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tels que Taâleba et Abd-er-Rahman-ben-Habib, et enfin, il distribua aux Syriens des terres et les répartit dans les districts d'Ocsonoba, de Béja, de Murcie, de Niébla, de Séville, de Sidona, d'Algesiras, de Regio, d'Elvira et de Jaën. Les tenanciers établis sur ces terres reçurent l'ordre de donner à ces nouveaux maîtres le tiers de leurs récoltes, qu'ils versaient précédemment à l'Etat1. L'obligation de fournir le service militaire fut imposée aux Syriens et on les forma en milices ou Djond.

L'introduction de ce nouvel élément en Espagne mit fin à la suprématie des fils des Défenseurs. La fusion de ces diverses races: berbère, arabe et syrienne, devait former plus tard cette belle et intelligente nation maure d'Espagne; mais avant d'arriver à cette cohésion elle avait à traverser encore de longues années de guerres civiles et d'anarchie.

Les nouvelles conditions dans lesquelles se trouvaient l'Espagne et l'Afrique depuis la révolte kharedjite font comprendre pourquoi la belle victoire de Karl à Poitiers suffit à délivrer la Gaule de l'invasion musulmane. La marche des Berbères vers le sud ayant dégarni les provinces du nord de l'Espagne, les chrétiens en profitèrent pour reconquérir de vastes régions dans la direction du midi.

ABD-ER-RAHMAN-BEN-HABIB USurpe le gouvernement de l'IfrIKIYA. -Nous avons dit qu'Abd-er-Rahman-ben-Habib, petit-fils d'Okba, avait quitté l'Espagne; peut-être avait-il été éloigné par le nouveau gouverneur, peut-être aussi, comme l'affirment certains auteurs, avait-il pris la fuite. Il se réfugia en Tunisie et se tint dans l'expectative, entouré d'un certain nombre d'adhérents. Sur ces entrefaites, le khalife Hicham étant mort (février 743), l'Orient devint le théâtre de nouveaux troubles sous les règnes éphémères de ses successeurs Oualid II, Yezid III et Ibrahim.

Abd-er-Rahman profita de cette anarchie pour lever le masque et revendiquer le gouvernement de l'Ifrikiya. Il écrivit à Hendhala en le sommant avec hauteur de lui céder le pouvoir. Ce dernier était parfaitement en mesure de résister à de pareilles prétentions, mais, soit qu'il lui répugnât de verser le sang musulman, ainsi que l'affirme En-Nouéïri, et de donner aux schismatiques le spectacle d'une guerre entre orthodoxes, soit qu'il ne fût pas sûr de ses troupes, il préféra tenter les moyens de conciliation et envoya à Abd-er-Rahman une députation de notables, chargés de lui faire entendre la voix de la raison. Cet acte de faiblesse ne

1. Dozy, loc. cit., p. 268. El-Kaïrouani, p. 70.

servit qu'à augmenter l'arrogance du rebelle il fit mettre les envoyés aux fers et adressa à Hendhala une nouvelle et pressante sommation. Ce chef préféra alors se démettre du pouvoir. Il convoqua le cadi et les notables de Kairouan, ouvrit en leur présence le trésor public, en retira la somme nécessaire à son voyage et, étant sorti de la ville, prit la route de l'Orient. Abd-er-Rahman fit alors son entrée à Kaïrouan et prit possession du gouvernement de l'Ifrikiya.

Les populations arabes établies sur le littoral de la Tripolitaine et de la Tunisie se déclarèrent contre l'usurpateur, et, ayant fait alliance avec les Berbères, se mirent bientôt en révolte ouverte. Deux chefs des Houara, Abd-el-Djebbar et El-Hareth, s'avancèrent avec leurs bandes jusqu'aux portes de Tripoli. Mais Abd-erRahman ne se laissa point intimider; il attaqua en détail tous ses ennemis, les défit et les contraignit de rentrer dans l'obéissance'.

MENT DE LA DYNASTIE

CHUTE DE LA DYNASTIE OMÉÏADE. ÉTABLISSEMEN ABBASSIDE. — L'anarchie continuait à désoler l'Orient. Un nouveau khalife oméïade, du nom de Merouan, avait renversé l'infâme Ibrahim et pris le pouvoir; mais il avait à lutter contre les kharedjites et les chiaïtes et, en outre, contre les descendants d'ElAbbas, oncle du prophète, qui s'étaient transmis, de père en fils, le titre d'imam. Après plusieurs années de luttes acharnées, Aboul'Abbas-es-Saffah fut proclamé khalife par les abbassides (30 octobre 749). Merouan, ayant marché contre ses troupes, essuya plusieurs défaites et trouva la mort dans un dernier combat (août 750). Avec lui finit la dynastie des oméïades. Abou-elAbbas-es-Saffah s'assit alors sur le trône de Damas et ainsi la dynastie des abbassides succéda à celle qui avait été fondée quatrevingt-dix ans auparavant par le Mekkois Moaouïa.

Abd-er-Rahman fit aussitôt reconnaître en Ifrikiya l'autorité abbasside et fut confirmé par le nouveau khalife dans les fonctions qu'il avait usurpées.

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 219, 276. En-Nouéiri, p. 364 et suiv.

CHAPITRE IV

RÉVOLTE KHAREDJITE. FONDATIONS DE ROYAUMES INDÉPENDANTS

750-772

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Situation des Berbères du Mag'reb au milieu du ve siècle. Victoire de Abd-er-Rahman; il se déclare indépendant. Assassinat de Abd-erRahman. - Lutte entre El-Yas et El-Habib. Prise et pillage de Kaïrouan par les Ourfeddjouma. Les Miknaca fondent un royaume à Sidjilmassa. Guerres civiles en Espagne. - L'oméïade Abd-er-Rahman débarque en Espagne. Fondation de l'empire oméïade d'Espagne. Les Ourfeddjouma sont vaincus par les Eibadites de l'Ifrikiya. - Défaites des Kharedjites par Ibn-Achath. Ibn-Achath rétablit à Kaïrouan le siège du gouvernement. Fondation de la dynastie rostemide. Gouvernement d'El-Ar'leb-ben-Salem. - Gouvernement d'Omar-ben-Hafs dit Hazarmed. Mort d'Omar. - Prise de Kaïrouan par les kharedjites.

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SITUATION DES BERBÈRES DU MAG REB AU MILIEU DU VIIIE SIÈCLE. - Après la mort de Khaled, chef des Zenata, le commandement de ces tribus était échu à Abou-Korra, des Beni-Ifrene. Ces schismatiques, toujours en révolte contre le khalifat, s'étaient établis à Tlemcen et exerçaient leur suprématie sur la partie méridionale et occidentale du Mag'reb central'.

Le Magreb extrême était également indépendant. Dans la vallée de la Moulouia, dominait la tribu des Miknaça, dont l'influence d'étendait jusque sur les oasis du désert marocain *.

Enfin, sur le littoral de l'Atlantique, les Berg'ouata avaient acquis une grande puissance. Un certain Salah, fils de Tarif, venait s'y créer un nouveau schisme. Il se faisait passer pour prophète et avait composé en langue berbère un nouveau Koran. Un certain nombre de pratiques du culte avaient été modifiées par lui. Nous verrons, sous les descendants de ce prophète, ce schisme devenir un sujet de guerres implacables entre les Berbères 3.

Ainsi, de toutes parts, des tribus se disposent à entrer en scène et à jouer un rôle prépondérant, jusqu'à ce qu'elles soient remplacées par d'autres, après s'être usées dans les luttes politiques.

1. Ibn-Khaldoun, t. III, p. 199.

2. Ibid., t. I, p. 259.

3. Ibid., t. II, p. 125 et suiv. El Bekri, passim.

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VICTOIRES DE ABD-ER-RAHMAN; IL SE DÉCLARE INDÉPENDANT. L'Ifrikiya avait été sinon pacifiée, du moins réduite au silence; mais tout le Mag'reb était encore en pleine insurrection. Abd-erRahman se décida à y faire une expédition et, vers 752, il alla attaquer Abou-Korra auprès de Tlemcen, ville fondée depuis peu par les Beni-Ifrene. Abou-Korra, soutenu par les tribus zenètes, essaya en vain de résister; il fut vaincu et contraint d'abandonner sa capitale aux Arabes. Poursuivant ses succès, Abd-er-Rahman pénétra dans le Mag'reb extrême et obtint une soumission à peu près générale des Berbères. Il est probable cependant que les Berg'ouata ne reconnurent pas son autorité, car ils étaient devenus fort puissants. Salah, qui avait succédé à son père Tarif, dans le commandement de la tribu, s'était arrogé le titre de prophète et avait obtenu beaucoup d'adhésions à la nouvelle doctrine 1.

De retour en Ifrikiya, après avoir laissé son fils El-Habib pour le représenter dans le Mag'reb, Abd-er-Rahman lança ses troupes contre la Sicile et la Sardaigne. Les rivages de ces îles furent livrés au pillage et les populations soumises, dit-on, à la capitation.

Cependant, en Orient, le khalife Abou-Djâfer-el-Mansour II avait succédé à son frère Abou-l'Abbas, décédé le 9 juin 751. Le nouveau khalife s'empressa de confirmer Abd-er-Rahman dans son commandement; mais les grands succès remportés par le gouverneur, son éloignement du siège du khalifat, avaient sans doute réveillé en lui des idées d'indépendance. Il envoya à son souverain des cadeaux sans valeur et s'excusa de ne pas lui offrir d'esclaves, sous le prétexte que la Berbérie n'en fournissait pas, puisque les populations étaient musulmanes. Le khalife fut très irrité de ce procédé et, après un échange d'observations, il adressa à son lieutenant une lettre conçue dans des termes injurieux et menaçants. Le petit-fils d'Okba résolut alors de rompre toute relation avec son suzerain s'étant rendu en grande pompe à la mosquée, il y prononça la prière publique; puis il se répandit en invectives. contre le khalife abbasside, se déclara délié de tout serment envers lui et déchira les vêtements d'investiture qu'il avait reçus d'Orient. Lançant au loin ses sandales, il s'écria : « Je rejette aujourd'hui son autorité comme je rejette ces sandales. » Il adressa ensuite, dans toutes ses provinces, un manifeste annonçant sa déclaration d'indépendance.

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la Berbérie et secoué le joug du khalifat; il semblait au comble de la puissance, mais un complot se tramait autour de lui et ses propres frères préparaient son assassinat. Une première conjuration, dont les auteurs étaient des réfugiés oméïades, fut découverte et sévèrement réprimée. El-Yas, frère de l'émir, avait épousé la sœur d'un des conjurés et cette femme le poussait à la vengeance et excitait les sentiments de jalousie qu'il éprouvait en voyant son frère tout disposer pour léguer le pouvoir à son fils El-Habib. El-Yas prêta l'oreille à ces incitations: il s'assura l'appui d'un certain nombre d'habitants de Kairouan, fit entrer dans le complot son frère Abd-el-Ouareth, et il ne resta qu'à attendre le moment opportun pour frapper.

Un soir, El-Yas, qui n'avait voulu confier à personne le soin de tuer son frère, demanda à être introduit dans ses appartements. Abd-er-Rahman était à moitié déshabillé, tenant sur ses genoux un de ses jeunes enfants, lorsqu'El-Yas pénétra auprès de lui. Les deux frères causèrent pendant un certain temps, sans que l'assassin osât perpétrer son meurtre; enfin, cédant aux encouragements muets d'Abd-el-Ouareth qui se tenait derrière une portière, El-Yas se leva, puis, se penchant comme pour embrasser son frère, enfonça entre ses épaules un poignard qui lui traversa la poitrine; Abd-er-Rahman, bien que frappé à mort, essaya de lutter contre son meurtrier, mais il eut la main abattue en voulant parer les coups et ne tarda pas à expirer couvert de blessures. Après cette horrible scène, El-Yas s'enfuyait égaré, lorsque son frère et les conjurés le rappelèrent à la réalité en lui demandant la tête de la victime, afin que le peuple ne doutât pas de sa mort. Le meurtrier et Abd-el-Ouareth rentrèrent alors dans la chambre et décapitèrent le cadavre (755).

Ainsi périt cet homme remarquable qui eût sans doute affermi l'empire indépendant de la Berbérie, si le poignard fraternel n'avait arrêté sa carrière. Son fils El-Habib alla à Tunis se réfugier auprès de son oncle Amran1.

LUTTE ENTRE EL-YAS ET EL-HABIB. Dès que la nouvelle de la mort d'Abd-Er-Rahman fut connue, le peuple se porta en foule au palais et El-Yas se fit facilement reconnaître pour son successeur; pendant ce temps, les partisans d'El-Habib se réunissaient autour de lui à Tunis. Bientôt El-Yas marcha sur cette ville, et

1. Ibn-Khaldoun, Hist. de l'Afr. et de la Sicile, p. 47 de la trad. EnNouéïri, p. 368, 369.

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