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CHAPITRE XI

PÉRIODE BYZANTINE

531-642

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Justinien prépare l'expédition d'Afrique. Départ de l'expédition. Bélisaire débarque à Caput-Vada. Première phase de la campagne. - Défaite des Vandales conduits par Ammatas et Gibamond. Succès de Bélisaire. Il arrive à Karthage. — Bélisaire à Karthage. Retour des Vandales de Sardaigne. Gélimer marche sur Karthage. Bataille de Tricamara. Fuite de Gélimer. Conquêtes de Bélisaire. Gélimer se rend aux Grecs. Disparition des Vandales d'Afrique. Organisation de l'Afrique byzantine; état des Berbères. Luttes de Salomon contre les Berbères. Révolte de Stozas. Expéditions de Salomon. - Révolte des Levathes; mort de Salomon. Période d'anarchie. Jean Troglita gouverneur d'Afrique; il rétablit la paix. - Etat de l'Afrique au milieu du vie siècle. - L'Afrique pendant la deuxième moitié du vie siècle. - Derniers jours de la domination byzantine. - Appendice: Chronologie des rois Vandales.

JUSTINIEN PRÉPARE L'EXPÉDITION D'AFRIQUE. Seul héritier de l'empire romain, Justinien nourrissait l'ambition de le rétablir dans son intégrité et d'arracher aux barbares leurs conquêtes de l'Occident. C'est pourquoi l'hommage d'Hildéric avait été accueilli à la cour de Byzance avec la plus grande faveur: la chute du royaume vandale, en livrant à l'empereur la belle et fertile Afrique, était aussi une première étape vers la reconstitution de l'empire. La nouvelle de l'usurpation de Gélimer, arrivant sur ces entrefaites, émut Justinien «< comme si on lui avait arraché une de ses provinces »1. Renonçant à poursuivre la guerre dispendieuse qu'il soutenait contre les Perses depuis cinq ans, il leur acheta la paix moyennant un tribut évalué à onze millions de francs, et s'appliqua à préparer l'expédition d'Afrique malgré l'opposition qu'il rencontra chez ses ministres, effrayés de la grandeur de l'entreprise. On dit même qu'il fut un instant sur le point d'y renoncer et que c'est la prédiction d'un évêque d'Orient, saint Sabas, lui promettant le succès, qui le décida à réaliser son projet. Il apprit alors qu'un Africain, du nom de Pudentius, venait de s'emparer de Tripoli et lui offrait d'entreprendre pour lui des conquêtes, s'il recevait l'appui de quelques troupes. En même temps un certain

1. Yanoski, Vandales, p. 41.

Godas, chef goth, qui commandait en Sardaigne pour les Vandales, se mettait en état de révolte et offrait aussi son concours à l'empire.

Tous ces symptômes indiquaient que le moment d'agir était arrivé. Justinien le comprit et organisa immédiatement l'expédition dont le commandement fut confié à Bélisaire, habile général, jouissant d'une grande autorité sur les troupes et d'une réelle influence à la cour par sa femme Antonina, amie de l'impératrice. Des soldats réguliers, des volontaires de divers pays, et même des barbares, Hérules et Huns, accoururent avec enthousiasme au camp du général, où bientôt une quinzaine de mille hommes, dont un tiers de cavaliers, se trouvèrent réunis. On s'arrêta à ce chiffre, jugeant, avec raison, qu'une petite armée solide et bien dirigée était préférable à un grand rassemblement sans cohésion. Les officiers furent choisis avec soin par le général, parmi eux se trouvaient Jean l'Arménien, préfet du prétoire, et Salomon, dont les noms reviendront sous notre plume; presque tous les autres officiers étaient originaires de la Thrace. Le patrice Archelaüs fut adjoint à l'expédition comme questeur ou trésorier. Cinq cents. vaisseaux de toute grandeur furent rassemblés pour le transport de l'expédition; vingt mille marins les montaient.

DÉPART DE L'EXPÉDITION. Bélisaire débarQUE A CAPUT-VADA. En 533, « vers le solstice d'été »1, on donna l'ordre de l'embarquement et ce fut l'occasion d'une imposante cérémonie à laquelle présida l'empereur. L'archevêque Epiphanius, en présence du peuple et de l'armée bénit le vaisseau où s'embarqua Bélisaire, accompagné de sa femme et de Procope, son secrétaire, qui nous a retracé l'histoire si complète de cette expédition. L'immense flotte se mit en route et voyagea lentement, troublée quelquefois dans sa marche par la tempête, et faisant souvent escale dans les ports situés sur son chemin, pour se remettre de ces secousses, ou se ravitailler. Bélisaire montra dans ce voyage autant d'habileté que de fermeté; comme tous les hommes de guerre, il savait qu'il n'y a pas d'armée sans discipline et réprimait avec la dernière rigueur toute infraction aux règles, sans s'arrêter aux murmures ou aux menaces des auxiliaires.

Enfin on atteignit le port de Zacinthe en Sicile, où l'armée, qui souffrait cruellement de la mauvaise qualité des vivres et de l'eau, put se refaire. Bélisaire manquait de nouvelles sur la situation et les dispositions des Vandales et était fort incertain sur le choix du

1. Procope, Bell. Vand., lib. I, cap. xii.

point de débarquement. Il chargea Procope de se rendre à Syracuse pour tâcher d'obtenir des renseignements et en même temps passer un marché avec les Ostrogoths pour l'approvisionnement de la flotte et de l'armée. L'envoyé fut assez heureux pour apprendre d'une manière sûre que les Vandales, ne s'attendant nullement à une attaque de l'empire, avaient envoyé presque toutes leurs forces en Sardaigne à l'effet de réduire Godas. Quant à Gélimer, il s'était retiré à Hermione, ville de la Byzacène, et ne songeait nullement à défendre Karthage.

Ainsi renseigné, Bélisaire donna l'ordre de mettre à la voile en se dirigeant à l'ouest de Malte. Parvenue à la hauteur de cette île, la flotte fut poussée par le vent vers la côte d'Afrique, en face du sommet du golfe de Gabès; elle était partie depuis trois mois. Avant de procéder au débarquement, le général en chef fit mettre en panne et convoqua un conseil de guerre des principaux officiers à son bord. Archélaüs, effrayé de l'éloignement de la localité et du manque de ports pour abriter les navires, voulait que l'on remît à la voile et qu'on allât directement à Karthage. Mais Bélisaire n'était pas de cet avis; il redoutait la rencontre de la flotte vandale, et craignait que son armée ne perdît ses avantages dans un combat naval. Son opinion ayant prévalu, il ordonna aussitôt le débarquement, qui s'opéra sans encombre au lieu dit Caput-Vada1. Des soldats furent laissés à la garde des navires qui furent en outre disposés dans un ordre permettant la résistance à une attaque de l'ennemi. A terre, le général s'attacha à couvrir son camp de retranchements et à se garder soigneusement par des avant-postes; toute tentative de pillage ou de maraudage fut sévèrement réprimée. Cette prudence, cette observation constante des règles de la guerre, allaient assurer le succès de l'expédition.

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PREMIERE PHASE DE LA CAMPAGNE. Cependant Gélimer, toujours à Hermione, ignorait encore le danger qui le menaçait. Les nouvelles données par Procope étaient exactes. Après la double perte de la Tripolitaine et de la Sardaigne, le prince vandale, remettant à plus tard le soin de faire rentrer sous son autorité la province orientale, réunit cinq mille soldats et les envoya en Sardaigne sous le commandement de son frère Tzazon, un des meilleurs officiers vandales. Une flotte de cent vingt vaisseaux les conduisit dans cette île, et aussitôt les opérations commencèrent contre Godas.

Le roi vandale suivait attentivement les phases de l'expédition

1. Actuellement Capoudia.

de Sicile, lorsqu'il apprit enfin le débarquement de l'armée byzantine en Afrique, et sa marche sur ses derrières. Bélisaire, en effet, après s'être emparé sans coup férir de la petite place de Sylectum', avait marché, dans un bel ordre, vers le nord, accompagné au large par la flotte, et avait pris successivement possession de Leptis parva et d'Hadrumėte, accueilli comme un libérateur par les populations. Il paraît même que les Berbères de la Numidie et de la Maurétanie lui envoyèrent des députations, offrant leur soumission à l'empereur et donnant comme otages les enfants de leurs chefs. En même temps, le général byzantin adressait aux principales familles vandales un manifeste de Justinien protestant qu'il ne faisait pas la guerre à leur nation, mais qu'il combattait seulement l'usurpateur Gélimer.

Bientôt l'on apprit que l'armée envahissante n'était plus qu'à quatre journées de Karthage. Gélimer écrivit à son frère Ammatas, resté dans cette ville, en lui donnant l'ordre de mettre à mort Hildéric et ses partisans, et d'appeler aux armes tous les hommes valides. Oamer était mort. Hildéric fut massacré avec tous les gens soupçonnés d'être ses amis. Puis Ammatas conduisit ses troupes en avant de Karthage, dans les gorges de Décimum, à une quinzaine de kilomètres de cette ville. Gélimer, qui opérait sur son flanc avec une autre armée, devait tenter de tourner l'ennemi, tandis que Gibamund, neveu du roi, avait pour mission d'attaquer le flanc gauche des envahisseurs à la tête de deux mille Vandales. Ce plan était assez bien combiné et aurait pu avoir des suites fâcheuses pour l'armée de Bélisaire, si l'on avait su le réaliser.

DÉFAITES DES VANDALES CONDUITS PAR AMMATAS ET GIBAMUND. Ammatas avait donné à ses troupes l'ordre du départ, mais, comme il était d'un caractère ardent et téméraire, il se porta à l'avant-garde et hâta la marche de la tête de colonne, sans s'inquiéter s'il était suivi par le reste de l'armée. Il arriva vers midi à Décimum, à la tête de peu de monde et y rencontra l'avant-garde des Byzantins, commandée par Jean l'Arménien. Aussitôt, on en vint aux mains malgré le courage d'Ammatas, qui combattit comme un lion et tomba percé de coups, les Vandales ne tardèrent pas à tourner le dos. Jean les poursuivit l'épée dans les reins et rencontra bientôt le reste des soldats, qui arrivaient par groupes isolés. Il en fit un grand carnage et s'avança jusqu'aux portes de Karthage.

1. Selecta, au nord du golfe de Gabès.

2. Lemta et Souça.

Pendant ce temps, Gibamund s'approchait avec ses deux mille hommes pour attaquer le flanc gauche, lorsqu'il rencontra, dans la plaine qui avoisine la Saline (Sebkha de Soukkara), le corps des Huns envoyé en reconnaissance. A la vue de ces farouches guerriers, les Vandales sentirent leur courage faiblir; ils rompirent leurs rangs et furent bientôt en déroute, en laissant la plupart des leurs sur le champ de bataille.

SUCCÈS DE BÉLISAIRE. IL ARRIVE A KARTHAGE. Bélisaire, ignorant le double succès de son avant-garde et de ses flanqueurs, s'arrêta en arrière de Décimum et plaça son camp dans une position avantageuse où il se fortifia. Le lendemain, laissant dans le camp son infanterie, ses impédimenta et sa femme Antonina, il se mit à la tête d'une forte colonne de cavalerie et alla pousser une reconnaissance sur Décimum. Les cadavres des Vandales lui firent deviner la victoire de son avant-garde et les informations qu'il prit sur place confirmèrent cette présomption, mais il ne put avoir aucune nouvelle précise de Jean l'Arménien.

Au même moment Gélimer débouchait dans la plaine où il espérait retrouver son frère. Il était à la tête d'un corps nombreux de cavalerie. Ayant rencontré les coureurs de Bélisaire, disséminés par petits groupes, il les attaqua avec vigueur et les mit en déroute. Puis, parvenu à Décimum, il trouva, lui aussi, les preuves de la défaite de son frère et le corps de celui-ci. Rempli de douleur, ne sachant ce qui se passait à Karthage, il demeura dans l'inaction, au lieu de compléter son succès en écrasant les ennemis peu nombreux qu'il avait devant lui et qui étaient démoralisés par leur premier échec.

Tandis que Gélimer s'occupait des fénérailles de son frère, le général byzantin, voyant le grand danger auquel il était exposé, ralliait ses fuyards, relevait leur courage en leur annonçant les succès déjà remportés sur lesquels il était enfin renseigné, et, tentant un effort désespéré, les entraînait dans une charge furieuse contre les Vandales. Gélimer, surpris par cette attaque imprévue, n'eut pas le temps de former ses lignes et vit bientôt toute son armée en déroute. Il alla se réfugier à Bulla. Le lendemain, toute l'armée byzantine campa à Décimum, y compris l'avant-garde et le corps des Huns. Le manque de décision de Gélimer avait consommé sa perte au moment où il tenait la victoire'. Bélisaire marcha aussitôt sur Karthage.

1. M. Marcus (Hist. des Vandales, p. 378), cherche à excuser Gélimer de la grande faute par lui commise en laissant à Bélisaire le temps de

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