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ayant lâché pied, le centre, où se trouvait le roi, eut à supporter tout l'effort des Musulmans. Roderik mourut en combattant et son armée se débanda. D'après la chronique que nous avons plusieurs fois citée, le roi goth aurait confié le commandement des deux ailes de son armée aux fils de Wittiza, réconciliés avec lui; mais ceux-ci, pour se venger de l'usurpateur, l'auraient trahi en entraînant les troupes confiées à leurs ordres1.

Les chrétiens, s'étant ralliés auprès d'Ejiça, y essuyèrent une nouvelle défaite. Ce double succès mit fin à l'empire des Goths et ouvrit l'Espagne aux Musulmans.

Tarik, sans tenir compte des ordres de Mouça qui lui avait fait dire de l'attendre, continua sa marche victorieuse sur Tolède, alors capitale de l'Espagne, tandis que trois corps détachés allaient prendre possession de Grenade, de Malaga et d'Elvira. S'étant rendu maître de Tolède, il y réunit toutes ses prises, qui étaient considérables, pour les remettre au gouverneur de l'Afrique. Lorsqu'une ville était enlevée, les Musulmans armaient les Juifs s'y trouvant et les chargeaient de la défendre; puis ils continuaient leur route 2.

Mouça avait appris avec une vive jalousie les succès de son lieutenant, et il s'était décidé aussitôt, malgré son grand âge, à se rendre en Espagne. C'était un homme de très basse extraction, dominé par la soif de l'or, et cette passion n'avait pas été sans lui attirer de graves affaires. Ayant réuni une armée de quinze à dixhuit mille guerriers, tant arabes que berbères, il partit pour l'Espagne, en laissant l'Ifrikiya sous le commandement de son fils Abd-Allah et débarqua à Algésiras pendant le mois de ramadan 93 (juin-juillet 712). Au lieu de traverser les pays conquis par Tarik, Mouça voulut suivre une nouvelle voie et conquérir aussi des lauriers; des chrétiens lui servirent, dit-on, de guides. Carmona et Séville tombèrent en son pouvoir, mais il fut arrêté par Mérida, ville somptueuse qui contenait un nombre considérable d'habitants, et dont il dut entreprendre un siège régulier. Ce ne fut qu'en juin 713 qu'il parvint à se rendre maître de Mérida, après une résistance héroïque des assiégés.

Sur ces entrefaites, Mouça, s'étant rendu à Tolède, se rencontra auprès de cette ville avec Tarik. Il avait conçu contre celui-ci une violente jalousie qui s'était transformée en haine ardente; aussi, bien que son lieutenant se présentât avec l'attitude la plus

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respectueuse, il l'accabla d'injures et de reproches et, dans sa violence, alla jusqu'à le frapper au visage; puis il le fit jeter dans. les fers et aurait ordonné sa mort, si des officiers ne s'étaient interposés. Cette conduite souleva contre lui une véritable réprobation, dont l'expression fut portée au khalife'.

DESTITUTION DE Morça. — Tandis que les Berbères, conduits par les Arabes, conquéraient l'Espagne au khalifat, les armées musulmanes s'emparaient de Samarkand, et s'avancaient victorieuses. vers l'est, à travers l'Inde, jusqu'à l'Himalaya. L'histoire n'offre peut-être pas d'autre exemple de succès aussi grands dans un règne aussi court que celui d'El-Oualid. Mais ce prince n'entendait pas partager sa puissance avec ses généraux, et il trouvait que les contrées sur lesquelles s'étendait l'autorité de Mouça étaient bien grandes. Aussi, saisit-il avec empressement l'occasion fournie par l'odieuse conduite de son lieutenant, pour lui intimer l'ordre de se présenter devant lui.

Mouça, qui venait de s'avancer en vainqueur jusqu'aux Pyrénées, ne voulut pas croire qu'on le rappelait et il fallut qu'un nouvel émissaire vint prendre par la bride sa monture, pour le décider à s'arrêter. Le gouverneur, laissant, en Espagne, le commandement à son fils Abd-el-Aziz, rentra à Kaïrouan pour se préparer au départ. Son troisième fils, Abd-el-Malek, fut placé à Ceuta, afin de commander le détroit. En 715, Mouça partit pour l'Orient, emportant un butin considérable, enlevé aux palais et aux églises de la péninsule. A sa suite marchaient enchaînées trente mille esclaves chrétiennes 2. Ces riches présents ne purent désarmer la colère du khalife qui l'accabla de reproches et le frappa d'une forte amende. Peu de jours aprês, El-Oualid cessait de vivre et était remplacé par son frère Soléïman. C'était la chute des kaïsites; mais Mouça, bien que kelbite, n'en profita pas et resta dans l'ombre jusqu'à sa mort.

Cependant, en Afri

SITUATION DE L'AFRIQUE ET DE L'ESPAGNE. que, les Berbères continuaient à se jeter en foule sur l'Espagne. La vue des prises rapportées par Mouça avait enflammé leur cupidité et redoublé l'ardeur des néophytes. Aussitôt qu'un groupe était prêt, on l'envoyait à la guerre sainte, et ce courant ininter

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 216, 348. En-Nouéiri, p. 345. El-Kaïrouani, p. 57 et suiv. El-Marrakchi (Hist. des Almohades, édit. arabe de Dozy, Leyde, 1847, p. 6 et suiv.).

2. Il est inutile de faire ressortir l'exagération de ce chiffre.

rompu permettait de se porter en avant, car les premiers arrivés s'étaient établis dans le territoire conquis. Les Arabes, profitant de la conquête faite par les Berbères, avaient commencé par garder pour eux la fertile Andalousie. Quant aux Africains, on les avait relégués dans les plaines arides de la Manche et de l'Estramadure, dans les âpres montagnes de Léon, de Galice, d'Asturie, où il fallait escarmoucher sans cesse contre les chrétiens mal domptés1. Les Musulmans, poussés par derrière par les arrivées incessantes, n'allaient pas tarder à franchir les Pyrénées. Des chefs arabes les conduisaient au pillage de la chrétienté.

Mouça avait partagé entre ses guerriers les terres et le butin conquis par les armes, en réservant toutefois le cinquième pour le prince. Les terres ainsi réservées formèrent le domaine public et furent cultivées par des indigènes, chrétiens ou convertis, qui reçurent comme salaire le cinquième des récoltes, en raison de quoi ils furent appelés khemmas. Dans les localités où les populations s'étaient soumises en vertu de traités, les chrétiens conservèrent leurs terres et leurs arbres, à charge de payer un impôt foncier. Du reste, un grand nombre de chrétiens embrassèrent l'islamisme, soit pour conserver leurs biens, soit pour échapper aux mauvais traitements. Selon une chronique latine, ces apostats répondaient aux reproches de leurs prêtres : « Si le catholicisme. était la vraie religion, pourquoi Dieu aurait-il livré notre pays, qui pourtant était chrétien, aux sectateurs d'un faux prophète ? Pourquoi les miracles que vous nous racontez ne se sont-ils pas renouvelés, alors qu'ils auraient pu sauver notre patrie ? »2.

Abd-el-Aziz, en Espagne, avait continué à étendre les conquêtes des Musulmans. Séduit par les charmes de la belle Egilone, veuve de Roderik, il l'avait épousée, bien qu'elle fût chrétienne. Il vivait en roi à Séville, nouvelle capitale du pays, et traitait les populations chrétiennes avec une grande douceur. Cette bienveillance

1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. I, p. 255.

2. Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, t. I, p. 19 et passim. La loi musulmane dispose que tous les biens mobiliers ou immobiliers conquis les armes à la main appartiennent aux vainqueurs, déduction faite du cinquième revenant au prince. Les terres appartiennent au prince seul, lorsqu'elles sont acquises par traité ou échange. Les Infidèles peuvent acheter la faveur de continuer à les exploiter, en payant la Djazia (tribut). Ceux qui occupent les terres conquises sont frappés d'un cens déterminé, appelé Kharadj. L'infidèle se débarrasse de ces charges en devenant musulman. Le cinquième prélevé sur les dépouilles doit être employé par le prince en dépenses d'intérêt général. Voir Institutions du droit musulman relatives à la guerre sainte, par Reland, trad. Solvet (Alger, 1838), et Koran, sour. 8, v. 42.

irritait le fanatisme des Musulmans, qui l'attribuaient à l'influence d'Egilone, et les ennemis du gouverneur répétaient qu'il était sur le point d'abandonner l'islamisme et de se déclarer roi indépendant.

Cependant le khalife

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-Ben-Yezid. Soléïman, après avoir cherché un homme digne de sa confiance, nomma comme gouverneur de l'Ifrikiya Mohammed-ben-Yezid, et le chargea de réclamer aux fils de Mouça des sommes considérables, sous le prétexte que leur père ne s'était pas acquitté des amendes à lui imposées. Dès son arrivée en Afrique, le nouveau gouverneur fit arrêter Abd-Allah et Abd-el-Malek et les tint dans une étroite captivité; El-Kairouani prétend même qu'ils furent mis à mort.

Ces procédés n'étaient pas faits pour rattacher Abd-el-Aziz au khalife. On dit qu'il rompit entièrement avec lui. Ne pouvant songer à l'attaquer ouvertement, Soléïman écrivit secrètement à ElHabib-ben-Abou-Obéïda, petit-fils du grand Okba, qui se trouvait en Espagne, et le chargea de le débarrasser de ce compétiteur par l'assassinat. Une conspiration s'ourdit autour d'Abd-el-Aziz et les conjurés le mirent à mort en pleine mosquée, pendant qu'il prononçait la prière du vendredi. Sa tête fut envoyée au khalife' (août-septembre 715). Le commandement de l'Espagne resta quelque temps entre les mains d'un neveu de Mouça -ben-Nocéïr, nommé Ayoub; peu après, Mohammed-ben-Yezid, qui avait pris en mains l'administration de toutes les conquêtes de l'ouest, envoya comme lieutenant dans la péninsule, El-Horr-ben-Abd-erRahman.

En octobre 717, le

GOUVERNEMENT D'ISMAÏL-BEN-ABD-ALLAH. khalife Soléïman, étant mort, fut remplacé par Omar II. Peu après, Mohammed -ben-Yezid était rappelé et Ismaïl-ben-Abd - Allah, petit fils d'Abou-el-Mehadjer, venait prendre le commandemant du Mag'reb. Il arriva avec l'ordre d'appliquer tous ses soins à achever la conversion des Berbères. Il paraît même que le khalife adressa aux indigènes du Mag'reb un manifeste qui fut répandu dans toute la contrée et qui eut pour conséquence d'entraîner un grand nombre de conversions. Des missionnaires envoyés dans les régions reculées furent chargés d'éclairer les néophytes sur la pratique et les obligations de leur nouveau culte, car ils étaient fort ignorants sur ces matières; on obtint des résultats réels.

1. En-Nouéiri, p. 379.

2. Fotouh-El-Boldane, cité par Fournel, Berbers, p. 270.

Jusqu'alors un certain nombre de Grecs et d'indigènes chrétiens avaient pu, ainsi que nous l'avons dit, continuer à résider dans leurs territoires et à pratiquer leur culte, en payant la capitation. Mais, soit que les ordres du khalife n'aient plus autorisé cette tolérance, soit que les prêtres jacobites d'Alexandrie aient entretenu des intrigues parmi ces populations, en les poussant à la révolte, ainsi que l'affirme El-Kaïrouani', les privilèges accordés aux chrétiens leur furent retirés, et ils durent se convertir ou émigrer.

Ces mesures de coercition commencèrent à amener de la fermentation chez les Berbères qui étaient travaillés depuis quelque temps par des réfugiés kharedjites.

En Espagne, où Es-Samah avait remplacé El-Horr, les Musulmans avaient achevé la conquête des pays et commencaient à se lancer dans les défilés des Pyrénées.

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GOUVERNEMENT DE YEZID-BEN-ABOU-MOSLEM. IL EST ASSASSINÉ. Le règne d'Omar II ne fut pas plus long que celui de son prédécesseur. En février 720, ce prince mourait et Yezid II lui succédait. Avec ce khalife, le parti kaïsite revenait au pouvoir. Yezid-benAbou-Moslem, affranchi d'El-Hadjadj, fut retiré de la prison où il avait été détenu pendant les règnes précédents, et nommé au gouvernement du Mag`reb. Ce chef, qui, étant vizir de Syrie, avait traité avec une grande rigueur les populations de cette contrée, pensa qu'il pourrait agir de même à l'égard des Berbères. Il commença à mettre en pratique tout un système de vexations contre eux et voulut leur imposer, en outre des autres charges, la capitation. Les indigènes protestèrent, déclarant qu'ils étaient Musulmans et, par conséquent, affranchis de cette charge; mais leurs doléances furent brutalement repoussées. Le gouverneur s'était entouré d'une garde berbère et il comptait s'assurer, par des faveurs, sa fidélité. Ayant voulu imposer à ses soldats l'obligation de porter des inscriptions tatouées sur les mains, selon l'usage des Grecs, les gardes, irrités de ce qu'ils considéraient comme une humiliation, assassinèrent le gouverneur pendant qu'il faisait la prière du soir, dans la mosquée. Les Berbères écrivirent alors au khalife pour protester de leur dévouement et demander qu'on leur rendit leur ancien gouverneur Mohammed-ben-Yezid. Peut-être celui exerça-t-il, durant quelques jours, le pouvoir.

Pendant ce temps, les Musulmans d'Espagne, sous la conduite

1. P. 63.

2. Sur la main droite le nom de l'individu; sur la gauche le mot garde (Berbers, p. 272).

T. I,

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