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Ayant réuni ses fils, elle leur dit : « Je sais que ma fin approche; lorsque je regarde l'Orient, j'éprouve à la tête des battements qui m'en avertissent »; elle leur ordonna de faire leur soumission au général arabe et de se mettre à son service, ce qui semble indiquer une intention de se venger des Berbères, dont la lâcheté allait causer sa perte. On insistait autour d'elle pour qu'elle prît la fuite, mais elle repousssa avec indignation ce conseil. « Celle qui a commandé aux chrétiens, aux Arabes et aux Berbères, ditelle, doit savoir mourir en reine! »

Dans quelle localité la Kahéna attendit-elle le choc des Arabes? S'il faut en croire El-Bekri, elle se serait retranchée dans le château d'El-Djem, qui aurait été appelé pour cela Kasr-el-Kahena ; mais il est plus probable qu'elle se retira dans l'Aourès, car il résulte de l'étude comparée des auteurs que Haçane marcha directement vers cette montagne, en passant par Gabės, Gafça et le pays de Kastiliya. Quand il fut proche du campement de la reine berbère, il vit venir au devant de lui les deux fils de celle-ci, accompagnés de l'Arabe Khaled. Les deux chefs indigènes furent conduits par son ordre à l'arrière-garde; quant à Khaled, il reçut le commandement d'un corps d'attaque.

La bataille fut longue et acharnée et, pendant un instant, le succès parut se prononcer pour les Berbères; mais, dit En-Nouéïri, Dieu vint au secours des Musulmans, qui finirent par remporter la victoire. La Kahéna y périt glorieusement. Selon une autre version, elle aurait été entraînée dans la déroute et atteinte par les Arabes dans une localité qui fut appelée en commémoration Bir-el-Kahéna. Sa tête fut envoyée à Abd-el-Malek. Telle fut la fin de cette femme remarquable, et l'on peut dire qu'avec elle tomba l'indépendance berbère 3.

Conquête et ORGANISATION DE L'IFRIKIYA PAR Hagane. Après la défaite de leur reine, les Berbères de cette région se soumirent en masse au vainqueur et acceptèrent l'islamisme. Ils fournirent à Haçane un corps de douze mille auxiliaires à la tête desquels les fils de la Kahéna furent placés. Grâce à ce renfort, le général arabe put compléter sa victoire en réduisant les autres centres de résistance où les Grecs, aidés des indigènes, tenaient encore; puis il rentra à Kaïrouan. Il s'occupa alors de régler les détails de

1. El-Kairouani, p. 54.

2. Ibid.

3. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 207 et suiv., t. III, p. 193 et suiv. En-Nouéïri, p. 339 et suiv. El-Bekri, trad. de Slane, p. 76, 77.

l'administration, et notamment de la fixation de l'impôt foncier (kharadj), auquel il soumit les populations berbères et celles d'origine chrétienne 1.

Ce fut, sans doute, vers cette époque qu'il établit à Tunis une colonie de mille familles coptes venues d'Egypte. Mais c'est en vain que Haçane s'était mérité le surnon de « vieillard intègre ». Les grandes richesses rapportées de ses expéditions, et conservées par lui pour le khalife, faisaient des envieux et bientôt il se vit dépossédé de son commandement par le gouverneur de l'Egypte et reçut l'ordre de se rendre en Orient. Il partit en emportant tout ce butin qui avait servi de prétexte à sa révocation et dont on le dépouilla à son passage en Egypte. Mais il avait su conserver ce qu'il possédait de plus précieux et put enfin le remettre au khalife, en se justifiant de toute inculpation. On voulut lui restituer son commandement, mais il protesta qu'il ne servirait plus la dynastie oméïade.

En 705,

MOUÇA-BEN-NOcéïr achève la conquête de la Berbérie. Mouça-ben-Noceïr arriva à Kaïrouan avec le titre de gouverneur de l'Ifrikiya. Cette province releva directement du khalifat et fut dès lors indépendante de l'Egypte. Il trouva un commencement d'organisation en Ifrikiya, mais dans les deux Mag'reb l'anarchie était à son comble: les tribus berbères étaient toutes en lutte les unes contre les autres. Les Mag'raoua en profitaient pour s'étendre au nord et à l'ouest, au détriment des Sanhadja. « Conquérir l'Afrique est chose impossible, avait écrit le précédent gouverneur au khalife; à peine une tribu berbère est-elle exterminée, qu'une autre vient prendre sa place 3. » Le Magreb était couvert de ruines et changé en solitude.

Les détails fournis par les auteurs arabes sur les premiers actes du gouvernement de Mouça sont contradictoires. Il paraît probable qu'il commença par rétablir la tranquillité dans l'Ifrikiya et le Mag`reb central, au moyen d'expéditions dans lesquelles il déploya la plus grande rigueur. En même temps il s'appliquait à former de bonnes troupes indigènes et à organiser une flotte au moyen de laquelle il pût piller les îles de la Méditerranée. Cela fait, il entreprit une campagne dans l'ouest, où les Berbères n'avaient pas revu d'Arabes depuis Okba; aussi avaient-ils repris leur liberté et répudié le culte musulman. Il infligea d'abord une défaite aux

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 215.

2. El-Kaïrouani, p. 55.

3. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. I, p. 229.

R'omara, mais, parvenu à Ceuta, il trouva cette ville en état de défense, sous le commandement du comte Julien, et essaya en vain de la réduire. Il fit des razzias aux environs, espérant affamer la place; mais Julien recevait par mer des vivres d'Espagne, et chaque fois qu'il se mesurait avec les Musulmans leur faisait éprouver de rudes échecs1. Abandonnant ce siège, Mouça pénétra au cœur de l'Atlas et attaqua et réduisit les tribus masmoudiennes. Après s'être avancé jusqu'au Sous, il traversa le pays de Derà et porta ses armes victorieuses jusqu'aux oasis de Sidjilmassa. Ayant soumis toutes ces contrées et exigé des otages de chaque tribu, il revint vers Tanger et s'empara de cette ville.

Le gouverneur plaça à Tanger un berbère converti du nom de Tarik, auquel il laissa un corps nombreux de cavaliers indigènes. Vingt-sept Arabes restèrent également dans la contrée pour instruire les Berbères dans la religion musulmane. Vers 708, le gouverneur rentra à Kaïrouan en rapportant un butin considérable dont le quint fut envoyé au khalife. Il s'occupa avec activité des intérêts de la religion. « Toutes les anciennes églises des chrétiens. furent transformées en mosquées », dit l'auteur du Baïan. La conquête de l'Afrique septentrionale était terminée; mais ce théâtre. n'était déjà plus assez vaste pour les Arabes; ils allaient reporter sur l'Europe leur ardeur et faire trembler la chrétienté dans ses fondements. Déjà, depuis quelques années, ils exécutaient d'audacieuses courses sur mer et portaient la dévastation sur les rivages de la Sicile, de la Sardaigne et des Baléares.

Ainsi, en un peu plus de cinquante ans, fut consommé l'asservissement du peuple berbère aux Arabes, et l'Afrique devint mu sulmane. Mais, si la Berbérie avait changé de maîtres, aucun élément nouveau de population n'y avait été introduit. Le gouverneur arabe de Kaïrouan remplaçait le patrice byzantin de Karthage. De petites garnisons laissées dans les postes importants, des missionnaires parcourant les tribus pour répandre l'islamisme, ce fut à quoi se borna l'occupation. Le Magreb, tout en se laissant extérieurement arabiser, demeura purement berbère. La faiblesse de l'occupation, qui ne fut pas complétée par une immigration coloniale, devait permettre aux indigènes de se débarrasser bientôt de la domination du khalifat.

1. Akhbar Madjouma, apud Dozy, Recherches sur l'histoire de l'Espagne, t. I, p. 45.

2. Tafilala.

CHAPITRE III

CONQUÊTE DE L'ESPAGNE.

REVOLTE KHAREDJITE

709- 750

Habhab.

-

Le comte Julien pousse les Arabes à la conquête de l'Espagne. Conquête de l'Espagne par Tarik et Mouça. Destitution de Mouça. Situation de l'Afrique et de l'Espagne. Gouvernement de Mohammed-ben-Yezid. -Gouvernement d'Ismaïl-ben - Abd - Allah. Gouvernement de Yezid - benAbou-Moslem; il est assassinė. Gouvernement d'Obéïd-Allah-ben-ElGouvernement de Bichr-ben-Safouane. - Incursions des Musulmans en Gaule; bataille de Poitiers. Despotisme et exactions des Arabes. Révolte de Meicera, soulèvement général des Berbères. Défaite de Koltoum à Ouad-Sebou. Victoires de Hendhala sur les Kharedjites. Révolte de l'Espagne; les Syriens y sont transportés. - Abd-er-Rahmanben-Habib usurpe le gouvernement de l'Ifrikiya. Chute de la dynastie oméïade: établissement de la dynastie abbasside.

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LE COMTE JULIEN POUSSE LES ARABES A LA CONQUÊTE DE L'ESPAGNE. - Si toute résistance ouverte avait cessé en Afrique, le pays ne pouvait cependant pas être considéré comme soumis d'une façon définitive. Les Berbères étaient plutôt épuisés que domptés, et l'on devait s'attendre à de nouvelles révoltes, aussitôt qu'ils auraient eu le temps de reprendre haleine. Un événement inattendu vint en ajourner l'explosion, en fournissant un aliment aux forces actives berbères.

En 709, Wittiza, roi des Goths d'Espagne, étant mort, un de ses guerriers, nommé Roderik, s'empara du pouvoir, ou peut-être y fut porté par acclamation, au détriment des fils de son prédécesseur, nommés Sisebert et Oppas'. Ceux-ci vinrent à Ceuta demander asile au comte Julien et furent rejoints en Afrique par les partisans de la famille spoliée. Peut-être faut-il ajouter à cela la tradition d'après laquelle une fille de Julien, qui se trouvait à la cour des rois goths, aurait été outragée par Roderik. Toujours est-il que Julien devint l'ennemi le plus acharné de cette dynastie et ne songea qu'à tirer de son chef la plus éclatante vengeance. Entré en relations avec Tarik, gouverneur de Tanger, il ouvrit à ce Berbère son petit royaume et le poussa à envahir l'Espagne, lui

1. Akhbar Madjouma, loc. cit., p. 46.

offrant de lui servir de guide et lui donnant des renseignements précieux sur l'intérieur du pays.

Le khalife Abd-el-Malek était mort et avait été remplacé par son fils El-Oualid, en 705. Mouça ne pouvait se lancer dans une entreprise telle que la conquête de l'Espagne, sans lui demander son assentiment; mais le khalife voulut avant tout qu'on reconnût bien les lieux. «Faites explorer l'Espagne par des troupes légères, mais << gardez-vous d'exposer les Musulmans aux périls d'une mer ora<< geuse, » telles furent ses instructions. En conséquence, Mouça chargea un de ses clients nommé Tarif d'aller faire une reconnaissance, et lui confia dans ce but quatre cents hommes et cent chevaux 1. Ayant abordé à l'île qui reçut son nom (Tarifa), ce général occupa Algésiras et reconnut que sa baie était fort propice à un débarquement. Il rentra en Afrique avec un riche butin et de belles captives (710).

CONQUÊTE DE L'ESPAGNE PAR TARIK ET MOUÇA. — Le khalife ayant alors autorisé l'expédition, on établit un camp près de Tanger et bientôt une armée de sept ou huit mille Berbères convertis, avec trois cents Arabes comme chefs, s'y trouva concentrée. En mai 711, l'armée traversa le détroit, au moyen de quatre navires fournis sans doute par Julien, et aborda au pied du mont Calpé, qui fut appelé du nom du chef de l'expédition Djebel Tarik. Ce général reçut encore un renfort de cinq mille Berbères, puis, ayant brûlé ses vaisseaux, il pénétra dans l'intérieur du pays, guidé par le comte Julien.

Roderik était occupé à combattre les Basques, dans le nord de son royaume. En apprenant l'invasion des Arabes, il réunit des forces s'élevant, dit-on, à cent mille hommes, et marcha contre les ennemis. La rencontre eut lieu en un endroit appelé par certains auteurs arabes Ouad-Bekka3, et les ennemis en vinrent aux mains le 17 juillet. Pendant huit ou neuf jours consécutifs, il y eut une suite de combats, mais les ailes de l'armée des Visigoths

1. Akhbar Madjouma, loc. cit., p. 47 .

2. On a beaucoup discuté sur le chiffre et la composition de cette armée expéditionnaire. Nous adoptons les renseignements fournis à cet égard par En-Nouéiri, p. 344 et suiv., Ibn-Khaldoun, t. I, p. 245, et ElKairouani, p. 58. L'Akhbar Madjouma donne le chiffre de 7,000 Berbères.

3. D'autres ont écrit ouad Leka, et cette rivière a été assimilée au Guadalete. Mais Dozy a établi qu'il faut adopter Ouad-Bekka, contrée qui se trouve à une lieue au nord de l'embouchure du Barbate, non loin du cap Trafalgar, entre Vejer de la Frontera et Cornil.» (Recherches sur l'histoire de l'Espagne, t. I, p. 314 et suiv.).

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