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De son côté, Rome reconnaissait l'intégrité du territoire de Karthage.

Les conséquences de la première guerre punique furent considérables, et permirent de mesurer la puissance acquise par Rome depuis un demi-siècle. Suzeraine de l'Italie méridionale et de la Sicile et maîtresse de la mer, voilà dans quelles conditions la laissait la conclusion de la paix, ou plutôt de la trêve. Quant à Karthage, sa situation était tout autre: son prestige maritime compromis, ses finances ruinées, son autorité sur les Berbères ébranlée, tels étaient pour elle les fruits de cette fatale guerre, Certes, elle était encore capable de grands efforts et devait le prouver avant peu; néanmoins ses jours de grandeur étaient passés et son déclin approchait.

MAINS.

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La

DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES DE L'AFRIQUE ADOPTÉES PAR LES ROdes Romains contre Karthage et surtout guerre leur descente en Afrique leur donnèrent des connaissances précises sur le continent que les Grecs avaient nommé Libye. Ils donnèrent, les premiers, le nom d'Afrique au territoire de Karthage, en conservant celui de Libye pour l'ensemble du pays, mais, peu à peu, l'appellation d'Afrique devint générale. Ils surent dès lors que cette vaste contrée était habitée par un grand nombre de peuplades indigènes, dont les Phéniciens n'étaient pas partout les maîtres, mais souvent les alliés ou les hôtes.

Voici quelles furent les divisions adoptées par les Romains pour la géographie africaine:

1o Cyrénaïque ou Libye pentapole, bornée à l'est par la Marmarique et, à l'ouest, par la Grande-Syrte, et habitée par différentes peuplades parmi lesquelles les Nasamons et les Psylles.

2o Région Syrtique, comprenant les deux Syrtes, et habitée par les Troglodytes, Lothophages, Makes, etc.

30 Afrique propre ou Territoire de Karthage, correspondant à peu près à la Tunisie actuelle, sous la domination directe des Karthaginois. Dans la partie méridionale se trouve la grande tribu des Musulames et, près du Triton, celle des Zouèkes.

4° Numidie, s'étendant de l'Afrique propre à la Molochath ou Mouloeuia. Elle est divisée en deux royaumes: celui des Massiliens à l'est avec Hippo-Regius (Bône), ou Zama, pour capitale, et celui des Masséssyliens à l'ouest, capitale Siga1. La ville de Kirta

1. Auprès de l'embouchure de la Tafna. Il est à remarquer, du reste, que la Massœssylie, c'est à dire le pays situé à l'ouest de l'Amsaga, constituait en réalité la partie orientale de la Maurétanie. Nous lui verrons

(ou Cirta) sur l'Amsaga était, en quelque sorte, la capitale de la Numidie occidentale.

5° Maurétanie ou Maurusie, s'étendant à l'ouest de la Numidie jusqu'à l'Océan. Elle est habitée par un grand nombre de peuplades maures.

6° Gétulie, région située au sud de la Numidie et de la Maurétanie, et formant la ligne du Sahara qui rejoint les Hauts-Plateaux. Elle est habitée par les Gétules nomades.

par

70 Libye intérieure, comprenant les déserts africains. Habitée les Garamantes, Mélano-Gétules, Leucœthiopiens et des peuplades fantastiques, telles que les Blemmyes, ayant le visage au milieu de la poitrine, et les Egypans aux jambes de bouc. Strabon et Pline ne tarderont pas à reproduire ces fables.

Les peuplades berbères obéissent à des chefs, véritables rois, dont le pouvoir se transmet à leurs enfants par hérédité et que nous allons voir entrer en scène.

GUERRE DES MERCENAIRES. Au moment de la conclusion de la paix, vingt mille mercenaires se trouvaient en Sicile, et il fallut, tout d'abord, évacuer cette armée composée des éléments les plus divers Gaulois, Ligures, Baléares, Macédoniens et surtout Libyens. Giscon, successeur de Amilcar, les expédia par fractions à Karthage, où ils ne tardèrent pas à créer une situation périlleuse, car non seulement il fallut les nourrir, mais encore payer leur solde arriérée. Les désordres commis par cette soldatesque devinrent si intolérables que le gouvernement de Karthage se décida à donner à chaque homme une pièce d'or à la condition qu'il irait s'établir à Sicca', sur la frontière de la Numidic. Les Phéniciens, qui avaient espéré s'en débarrasser par ce moyen, jugèrent le moment favorable pour proposer aux mercenaires une réduction considérable sur leur solde. Aussitôt la révolte éclate: en vain Karthage essaie de parlementer et dépêche aux stipendiés plusieurs parlementaires, et enfin le général Giscon avec lequel ceux-ci avaient demandé à traiter; les soldats redoublent d'exigences. Au milieu d'un tumulte effroyable, ils élisent pour chefs deux des leurs, le campanien Spendius et le berbère Mathos. Giscon, abreuvé d'outrages, est arrêté par les rebelles qui adressent un appel aux indigènes. Aussitôt la révolte se propage et l'armée des mercenaires devient formidable; elle se divise en deux troupes dont

prendre ce nom, aussitôt que les conquêtes des Romains leur auront mieux fait connaître le pays.

1. Actuellement le Kef.

2. Polybe, LI, ch. LXVII et suiv.

l'une vient attaquer Hippo-Zarytos (Benzert) et l'autre met le siège devant Utique (239).

Dans cette circonstance critique Karthage, au lieu de remettre la direction de la guerre à Amilcar, le seul homme capable de la mener à bien, préféra donner le commandement de ses troupes à Hannon, qui avait déjà fourni la mesure de son incapacité en Sicile. De grands efforts furent faits pour résister à l'attaque des rebelles; mais deux échecs successifs essuyés par le général décidèrent les Karthaginois à le remplacer par Amilcar. Il était temps, car la levée de boucliers des Berbères était générale et les jours de Karthage semblaient comptés. L'histoire de l'Afrique fournit de nombreux exemples de ces tumultes des indigènes, feux de paille qui semblent devoir tout embraser et qui s'éteignent d'euxmêmes, si la résistance est entre des mains fermes et expérimentées.

En 238, Amilcar avait pris la direction des affaires; bientôt les rebelles furent contraints de lever le siège d'Utique; le général karthaginois, continuant une vigoureuse offensive, infligea aux mercenaires une défaite sérieuse près du fleuve Bagradas (Medjerda) et s'empara d'un certain nombre de villes. Cependant Tunès était toujours aux mains des stipendiés et Mathos continuait le siège de Hippo-Zarytos. Spendius et Antarite, chefs des Gaulois, se détachèrent de ce blocus pour marcher contre les Karthaginois et les mirent en grand péril; mais l'habile Amilcar, qui connaissait les indigènes, était parvenu à détacher de la cause des rebelles un Berbère nommé Naravase. Soutenu par les forces de son nouvel allié, il attaqua résolument les mercenaires et, grâce à sa stratégie et au courage de ses soldats, parvint encore à les vaincre; ils laissèrent un grand nombre de morts sur le champ de bataille et quatre mille prisonniers entre les mains des vainqueurs.

Une des premières conséquences de cette défaite fut la mise à mort de Giscon et de sept cents prisonniers karthaginois que les mercenaires firent périr dans les tortures. Dès lors, la lutte fut, de part et d'autre, suivie de cruautés atroces, ce qui lui valut dans l'histoire le nom de guerre inexpiable. En même temps, Karthage perdait la Sardaigne qu'elle avait laissée à la garde d'une troupe de mercenaires; ceux-ci, suivant l'exemple de leurs collègues d'Afrique, massacrèrent les Phéniciens qui se trouvaient dans l'île et, après avoir commis mille excès, l'offrirent aux Romains. Pour comble de malheur, Utique et Hippo-Zarytos, las de résister, ouvrirent leurs portes aux rebelles. Mathos et Spendius, encouragés par ces succès, vinrent alors, à la tête d'une grande multitude, mettre le siège devant Karthage. La métropole punique

réduite de nouveau à la dernière extrémité se vit contrainte d'implorer le secours de Hiéron de Syracuse et des Romains, qui s'empressèrent de l'aider à résister à l'attaque des mercenaires; en même temps Amilcar, soutenu par Naravase, inquiétait les rebelles sur leurs derrières et les attirait à des combats en plaine, où il avait presque toujours l'avantage (237). Contraints de lever le siège de Karthage, les stipendiés se laissèrent pousser par Amilcar dans une sorte de défilé que les historiens appellent défilé de la Hache, où ils se trouvèrent étroitement bloqués, et, comme ils ne voulaient pas se rendre, ils furent bientôt en proie à la plus affreuse famine et contraints, dit l'histoire, de s'entre-dévorer. Ne pouvant plus résister à leurs souffrances, les chefs Spendius, Antarite, un Berbère du nom de Zarzas et quelques autres, se présentèrent, pour traiter, à Amilcar, qui stipula que dix rebelles à son choix seraient laissés à sa disposition et les retint prisonniers. Puis, il fit avancer ses troupes et ses éléphants contre les rebelles et les extermina sans faire de quartier. Il en périt, dit-on, quarante mille.

La révolte semblait domptée; mais Tunès tenait encore. Mathos s'y était retranché avec des forces importantes. Amilcar, étant venu l'y assiéger, fut défait, ce qui ajourna pour quelque temps encore l'issue de la campagne. Enfin Karthage, s'étant résolue à un suprême effort, adjoignit Hannon à Amilcar en chargeant les deux généraux d'en finir. Bientôt, en effet, les Karthaginois amenèrent Mathos à tenter le sort d'une bataille en rase campagne et parvinrent à l'écraser. Cette fois, c'en était fait des mercenaires; la révolte était domptée et Karthage échappait à un des plus grands dangers qu'elle eût courus. L'attitude des Berbères pendant cette guerre put lui prouver combien sa domination en Afrique était précaire, car, sans leur appui et leur coopération, les mercenaires n'auraient jamais pu tenir la campagne pendant si longtemps et avec tant de succès'.

Karthage, aprÈS AVOIR RÉTABLI SON AUTORITÉ EN Afrique, porte LA GUERRE EN ESPAGNE. Après avoir fait rentrer sous leur obéissance les villes compromises par l'appui donné aux rebelles, et notamment Utique et Hippo-Zarytos, qui opposèrent une résistance désespérée, les Karthaginois firent plusieurs expéditions dans l'intérieur, tant pour châtier les Berbères que pour

1. V. pour la guerre des mercenaires: Polybe, 1. I, Corn. Nepos, Amilcar, Tite-Live 1. XX, Justin, XXVII.

garantir la limite méridionale par une ligne de postes. Ils occupèrent notamment, alors, la ville de Theveste (Tébessa).

Dès qu'elle ne fut plus absorbée par le soin de son salut, Karthage songea aussi à réoccuper la Sardaigne; mais Rome, apprenant qu'elle préparait une flotte expéditionnaire, imposa son veto absolu et, comme on ne tenait pas compte de sa défense, elle se disposa à recommencer la guerre contre sa rivale. Mais la métropole punique était encore trop meurtrie de la lutte qu'elle venait de soutenir pour se résoudre à entreprendre une nouvelle guerre. Force lui fut de plier devant les exigences romaines et de renoncer à toute prétention sur la Sardaigne (237).

Karthage tourna alors ses regards vers l'Espagne où il semblait que Rome devait lui laisser le champ libre. Amilcar, autant pour échapper à l'envie de ses concitoyens qui, comme récompense de ses services, l'avaient décrété d'accusation, que pour continuer à servir sa patrie, accepta le commandement de l'expédition dont le prétexte était de secourir Gadès (Cadix), colonie punique alors attaquée par ses voisins. Pour mieux surprendre ses ennemis, il quitta Karthage en simulant une expédition contre les Maures. Il emmenait avec lui ses fils, parmi lesquels le jeune Hannibal', auquel il fit jurer, sur l'autel du Dieu suprême, la haine du nom romain. Il marcha le long de la côte en emmenant un grand nombre d'éléphants; la flotte le suivait, au large, à sa hauteur. Parvenu à Tanger, il traversa le détroit. La victoire couronna les efforts d'Amilcar; pendant neuf ans, il ne cessa de conquérir des provinces à Karthage; mais en 228 il trouva la mort du guerrier dans un combat contre les Lusitaniens 2.

Asdrubal, gendre de

SUCCÈS DES KARTILAGINOIS EN ESPAGNE. Amilcar, remplaça celui-ci dans la direction des affaires d'Espagne. Doué d'un esprit politique supérieur, il consolida, par des alliances et des traités avec les populations indigènes, les succès de son beaupère, fonda la cité de Karthagène et réalisa en Espagne de grands progrès. Tout le pays jusqu'à l'Ebre fut administré au nom du gouvernement karthaginois, par Asdrubal, chef de la famille des Barcides, dont le pouvoir fut, en réalité, celui d'un vice-roi à peu près indépendant. Karthage, recevant de riches tributs et voyant dans les conquêtes de son général une compensation à ses pertes dans la Méditerranée, lui laissa le champ libre.

1. Henn-baal, ou Baal Henna, don de Dieu, en punique.

2. Cornelius Nepos, Amilcar, III.

3. De Barka ou Barca (surnom de Amilcar).

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