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se jetèrent sur son camp pour le livrer au pillage et achevèrent la déroute de son armée. Stozas se réfugia dans la Maurétanie et Germain put s'apppliquer à rétablir l'ordre en Afrique.

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EXPÉDITIONS DE SALOMON. En 539 Germain fut rappelé par l'empereur et remplacé par Salomon élevé, pour la seconde fois, aux fonctions de gouverneur. Son premier soin, dès son arrivée en Afrique, fut de reprendre l'organisation de l'expédition de l'Aourès, que la révolte avait interrompue trois ans auparavant. Pour s'assurer la neutralité des Maures de la Byzacène, il aurait, paraît-il 1, attribué à Antalas, le commandement de tous les Berbères de l'est, en lui assignant une solde et le titre de fédéré. Au printemps de l'année suivante, il se mit en marche. La campagne débuta mal. Un officier du nom de Gontharis, ayant poussé une reconnaissance jusque sur l'Ouad-Abigas, se heurta à un fort rassemblement et fut contraint de chercher un refuge derrière les murailles de la ville déserte de Baghaï. Les indigènes, se servant des canaux d'irrigation, purent inonder son camp et rendre sa situation intolérable. Il fallut que Salomon lui-même vînt le délivrer. Puis les troupes byzantines, pénétrant dans la montagne, mirent en déroute Yabdas et ses Berbères, malgré leur grand nombre et la force des positions qu'ils occupaient.

Le roi maure s'était réfugié à Zerbula. Salomon vint l'y bloquer, après avoir ravagé Thamugas. Forcé de fuir encore, Yabdas gagna Thumar, « position défendue de tous côtés par des précipices et des rochers taillés à pic ». Le général byzantin l'y relança et, ne pouvant songer à l'escalade, dut se contenter de bloquer étroitement l'ennemi. Ce siège se prolongea et les troupes souffraient beaucoup du manque d'eau et de provisions, lorsque des soldats réussirent à s'emparer d'un passage mal gardé par les Maures : secondés par un assaut de l'armée, ils parvinrent à enlever la position. Yabdas blessé put néanmoins s'échapper et se réfugier en Maurétanie.

Cette fois les Byzantins étaient maîtres de l'Aourès; ils y trouvèrent les trésors du prince berbère. Après avoir fait occuper deux points stratégiques dans ces montagnes, Salomon se porta dans le Zab et de là dans le Hodna et la région de Sitifis, forçant partout les indigènes à la soumission et relevant les ruines des cités et des forteresses. Le souvenir de ses travaux dans la région sitifienne a été conservé par les inscriptions. Zabi, la métropole du Hodna,

1. Tauxier, Notice sur la Johannide (Rev. afr., no 118, p. 293). 2. Actuellement Mecila.

fut réédifiée par lui et reçut le nom de Justiniana1. De là, Salomon s'avança sans doute, vers l'ouest, jusque dans la région du haut Mina, car le récit de cette expédition se trouve retracé sur une pierre, dont l'inscription est relatée par les auteurs arabes et a été retrouvée près de Frenda.

Ainsi Salomon acheva la conquête de l'Afrique que Bélisaire avait enlevée aux Vandales, mais qu'il fallait reprendre aux indigènes. Une tradition berbère qui annonçait la conquête de l'Afrique par un homme sans barbe se trouva réalisée, car on sait que Salomon était eunuque et avait le visage glabre. Après avoir terminé les opérations militaires, le gouverneur s'appliqua à régulariser la marche de l'administration et mérita par sa justice la reconnaissance des populations depuis si longtemps opprimées.

REVOLTE DES LEVATHES. MORT DE SALOMON. En 543, l'empereur détacha la Pentapole et la Tripolitaine de l'Afrique; il, s'était appliqué à relever les villes de la Cyrénaïque de leurs ruines et plaça à la tête de cette province, comme gouverneur de la Pentapole, Cyrus, neveu de Salomon. Sergius, autre neveu de Salomon, reçut le commandement de la Tripolitaine, où se trouvait toujours Pudentius.

Peu de temps après, quatre-vingts cheikhs de la grande tribu des Levathes étant venus à Leptis magna, où se trouvait Sergius, pour recevoir selon l'usage l'investiture de leur commandement et présenter leurs doléances, ces malheureux furent massacrés dans la salle où ils étaient réunis, parce que, dit-on, ils étaient soupçonnés d'un complot. Un seul d'entre eux s'échappa et appela aux armes les guerriers de la tribu qui s'étaient rapprochés. Sergius marcha contre eux, les mit en déroute et s'empara de tout leur butin, ainsi que de leurs femmes et de leurs enfants. Pudentius avait trouvé la mort dans le combat.

se

Ce fut l'occasion d'une levée générale de boucliers chez les Berbères de la Tripolitaine. Antalas, auquel, selon M. Tauxier, Salomon avait retiré sa solde et ses avantages, se joignit à eux, avec ses guerriers, et tous marchèrent vers le nord. Salomon rendit à Tébessa pour les arrêter dans leur marche. Il devait s'y rencontrer avec Coutzinas et les Maures alliés et Pelagius, duc de Tripolitaine. Mais ces deux chefs furent vaincus isolément; le dernier périt même dans la bataille et il en résulta que Salomon

1. Poulle, Rev. afr., no 27, pp. 190 et suiv.

2. Ibn-Khaldoun, trad. de Slane, t. I, p. 234, II, p. 540. 3. Les Louata des auteurs arabes.

se trouva seul avec un faible corps de troupes. Il proposa aux rebelles de traiter, mais les Berbères, qui se sentaient en forces, entamèrent le combat et ne tardèrent pas à mettre en fuite les Byzantins. Salomon entraîné dans la déroute, ayant été désarçonné, fut massacré par les indigènes.

Les Levathes et leurs alliés s'avancèrent alors jusqu'à Laribus; mais ils se retirèrent après avoir reçu des habitants de cette ville une rançon de trois mille écus d'or (545).

PÉRIODE D'ANARCHIE.

Sergius, l'auteur de ces désastres, fut nommé par Justinien gouverneur de l'Afrique. On ne pouvait faire un plus mauvais choix. Bientôt il sut tourner tout le monde contre lui et l'anarchie devint générale.

Stozas, qui avait quitté la Maurétanie et s'était joint à Antalas portait le ravage et la désolation dans les malheureuses campagnes de la Byzacène et de la Numidie, sans que Sergius prît les moindres mesures pour protéger les colons. Il en résulta une véritable émigration les populations quittèrent non seulement les campagnes, mais l'Afrique, et allèrent se réfugier dans les îles de la Méditerranée et même en Orient. Ce fut une des périodes les plus funestes à la colonisation africaine. Stozas poussa l'audace jusqu'à proposer à Justinien de rétablir la paix, si Sergius était rappelé. L'empereur, sans daigner répondre à cette proposition, envoya en Afrique un sénateur du nom d'Aréobinde, absolument étranger au métier des armes, en le chargeant de combattre les Maures de la Numidie, tandis que Sergius réduirait ceux de la Byzacène.

Stozas, qui avait augmenté son armée d'un grand nombre d'aventuriers et de transfuges, se tenait, avec Antalas et les Maures, aux environs de Sicca-Veneria'. Aréobinde fit marcher contre lui un de ses meilleurs officiers, du nom de Jean. Les deux troupes en vinrent aux mains et, dans le combat, Jean et Stozas trouvèrent la mort. Les Byzantins se retirèrent en désordre, tandis que les rebelles élisaient un autre chef.

Ce nouvel échec décida Justinien à rappeler Sergius (546). Aréobinde restait seul et il n'était pas de taille à tenir tête aux difficultés du moment, car l'anarchie était à son comble et la révolte partout. Gontharis, ancien officier de Salomon, entra alors en pourparlers avec les principaux chefs berbères : Yabdas, Cutzinas et Antalas, et les poussa à exécuter une attaque générale, de concert avec les bandes de Stozas. A l'approche de l'ennemi, Aréobinde fit rentrer toutes ses garnisons et confia le commande

1. Le Kef.

ment des troupes à Gontharis lui-même. Peu de jours après, le traître, ayant fomenté une sédition parmi les soldats, en profita pour assassiner le gouverneur et s'emparer du pouvoir.

Gontharis avait promis à Antalas la moitié de l'Afrique, mais, une fois maître de l'autorité, il refusa de tenir ses promesses, et il en résulta une rupture entre lui et le chef maure. Par haine de celui-ci, Cutzinas vint se joindre à Gontharis en lui amenant les soldats de Stozas, Vandales, Romains et Massagètes. Antal as fut battu par un officier arménien du nom d'Artabane qui, peu après, assassina Gontharis dans un festin (516); trente-six jours s'étaient écoulés depuis le meurtre d'Aréobinde.

JEAN TROGLITA GOUVERNEUR D'AFRIQUE. IL RÉTABLIT LA PAIX. Justinien voulut récompenser Artabane en le nommant gouverneur de l'Afrique, mais cet officier, ayant d'autres projets, déclina l'honneur qui lui était offert1. L'empereur choisit alors un autre officier du nom de Jean Troglita, qui se trouvait à la guerre de Mésopotamie et auquel il donna le commandement de toute l'Afrique. Jean avait servi avec distinction en Berbérie, sous les ordres de Bélisaire et de Germain; il connaissait donc les hommes et les choses du pays et, comme il était doué de remarquables qualités militaires, le choix de l'empereur était fort heureux; l'on n'allait pas tarder à s'en apercevoir.

Débarqué à Caput-Vada, avec une très faible armée, Jean se porta en trois jours jusqu'auprès de Karthage et recueillit dans son camp tous les soldats dispersés, capables de rendre quelques services. Puis il alla attaquer Antalas et ses bandes qui bloquaient la ville. « Les Berbères s'étaient rangés en bataille et, de plus, selon une tactique qui leur était familière, ils s'étaient, en cas d'insuccès, ménagé un réduit dans une enceinte carrée formée de plusieurs rangs de chameaux et de bêtes de somme. Ces précautions, pourtant, ne les sauvèrent pas d'une défaite complète. Jerna, grand-prêtre de Louata, en essayant de sauver du pillage l'idole adorée par ces peuples, s'attarda dans la déroute et fut tué par un cavalier romain3. » Antalas chercha un refuge dans le désert.

Karthage était débloquée et la Byzacène reconquise; mais les Berbères étaient loin d'avoir été abattus. Bientôt Jean app rit que les Louata (Levathes), alliés aux Nasamons et aux Gararmantes, accouraient vers le nord sous le commandement d'un nouveau et terrible chef, dont Corrippus nous a transmis le nom sous la forme

1. Fournel, Berbers, p. 101.

2. Tauxier, Johannide, (loc. cit.), p. 296.

de Carcasan1. On était alors au cœur de l'été de l'année 547. Jean se porta contre les envahisseurs, mais il essuya une défaite et dut se réfugier derrière les remparts de Laribus. La situation était critique. Jean n'hésita pas à faire appel aux indigènes, en tirant parti de l'esprit de rivalité qui a toujours été si fatal aux Berbères. Cutzinas, Ifisdias, chefs d'une partie de l'Aourès, et Yabdas luimême lui promirent leur appui.

Cependant les hordes d'Antalas dévastaient la Byzacène et arrivaient jusqu'aux portes de Karthage. Troglita, assuré sur ses derrières et ayant reçu d'importants renforts, quitta sa position fortifiée et alla chercher Antalas dans la plaine. Les deux armées se rencontrèrent au lieu dit le champ de Caton, et la victoire des Byzantins fut complète. Un grand nombre d'indigènes restèrent sur le champ de bataille. Dix-sept chefs de tribus, parmi lesquels le terrible Carcasan, furent tués et l'on promena leurs dépouilles dans les rues de Karthage. Antalas fit sa soumission (548).

La nation berbère

ETAT DE L'AFRIQUE AU MILIEU DU VI SIÈCLE. se trouvait encore une fois vaincue et, grâce aux succès de Troglita, l'empire conservait sa province d'Afrique; mais combien était précaire la situation de cette colonie, réduite à une partie de la Tunisie et de la province de Constantine actuelles. Partout l'élément indigène avait repris son indépendance et ce n'était que grâce à l'appui des principicules berbères, véritables rois tributaires, que les Byzantins se maintenaient en Afrique. Les campagnes étaient absolument ruinées: « Lorsque Procope débarqua en Afrique pour la première fois, il admira la population des villes et des campagnes et l'activité du commerce et de l'agriculture. En moins de vingt ans, ce pays n'offrit plus qu'une immense solitude; les citoyens opulents se réfugièrent en Sicile et à Constantinople et Procope assure que les guerres et le gouvernement de Justinien coûtérent cinq millions d'hommes à l'Afrique. »

Selon Procope, les Maures, après les victoires de Troglita, semblaient de véritables esclaves 3, et l'on vit un grand nombre d'entre eux, qui étaient redevenus païens, se convertir au christianisme. Mais nous pensons qu'il parle d'une manière trop générale, et que ces faits ne peuvent s'appliquer qu'aux indigènes voisins des postes de l'Afrique propre et de la Numidie. La race berbère prise dans

1. Johannide, poème en l'honneur de Jean Troglita, par Fl. Cres. Corippus, lib. V.

2. Gibbon, Hist. de la décadence de l'Empire romain, t. II, ch. XLIII. 3. Anecdotes, ch. xviii.

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