénements d'Afrique; rivalité de Syphax et de Massinissa. Massinissa, roi de Numidie. Massinissa est vaincu par Syphax. - Evėnements d'Italie; l'invasion de l'Afrique est résolue. - Campagne de Scipion en Afrique. Syphax est fait prisonnier par Massinissa. Bataille Fin de la deuxième guerre punique; traité avec Rome.

[ocr errors]

de Zama.

HANNIBAL COMMENCE LA GUERRE D'ESPAGNE. PRISE DE SAGONTE. A peine Hannibal fut-il revêtu du pouvoir qu'il se prépara à la guerre contre les Romains. A cet effet, il vint en Afrique faire des levées et réunit une armée considérable formée presque en entier de Berbères: Numides, Maures, Libyens et même Gétules et Ethiopiens 1, tous attirés par l'espoir du butin. Ayant fait passer ses mercenaires en Espagne, il commença le siège de Sagonte, malgré l'opposition des Romains; pendant huit mois, les assiégés se défendirent avec un courage indomptable, mais, abandonnés à eux-mêmes, écrasés par le grand nombre de leurs ennemis, ils succombèrent en s'ensevelissant sous les ruines de leur cité que les derniers survivants incendièrent eux-mêmes (219). Dès lors, Rome se disposa à la lutte; néanmoins, une nouvelle ambassade fut envoyée à Karthage pour obtenir réparation: tentative inutile dans un moment où la victoire surexcitait l'orgueil national. La guerre, proposée par Fabius pour trancher le différend, fut acceptée avec acclamation par les Karthaginois. Les Romains, croyant avoir facilement raison de leurs ennemis, chargèrent le consul Sempronius de se rendre en Sicile pour y préparer une armée destinée à envahir l'Afrique; mais c'est sur un autre théâtre que la guerre allait éclater.

1. Tite-Live, XXII.

HANNIBAL MARCHE SUR L'ITALIE. Le but de Hannibal était atteint la guerre allait recommencer, et il ne lui restait qu'à appliquer un plan de campagne depuis longtemps préparé par son père et par Asdrubal. Il ne s'agissait rien moins que de l'envahissement de l'Italie par la voie de terre; la route avait été soigneusement étudiée par des émissaires, et les Barcides avaient eu soin de nouer des relations d'amitié avec les peuplades dont on devait traverser le territoire, et de faire briller à leurs yeux l'or de Karthage. Ce ne fut donc pas une inspiration soudaine, mais un plan parfaitement mûri que Hannibal mit à exécution. Il commença par envoyer en Afrique une vingtaine de mille hommes, dont la plus grande partie fut chargée de garder le détroit pour assurer les communications, le reste allant coopérer à la défense de Karthage; il laissa en Espagne douze mille fantassins, deux mille cinq cents cavaliers, une trentaine d'éléphants, le tout sous le commandement de son frère Asdrubal. La flotte reçut la mission de croiser dans le détroit. Des otages espagnols furent gardés en Afrique, tandis que des Libyens des meilleures familles étaient répartis en Espagne ou emmenés à l'armée. En même temps, on préparait à Karthage une flotte de guerre destinée à attaquer les côtes d'Italie et de Sicile.

Au printemps de l'année 218, Hannibal quitta Karthagène à la tête d'une armée d'une centaine de mille hommes, et se dirigea vers le nord. Dans sa marche, il se débarrassa des éléments faibles et douteux, culbuta les peuplades indigènes qui voulurent lui résister, laissa son frère Magon entre l'Ebre et les Pyrénées et, ayant franchi cette chaîne de montagnes, entra en Gaule avec cinquante mille fantassins et neuf mille cavaliers, tous soldats éprouvés, les deux tiers berbères; à sa suite marchaient trente-sept éléphants. L'inertie inexplicable des Romains semblait laisser le champ libre à l'audacieux Karthaginois.

Dans sa marche à travers la Gaule, Hannibal rencontra des populations diverses dont les unes se joignirent à lui comme alliées ; il gagna les autres par ses présents, et passa sur le corps de celles qui refusèrent de traiter. Il atteignit ainsi sans grandes difficultés le Rhône. Non loin de Marseille, les cavaliers numides, envoyés en éclaireurs, soutinrent un combat contre les soldats du consul P. Scipion, parti par mer pour l'Espagne, mais qui, apprenant les progrès de l'ennemi, s'était arrêté dans la cité phocéenne. En vain, les Volks essayèrent de disputer aux envahisseurs le passage du Rhône; Hannibal les trompa, franchit le fleuve et se lança hardi

1. Polybe.

ment dans les Alpes. Par quel défilé passa l'armée karthaginoise? c'est un point sur lequel on discutera sans doute pendant longtemps. Peu importe, du reste! Ce qui est certain, c'est qu'à force d'énergie, et au prix des plus grandes fatigues et des souffrances les plus pénibles, car on était au mois d'octobre, Hannibal parvint, malgré la neige et les précipices, à traverser la terrible montagne. Il déboucha dans le pays des Insubres avec vingt mille fantassins et six mille cavaliers. Il avait donc perdu en route la moitié de son armée, et c'est avec ces débris qu'il fallait conquérir l'Italie.

COMBAT DU TESSIN; BATAILLES DE LA TREBIE ET DE TRASIMÈNE. - D'immenses difficultés avaient été surmontées par Hannibal, mais celles qu'il lui restait à vaincre étaient plus grandes encore. Les Gaulois cisalpins, qui lui avaient promis leur appui, se tenaient dans l'expectative, et il ne pouvait décidément compter que sur ses soldats exténués par leur marche et démoralisés par leurs pertes. Publius Scipion arrivait sur son flanc droit. Dans ces conditions, le seul espoir de salut était dans l'énergie de la lutte, et Hannibal qui avait, comme tous les grands hommes de guerre, l'art d'enflammer les courages, sut le persuader à ses troupes. Les Romains étaient venus se placer en avant du Tessin pour garder le passage. Hannibal les fit attaquer par sa cavalerie numide. Scipion. vaincu, blessé dans le combat, se vit contraint de repasser le fleuve, d'aller se retrancher derrière la ligne du Pô et d'y attendre des secours.

Rome, renonçant pour le moment à la campagne d'Afrique, s'empressa de rappeler le consul Sempronius, qui venait de s'emparer de l'île de Malte, et lui donna l'ordre de rejoindre au plus vite son collègue Scipion. Quelque temps auparavant, la flotte karthaginoise, ayant fait une démonstration contre Lilybée, avait été écrasée par le préteur Æmilius (218).

En Espagne, où Cneius Scipion avait été envoyé par son frère, ce général réussissait à intercepter les communications des Karthaginois avec l'Italie. Hannibal ne pouvait donc compter sur aucun secours, ni par mer, ni par terre. Heureusement pour lui, son succès du Tessin avait décidé les Gaulois, Insubres et Boïens, à lui fournir leur appui; ses troupes, remises de leurs fatigues, bien approvisionnées par leurs alliés et par leurs fourrageurs, et pleines de confiance, ne demandaient qu'à combattre.

Le consul Sempronius ayant, par une marche de quarante jours, au milieu d'un pays insurgé, rejoint P. Scipion', les forces ro

1. Pour les probabilités des itinéraires suivis tant par Sempronius

maines réunies présentèrent un effectif considérable que les consuls jugèrent suffisant pour triompher de l'armée karthaginoise. Après quelques combats sans importance, Hannibal amena Sempronius à lui livrer une bataille décisive sur les bords de la Trébie. L'armée romaine était forte de quarante mille hommes, dont quatre mille cavaliers seulement. Les Karthaginois étaient moins nombreux, mais possédaient une plus forte cavalerie; de plus, ils occupaient un terrain choisi et dont Hannibal tira très habilement parti; enfin, les Romains étaient exténués par les combats des jours précédents, mouillés par la pluie et la grêle, et sans vivres.

La bataille fut néanmoins des plus acharnées, et l'infanterie romaine y montra une grande solidité; mais un mouvement tournant, opéré par un corps d'élite karthaginois commandé par Hannon, frère de Hannibal, décida de la victoire. Les Romains écrasés laissèrent trente mille hommes sur le champ de bataille; un corps de dix mille hommes, commandé par Sempronius, parvint seul à se réfugier à Plaisance en culbutant les Gaulois insurgés.

Cette brillante victoire assurait à Hannibal la conquête de toute l'Italie du nord. Elle ne lui coûtait, en outre de ses derniers éléphants, qu'un nombre relativement peu considérable de guerriers, car les principales pertes avaient été supportées par les Gaulois. Mais ces pertes furent bientôt compensées par l'arrivée d'auxiliaires accourant de toutes parts, et il ne tarda pas à se trouver à la tête d'une armée de quatre-vingt-dix mille hommes. Au printemps suivant, Hannibal laissant Plaisance, avec Sempronius sur ses derrières, se jeta résolûment dans l'Apennin, et, l'ayant traversé au prix des plus grandes fatigues, envahit l'Etrurie. Le consul Flaminius attendait, dans son camp retranché d'Arrétium, l'attaque de l'ennemi. Hannibal ne commit pas la faute d'aller l'y chercher; il le dépassa, et comme le général romain s'était mis à sa poursuite, il manœuvra assez habilement pour l'attirer dans une véritable souricière, sur les bords du lac de Trasimene. L'armée romaine, surprise par les Karthaginois cachés dans les collines entourant le lac, fut entièrement détruite; le consul y trouva la mort, ainsi que quinze mille de ses soldats; un nombre égal fut fait prisonnier1; mais Hannibal suivant une politique constante, renvoya sans rançon les confédérés italiens, ne conservant que les Romains (218).

que par Hannibal, consulter le bel ouvrage du commandant Hennebert, Hist. d'Annibal.

1. Tite-Live, 1. XXII, ch. 4. Polybe, 1. III, 85.

« PrécédentContinuer »