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qui avait si heureusement déterminé la victoire, fut élu chef des rebelles'.

La nouvelle de ce succès eut un effet immense et la révolte se propagea aussitôt en Espagne. Okba avait essayé, sans succès, de combattre les rebelles du Mag`reb; il fut déposé par un mouvement populaire et remplacé par son prédécesseur Abd-el-Melek, et alla mourir à Narbonne (fin décembre 740).

Lorsque ces événe

DÉFAITE DE KOLTOUM A L'OUAD-SEBOU. ments furent connus en Orient, le khalife Hicham entra dans une violente colère : « Par Dieu! dit-il, je ferai sentir à ces rebelles le poids de la colère d'un Arabe! Je leur enverrai une armée telle qu'ils n'en virent jamais dans leur pays: la tête de colonne sera chez eux, pendant que la queue en sera encore chez moi. J'établirai un camp de guerriers arabes à côté de chaque château berbère!» Il rappela sur-le-champ Obéïd-Allah et s'occupa de la formation d'une armée expéditionnaire. A cet effet il tira des milices de Syrie un corps considérable de cavalerie et en confia le commandement au kaïsite Koltoun-ben-Aïad. Dans le courant de l'été 741, ce général arriva en Ifrikiya, après avoir rallié les contingents de l'Égypte, de Barka et de la Tripolitaine. L'effectif de son armée s'élevait à une trentaine de mille hommes. Le khalife avait recommandé à ces troupes de commettre en Afrique les plus grandes dévastations.

Parvenu à Kaïrouan, Koltoum y fut très mal reçu par la colonie arabe qui détestait les Syriens. Quand El-Habib avait reçu, en Sicile, l'ordre de rentrer, il venait de s'emparer de Syracuse et de remporter de grands succès qui pouvaient faire présager la conquête de toute l'île3. Dès son retour il s'était porté avec toutes ses forces jusqu'à la hauteur de Tiharet pour contenir les Berbères et couvrir Kaïrouan; lorsque l'armée d'Orient l'eut rejoint, les deux troupes faillirent en venir aux mains. Baleg, qui commandait. l'avant-garde des Syriens, avait donné le signal du combat, mais des officiers s'interposant parvinrent à empêcher la lutte.

L'armée continua sa marche vers l'ouest sans rencontrer aucun ennemi; elle pénétra dans le Mag'reb extrême, et enfin trouva les Kharedjites sur les bords du Sebou, dans une position qu'ils

1. Nous adoptons ici une opinion qui s'écarte de celle de M. Dozy (t. I, p. 242) et de M. Fournel (p. 228); mais il est peu probable que Khaled eût été élu chef de la révolte avant d'avoir déterminé la victoire de la journée des nobles.

2. En Nouéïri, p. 360, 361.

3. Michele Amari, Storia, t. I, p. 173 et suiv.

avaient choisie, à Bakdoura. Ils étaient là en nombre considérable, presque nus, la tête rasée, remplis d'enthousiasme. El-Habib voulut faire entendre quelques conseils que sa longue pratique des Berbères lui donnait le droit de présenter. Mais l'impétueux Baleg repoussa dédaigneusement son offre. Koltoum confia à Baleg le commandement de la cavalerie syrienne, se réserva celui de l'infanterie du centre et mit deux autres chefs à la tête des troupes d'Afrique, de sorte qu'El-Habib ne dut combattre que comme un simple guerrier.

La brillante cavalerie syrienne, ayant entamé l'action, fut accueillie par le cri de guerre des Kharedjites. Selon IbnKhaldoun, les Berbères portèrent le désordre dans le camp des Syriens en lançant au milieu d'eux des chevaux affolés, à la queue desquels ils avaient attaché des outres remplies de pierres. Malgré les pertes qu'il avait éprouvées, Baleg ramena au combat environ sept mille de ses cavaliers et, les ayant entraînés dans une charge furieuse, parvint à traverser toutes les lignes des Berbères; mais ceux-ci étaient si nombreux qu'une partie des leurs, faisant volteface, lui tinrent tête pendant que le reste luttait corps à corps. avec les fantassins de Koltoum et les troupes d'Afrique. El-Habib et les principaux chefs étant morts, ces troupes se mirent en retraite, abandonnant les Syriens abhorrés à leur malheureux sort. Koltoum lutta avec la plus grande vaillance, en récitant des versets du Koran jusqu'au moment où il tomba percé de coups. La bataille était perdue. Les Kharedjites poursuivirent les fuyards et en firent un grand massacre. Quant aux cavaliers syriens de Baleg, ils furent bientôt forcés, malgré tout leur courage, de se mettre en retraite vers le nord-ouest, puisque le chemin opposé leur était coupé. Ils gagnèrent avec beaucoup de peine Tanger où ils ne purent pénétrer et de là se réfugièrent à Ceuta (742)'.

VICTOIRES DE HANDHALA SUR LEs Kharedjites DE L'IFRIKIYA. Dės que la nouvelle de ce succès parvint dans l'est, les tribus de l'Ifrikiya se mirent en état de révolte. Un certain Okacha-benAïoub, de la tribu des Houara, essaya même de soulever Gabès. Mais le général Abd-er-Rahman-ben-Okba, qui commandait à Kaïrouan où il avait rallié les fuyards de l'Ouad-Sebou, marcha contre les rebelles et les contraignit à chercher un refuge dans le sud. Okacha y rejoignit Abd-el-Ouahad-ben-Yezid, qui était à la

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 216, 235 et suiv. En-Nouéiri, p. 360. ElKairouani, p. 69.

tête des autres tribus houarides, et tous deux s'appliquèrent à soulever les tribus du sud de l'Ifrikiya, jusqu'au Zab.

Cependant le khalife avait expédié au kelbite Handhala-benSafouan, gouverneur de l'Égypte, l'ordre de se porter au plus vite en Ifrikyia, avec toutes les forces disponibles. Ce général parvint à Kaïrouan dans le courant du printemps et s'occupa aussitôt de l'organisation de son armée.

Mais bientôt il apprit que les Kharedjites, divisés en deux corps, s'avançaient contre lui et que l'un d'eux, commandé par Okacha, avait pénétré dans la plaine et était venu prendre position à ElKarn, entre Djeloula et Kaïrouan. Le seul espoir de succès consistait à attaquer séparément les rebelles; Handhala le comprit et, sans perdre un instant, il marcha sur El-Karn, attaqua ses ennemis avec la plus grande vigueur, les mit en déroute, s'empara de leur camp et fit prisonnier Okacha. Mais ce n'était là que la partie la plus facile de la tâche. Abd-el-Ouahad était descendu du Zab à la tête d'un rassemblement considérable et avait déjà atteint Badja, où les fuyards d'El-Karn l'avaient rallié.

Handhala lança contre lui sa cavalerie pour le contenir, tandis qu'à Kaïrouan on armait tous les hommes valides. Les Kharedjites repoussèrent facilement les troupes envoyées contre eux, puis ils s'avancérent jusqu'à Tunis, où Abd-el-Ouahad se fit, dit-on, proclamer khalife. De là, les rebelles vinrent prendre position à ElAsnam, dans le canton de Djeloula; leur armée présentait, si l'on en croit les auteurs arabes, un effectif de 300,000 combattants, mais ce chiffre est évidemment exagéré.

La situation était fort critique pour les Arabes. Handhala enrôlait tous les hommes valides, en offrant même une prime à ceux dont le patriotisme n'était pas assez ardent; il put réunir ainsi dix mille recrues qui, jointes à ses vieilles troupes, lui constituèrent une armée assez nombreuse. On passa la nuit à armer les volontaires, à la lueur des flambeaux, et le lendemain, ces soldats pleins d'ardeur, ayant brisé les fourreaux de leurs épées, marchèrent à l'ennemi. Dès le premier choc, l'aile gauche des Kharedjites fléchit ; la gauche des Arabes, qui avait perdu du terrain, revint alors à la charge et bientôt toute la ligne des Berbères fut enfoncée. Ce fut alors une mêlée affreuse qui se termina par la victoire des Arabes. Selon En-Nouéïri, cent quatre-vingt mille Kharedjites restèrent sur le champ de bataille. Abd-el-Ouahad y trouva la mort, Okacha, moins heureux fut livré au bourreau (mai 712).

Ce beau succès permettait aux Arabes de se maintenir à Kaïrouan et de se préparer à de nouvelles luttes contre les Kharedjites du Mag`reb, demeurés dans l'indépendance absolue.

REVOLTE DE L'ESPAGNE. LES SYRIENS Y SONT TRANSPORTÉS. Les Syriens qui, avec Baleg, s'étaient réfugiés à Ceuta, après la défaite du Sebou, ne tardèrent pas à se trouver dans une situation très critique. Bloqués de tous côtés par les Berbères, et manquant de vivres, ils s'adressèrent au gouverneur de l'Espagne en le suppliant de venir à leur aide, ou de leur fournir le moyen de traverser le détroit. Mais Abd-el-Malek était Médinois; il avait lutté autrefois contre les Syriens et, vaincu par eux, avait assisté aux excès dont ils avaient souillé leur victoire. Il repoussa avec hauteur les demandes de Baleg et défendit, sous les peines les plus sévères, qu'on envoyât des secours aux Syriens. Un Arabe de la tribu de Lakhm, leur ayant fait passer deux barques chargées de blé, périt dans les tortures 1. Ainsi les Syriens restaient à Ceuta, en proie aux souffrances de la faim; ils avaient mangé leurs chevaux et semblaient voués à un trépas certain, lorsque des circonstances imprévues vinrent changer la face des choses.

Nous avons vu que les Berbères, en Espagne, n'avaient pas été favorisés lors du partage des terres, bien qu'ils eussent été les véritables conquérants. Il en était résulté chez eux une grande irritation contre les Arabes et, comme ils avaient adopté, de même que leurs frères du Mag'reb, les doctrines kharedjites, la révolte de Meïcera fut saluée chez eux par un seul cri d'enthousiasme, suivi d'une levée de boucliers. L'insurrection, partie de la Galice, devint bientôt générale. Partout les Arabes furent expulsés et durent chercher un refuge dans l'Andalousie. Les Berbères élurent alors un chef, ou imam, et divisèrent leurs forces en trois corps qui devaient marcher simultanément sur Tolède, Cordoue et Algésiras. De cette dernière ville, où se trouvait la flotte, on serait allé en Magreb chercher des renforts berbères.

Les Arabes étaient peu nombreux en Espagne et tiraient toutes leurs forces des Africains. La situation devenait critique et, dans cette conjoncture, Abd-el-Malek ne vit son salut que dans l'appui de ces Syriens qu'il avait juré de laisser mourir de faim. Il entra de nouveau en pourparlers avec eux et conclut un traité par lequel il fut stipulé que les Syriens lui fourniraient leur aide pour combattre la révolte des Berbères; qu'après l'avoir domptée, ils évacueraient l'Espagne et qu'un certain nombre d'otages, choisis parmi les chefs, seraient gardés dans une île pour assurer l'exécution de ces conventions. De son côté, Baleg exigea que, lorsque ses hommes seraient rapatriés, ils fussent emmenés tous ensemble et déposés dans une contrée d'Afrique soumise à l'autorité arabe.

1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. I, p. 254.

Les Syriens débarquèrent en Espagne dans le plus triste état et il fallut d'abord les habiller et leur donner à manger; mais ils furent bientôt refaits et, comme la colonne berbère marchant sur Algésiras était déja à Médina-Sidonia, ils se portèrent contre elle avec toutes les forces arabes et la mirent en déroute. Ils attaquèrent ensuite celle qui avait Cordoue pour objectif, et lui infligèrent le même sort. La troisième armée berbère assiégeait Tolède depuis près d'un mois; les Syriens la forcèrent à lever le siège de cette ville et, malgré le grand nombre des rebelles, parvinrent encore à en triompher'.

Ainsi la domination arabe en Espagne était sauvée; mais de nouvelles difficultés allaient naître du succès même des Syriens. Baleg, invité par Abd-el-Malek à se retirer, conformément aux clauses du traité, éluda l'exécution de sa promesse; il se sentait maître de la position, était gorgé de butin et ne se souciait nullement de courir de nouveaux hasards. Des contestations s'élevèrent, on s'aigrit, on se menaça de part et d'autre, et enfin Baleg, levant le masque, chassa Abd-el-Malek de son palais et se fit proclamer gouverneur à Cordoue. Les Syriens, méconnaissant la voix de leur chef, se saisirent d'Abd-el-Malek, alors nonagénaire, et lui firent endurer un supplice aussi ignominieux que celui infligé par lui à l'homme qui leur avait envoyé des vivres à Ceuta (742).

Le meurtre d'Abd-el-Malek eut un grand retentissement en Espagne. Tous les Arabes, même ceux qui étaient en France, accoururent en Andalousie. Abd-er-Rahman, gouverneur de Narbonne, ayant réuni ses forces à celles d'Abd-er-Rahman-benHabib, marcha contre les Syriens et tua Baleg de sa propre main. Néanmoins la victoire resta à ces étrangers. Taâleba, qui avait pris le commandement, surprit les Arabes pendant qu'ils célébraient une fête, en fit un grand massacre et réduisit en esclavage dix mille prisonniers.

Les Arabes d'Espagne ayant appris que les Syriens se disposaient à massacrer tous leurs prisonniers adressèrent à Hendhala un pressant appel, et cet émir envoya en Espagne un officier du nom d'Abou-el-Khattar, avec quelques troupes. Il arriva à Cordoue au moment où les Syriens, avant de préluder au massacre de leurs esclaves, les vendaient au rabais, pour un chien ou pour un bouc. Malgré l'opposition de Taâleba il fit mettre en liberté tous ces Musulmans; puis il éloigna successivement les chefs turbulents,

1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. I, p. 257 et suiv.

2. Dans les guerres entre musulmans, les jours de fête étaient toujours des trèves strictement observées.

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