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situation comme désespérée, étaient allés rejoindre le camp des assiégeants.

A l'approche du gouverneur, Abou-Hatem, abandonnant le siège, se porta à sa rencontre, mais Omar, après avoir feint d'être disposé à lui offrir le combat près de Tunis, parvint à l'éviter et put opérer sa jonction avec son frère utérin Djemil-ben-Saker, sorti de Kaïrouan. Tous deux rentrèrent dans la ville et l'arrivée du gouverneur, bien qu'il n'amenât qu'un faible renfort, ranima le courage des Arabes.

MORT D'OMAR. Prise de Kaïrouan par les KHAREDJITES. AbouHâtem revint bientôt à Kaïrouan à la tête d'une nombreuse armée renforcée des contingents d'Abou-Korra qui, après avoir inutilement essayé d'enlever Tobna, était venu rejoindre les Eïbadites de la Tunisie. Les Arabes tentèrent en vain de tenir la campagne ; ils furent forcés de se réfugier derrière les murailles de Kaïrouan, dont la force et la solidité préserva la ville d'une chute immédiate. Un grand nombre de Berbères accoururent de toutes parts pour se joindre aux assiégeants et, selon les chroniques, 350,000 Karedjites se trouvèrent réunis à Kaïrouan'. Le courage des assiégés fut inébranlable, mais la famine vint augmenter les chances de leurs ennemis. Lorsque les bêtes de somme et même les animaux immondes furent dévorés, et qu'il fut reconnu que la position n'était plus tenable, Omar voulut tenter une sortie pour se procurer des vivres, mais ses soldats refusèrent de le laisser partir, prétendant qu'il se disposait à les abandonner et ne voulurent pas tenter eux-mêmes l'aventure. «Eh bien! leur dit Omar, enflammé de colère, je vous enverrai tous à l'abreuvoir de la mort ! »

Sur ces entrefaites, un messager, ayant pu pénétrer dans la ville, apporta la nouvelle que le khalife, irrité contre Omar, se préparait à envoyer un nouveau général avec des troupes fraîches, en Ifrikiya. Le gouverneur résolut aussitôt d'éviter par la mort l'amertume d'une telle injustice. Ayant pris ses dernières dispositions, il se jeta comme « un chameau enragé » sur les assiégeants, et après en avoir abattu un grand nombre, il trouva la mort qu'il cherchait (novembre 771).

Djemil-ben-Saker, auquel le commandement avait été dévolu, entra alors en pourparlers avec Abou-Hâtem et signa une capitulation par laquelle il lui livrait la ville. Les assiégés avaient la liberté de se retirer avec leurs armes et leurs insignes, et le respect des personnes et des biens était garanti. Djemil se dirigea vers l'Orient,

1. Tous ces chiffres paraissent fortement exagérés.

tandis qu'une partie de la milice prenait la route de Tobna et que quelques officiers passaient au service d'Abou-Hatem.

Pour la deuxième fois, en quelques années, les Karedjites berbères entraient en vainqueurs dans la ville sainte d'Okba. Cette fois, il n'y eut pas de pillage; Abou-Hatem se contenta de démanteler les fortifications de Kaïrouan. Du reste, il n'eut pas le loisir de jouir lontemps de ses succès.

CHAPITRE V

DERNIERS GOUVERNEURS ARABES

772-800

Yezid-ben Hatem rétablit l'autorité arabe en Ifrikiya. Gouvernement de Yezid-ben-Hatem. Les petits royaumes berbères indépendants. L'ESpagne sous le premier khalife oméïade; expédition de Charmelagne. — Intérim de Daoud-ben-Yezid; gouvernement de Rouh-ben-Hatem. Edrisben-Abd-Allah fonde à Oulili la dynastie édricide. — Conquêtes d'Edris ; sa mort. Gouvernements d'En-Nasr-ben-el-Habib et d'El-Fadel-ben-Rouh. -Anarchie en Ifrikiya. — Gouvernement de Hertema-ben-Aïan. - Gouvernement de Mohammed-ben-Mokatel. — Ibrahim-ben-el-Ar'leb apaise la révolte de la milice. Ibrahim-ben-el-Ar'leb, nommé gouverneur indépendant, fonde la dynastie ar'lebite. Naissance d'Edris II. L'Espagne sous Hicham et El-Hakem. Chronologie des gouverneurs de l'Afrique.

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YEZID-BEN-HATEM RÉTABLIT L'AUTORITÉ ARABE EN IFRIKIYA. Lorsque la nouvelle des désastres dont l'Ifrikiya avait été le théâtre parvint en Orient, elle y excita la plus violente indignation. Le khalife El-Mansour réunit aussitôt une armée considérable, formée de troupes prises dans les colonies militaires du Khorassan, de l'Irak et de Syrie, en donna le commandement à Yezid-ben-Hatem et le fit partir pour l'Occident (772).

Abou-Hatem, de son côté, réunit ses contingents et, laissant le commandement de Kaïrouan à Abd-el-Aziz-el-Moafri, il se mit en marche sur Tripoli. Mais, à peine avait-il quitté sa capitale, que les miliciens se révoltèrent, chassèrent Abd-el-Aziz et placèrent à leur tête Omar-ben-Othman. Abou-Hatem revint sur ses pas, défit les rebelles et lança à leur poursuite un de ses lieutenants nommé Djerid. Omar, avec une partie de ses miliciens, avait cherché un refuge près de Djidjel, dans le pays des Ketama. Djerid voulut l'y poursuivre, mais il tomba dans une embuscade et fut défait et tué. Quant aux autres miliciens, ils avaient rejoint l'armée arabe à

Sort.

Cependant Abou-Hatem s'était avancé jusque vers Tripoli, mais, lorsqu'il connut la force de l'armée de Yezid, il renonça à lutter contre elle en bataille rangée et alla se retrancher dans les montagnes de Nefouça. Il occupait une position très forte et ne craignit pas d'attaquer l'avant-garde des Arabes. Les Kharedjites la rejetèrent

sur le corps principal, puis ils regagnèrent leurs montagnes. Yezid marcha alors contre les rebelles avec toutes ses troupes, attaqua de front leurs retranchements et les enleva l'un après l'autre. Une dernière et sanglante bataille dans laquelle Abou-Hatem trouva la mort, consacra le triomphe des Arabes (mars 772). Les débris des contingents berbères tâchèrent de regagner leurs tribus, mais la cavalerie arabe, lancée à leur poursuite dans toutes les directions, fit un grand carnage des karedjites. Abou-Korra put cependant rentrer à Tlemcen. En même temps, Abd-er-Rahman, fils d'ElHabib, le seul officier arabe resté fidèle à la cause d'Abou-Hatem, se réfugia avec un certain nombre d'adhérents dans les montagnes de Ketama1.

GOUVERNEMENT DE YEZID-BEN-HATEM, Vers la fin de mai, Yezid, qui avait assuré la pacification des provinces méridionales en noyant la révolte dans le sang, fit son entrée à Kaïrouan. Il s'appliqua à rendre à la ville toute sa splendeur et à faire oublier la domination des Kharedjites.

Abd-er-Rahman tint encore la campagne pendant huit mois, dans le pays des Ketama; mais il finit par succomber avec ses partisans, sous les efforts combinés des généraux arabes. La révolte kharedjite qui, en réalité, était le réveil de l'esprit national berbère, semblait domptée; plus de trois cents combats avaient été livrés et les indigènes avaient toujours supporté le poids de la défaite et la sanglante vengeance de leurs vainqueurs. Cependant, les Houara se soulevèrent encore, à la voix d'un de leurs chefs, nommé Abou-Yahïa-ben-Afounas. Le commandant de Tripoli, ayant marché contre eux, les défit non loin de cette ville. L'année suivante (773), un certain Abou-Zerhouna parvint à entraîner les turbulents Ourfeddjouma à la révolte contre l'autorité arabe. Une armée envoyée contre eux par Yezid fut d'abord défaite. Alors Mohelleb, fils du gouverneur qui commandait le poste de Tobna, sollicita l'honneur de réduire les rebelles. Ayant reçu de son père un important renfort, il attaqua vigoureusement les Ourfeddjouma, les délogea de toutes leurs positions et en fit «< un massacre épouvantable. »

Cette fois, les révoltés kharedjites étaient, sinon domptés, du moins réduits à l'impuissance. L'Ifrikiya put profiter de quelques années de paix que le gouverneur employa aux embellissements de Kaïrouan. « En 774, dit En-Nouéïri, il fit rebâtir la grande mosquée de Kaïrouan et construire des bazars pour chaque mé

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 222, t. III, p. 200. En-Nouéiri, p. 384.

tier. Ainsi, on pourrait dire, sans trop s'écarter de la vérité, qu'il en fut le fondateur. » En même temps il rétablissait, par son esprit de justice, la sécurité des transactions. El-Kaïrouani rapporte, d'après l'historien Sahnoun, que Yezid se plaisait à dire : « Je ne crains rien tant sur la terre que d'avoir été injuste envers quelqu'un de mes administrés, quoique je sache cependant que Dieu seul est infaillible1. >>

LES PETITS ROYAUMES BERBÈRES INDÉPENDANTS. Nous n'avons pas voulu interrompre le cours des événements importants dont l'Ifrikiya était le théâtre; mais il convient de retourner de quelques années en arrière, pour reprendre l'historique des petites royautés du Mag'reb.

A Sidjilmassa, le premier roi que la communauté des Miknaça s'était donné, Aïca-ben-Yezid, fut déposé, en 772, après quinze années de règne, et mis à mort par la populace. Abou-l'KassemSemgou-ben-Ouaçoul, véritable fondateur du royaume, fut élu à sa place. Il forma la souche des Beni-Ouaçoul, souverains de Sidjilmassa. Cette oasis continua à être le centre d'une secte kharedjite tenant de l'éïbadisme et du sofrisme. Ces hérétiques prononçaient la prière au nom du khalife abbasside, dont ils se déclaraient les vassaux2.

Les Berg'ouata, dirigés par leur prophète, le mehdi Salah, continuaient à vivre indépendants, dans le Mag`reb extrême, et à propager leurs doctrines hérétiques. Après un long règne de près d'un demi-siècle, Salah mourut (vers 792), en laissant le pouvoir à son fils El-Yas*.

Dans le Rif marocain, à Nokour, Saïd, petit-fils d'un autre Salah, était en possession de l'autorité et maintenait l'exercice du culte orthodoxe sur le littoral de la Méditerranée.

A Tlemcen et dans le sud du Magreb central, les Beni-Ifrene régnaient en maîtres et étendaient chaque jour leur influence. Leurs cousins, les Mag'raoua, commençaient à envahir les plaines de cette région et à devenir redoutables par leur nombre et leur puissance.

Enfin, Abd-er-Rahman-ben-Rostem, à Tiharet, avait continué

1. El-Kaïrouani, p. 79. En-Nouéïri, p. 385.

2. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 262. El-Bekri, p. 149 du texte arabe. 3. Ce titre, que nous reverrons souvent apparaître, a été pris par un grand nombre d'agitateurs musulmans: on peut le rendre par: Messie. 4. Ibn-Khaldonn, t. II, p. 125 et suiv. El-Bekri, passim.

5. Ibid., t. II, p. 138, 139.

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