Images de page
PDF
ePub

Ces bandes, qui rappellent celles de la Jacquerie, s'attaquèrent d'abord aux fermes isolées; c'est pourquoi les gens qui en faisaient partie furent stigmatisés du nom de Circoncellions1. Nous verrons avant peu à quels excès ces fanatiques se portèrent. Leur quartier général était Thamugas (aujourd'hui Timgad), au pied de l'Aourès, entre Lambèse et Theveste 2.

LES FILS DE CONSTANTIN. PERSÉCUTION DES DONATISTES PAR CONSTANT. A la mort de Constantin (337), l'empire se trouva fractionné en cinq parties; mais bientôt ses trois fils Constantin II, Constant et Constance, restèrent, par suite du meurtre de leurs deux cousins, seuls maîtres du pouvoir. Un nouveau partage fut alors opéré entre eux (338). L'Afrique demeura pendant plusieurs années un sujet de contestation entre Constant et Constantin, et les deux frères en vinrent plusieurs fois aux mains. La mort de Constantin (340) mit fin à la lutte en assurant le triomphe de Constant.

Ce prince fanatique tyrannisa d'abord les païens, puis, des dissensions nouvelles s'étant produites en Afrique entre les Donatistes et les orthodoxes, il envoya deux officiers, Paul et Macaire, pour mettre fin à ces troubles. A peine étaient-ils arrivés à Karthage que les Donatistes se soulevèrent de toutes parts. Aidés par les Circoncellions, ils osèrent tenir tête aux armées de l'empereur. Mais bientot ils furent vaincus et réduits à la fuite, et la persécution commença; les évêques compromis furent exilés ou mis à mort. Le principal résultat de ces violences fut d'augmenter le nombre des Circoncellions et de redoubler leur fureur, au grand préjudice de la colonisation.

CONSTANCE ET JULIEN.

[ocr errors]

EXCÉS DES DONATISTES. En 350, Constant fut mis à mort par Magnence, comte des Gaules, qui s'empara de son trône et étendit son autorité sur l'Afrique. Deux ans plus tard les troupes de Constance prenaient possession de l'Afrique au nom de leur maître. Elles passèrent ensuite en Espagne, de lå en Gaule et vinrent à Lyon écraser l'armée de Magnence, qui périt dans la bataille. Ainsi Constance resta seul maître de l'empire. On sait qu'il s'érigea en protecteur de l'arianisme.

En 360, Julien, ayant été proclamé à Lutèce et reconnu par l'Italie, chercha à gagner l'Afrique à sa cause, mais ne put par

1. De Circumiens cellas (rôdant autour des fermes).

2. Voir sur les Donatistes les textes de saint Augustin et de saint Optat.

venir à la détacher de sa fidélité au fils de Constantin. Du reste, Constance avait pris des précautions sérieuses pour conserver sa province, et, bien qu'il fût menacé par son compétiteur d'un côté, et par les Perses de l'autre, il envoya en Afrique son secrétaire d'état Gaudentius avec ordre de lever des troupes et de s'opposer à tout débarquement. « Gaudentius remplit sa mission avec fidélité, il invita le comte Cretion et les gouverneurs (rectores) à faire des levées, et il tira des deux Maurétanies une cavalerie légère excellente avec laquelle il protégea efficacement tout le littoral contre les troupes stationnées en Sicile et qui n'attendaient qu'une occasion pour faire une descente en Afrique'.

[ocr errors]

L'année suivante, la mort de Constance laissa Julien seul au pouvoir. Il se vengea alors de l'Afrique en accordant ses faveurs aux Donatistes, fort affaiblis par la persécution macarienne. Leurs évêques leur furent rendus et une violente réaction contre les orthodoxes se produisit. Les Donatistes se vengèrent d'eux par les mêmes armes : les spoliations, les dévastations, les meurtres. Un exemple donnera une idée du caractère de ces luttes: « Félix et Januarius, deux Donatistes, se jettent sur Lemelli2, à la tête d'une troupe de Circoncellions. Ayant trouvé la porte de la basilique fermée, ils en firent le siège; les Circoncellions montèrent sur le toit et, de là, accablèrent les fidèles sous un monceau de tuiles. Un grand nombre fut cruellement blessé; deux diacres qui défendaient l'autel furent tués et les fastes de l'église inscrivent deux martyrs de plus 3. » Ailleurs, à Typaza, en présence du gouverneur, ils maltraitent et expulsent les catholiques; « les hommes sont torturés, les femmes traînées; les enfants mis à mort ou étouffés dans les entrailles de leurs mères. »

Du reste les Donatistes ne tardèrent pas à voir des schismes se produire dans leur sein. Le plus important fut celui de Rogatus, évêque de Cartenna, qui imposait un nouveau baptême à tous les anciens traditeurs.

EXACTIONS DU COMTE ROMANUS. A la fin de 363, sous Jovien, et ensuite, dans les premiers temps du règne de Valentinien, une tribu indigène de la Tripolitaine, les Asturiens, ainsi appelés par les auteurs, causèrent les plus grands ravages dans cette contrée et

Voir aussi Rev. afr.

1. Poulle (Soc. arch.), 1878, pp. 414, 415. t. IV, pp. 137, 138, et Ammien Marcellin, 1. XXI, parag. 7.

2. Zembia, dans la Medjana.

3. Poulle, Maurétanie, p. 129.

4. Tenès.

5. Ammien Marcellin, 1. XXVII et suiv.

vinrent même attaquer les colonies de Leptis et de Tripoli. Les colons appelérent à leur secours le comte Romanus, nommé depuis peu maître des milices d'Afrique; mais ce général ne voulut entrer en campagne que si on lui fournissait quatre mille chevaux et une grande quantité de vivres, conditions que les Tripolitains ruinés ne pouvaient remplir; de sorte que les Berbères continuèrent leurs déprédations. A l'avènement de Valentinien, les gens de Leptis envoyèrent des députés à l'empereur pour lui exposer leurs doléances; mais les partisans de Romanus en atténuèrent en partie l'effet. Cependant l'empereur chargea un administrateur de l'ordre civil, auquel on confia des pouvoirs militaires extraordinaires, de rétablir la paix.

En 366, nouvelle incursion des Asturiens. L'empereur envoya un tribun nommé Pallade pour faire une enquête sur les lieux, mais cet agent se laissa corrompre et déclara que les plaintes n'étaient pas fondées. Pour Romanus, c'était le triomphe, l'impunité assurée; aussi se livra-t-il, sans retenue, à une prévarication effrénée. Une nouvelle plainte des victimes ayant eu le même résultat que la précédente, l'empereur ordonna la mise à mort des réclamants, convaincus de calomnie. Un ancien proses de la Tripolitaine, nommé Rurice, qui avait cherché à faire triompher la vérité, fut englobé dans l'accusation et exécuté à Sitifis.

RÉVOLTE DE FIRMUS. - Sur ces entrefaites, un des plus puissants chefs des Quinquégentiens vint à mourir en laissant plusieurs fils, Firmus, Gildon, Mascizel, Dius (ou Duis), Salmacès et Zamma. Ce dernier était fort lié avec Romanus, et, comme son frère aîné, Firmus, craignait d'être victime d'une spoliation, il fit assassiner Zamma. C'était s'exposer à la vengeance certaine du comte; aussi, après avoir essayé en vain de se disculper auprès du pouvoir central, Firmus comprit-il qu'il ne lui restait de salut que dans la révolte. Ces fils de Nubel étaient tous empreints de civilisation latine, plusieurs d'entre eux étaient chrétiens.

En 372, Firmus lève l'étendard de l'insurrection dans les montagnes du Djerdjera. Les Maurétanies le soutiennent; les Donatistes lui fournissent leur appui; les aventuriers, les gens ruinés, tous ceux qui recherchent le désordre, des soldats, on dit même. une légion entière, viennent se joindre à lui. Firmus disposant d'une vingtaine de mille hommes se met aussitôt en campagne; un évêque de Rusagus, bourgade sur la frontière de la Césarienne, lui ouvre les portes de la ville. Les Firmianiens, continuant leur marche vers l'ouest, assiègent Césarée, s'en rendent maîtres et réduisent en cendres cette belle ville. Romanus essaie en vain de

lutter; il est défait et la révolte gagne la Numidie. Les soldats proclamèrent alors Firmus roi; un tribun lui posa le diadème.

A la réception de ces graves nouvelles, l'empereur d'occident envoya en toute hâte des troupes en Afrique sous le commandement du comte Théodose, maitre de la cavalerie. Débarqué à Igilgili (Djidjelli), cet habile général gagna Sitifis et convoqua toutes ses troupes dans un poste des environs nommé Panchariana, d'où il devait commencer les opérations (373). Il avait été rejoint, tout en arrivant, par un corps d'auxiliaires indigènes, commandé par Gildon, frère de Firmus.

Le prince indigène, comprenant que la situation était changée, essaya de traiter avec Théodose, et lui fit offrir sa soumission; mais le général ne voulut rien entendre avant d'avoir reçu des otages, et les choses en restèrent là. Bientôt, du reste, Théodose entra en campagne, et porta son camp à Tubusuptus'. Ayant repoussé un nouveau message du rebelle, il attaqua les Tyndenses et Massissenses, commandés par Mascizel et Duis, les mit en déroute, et porta le ravage dans toute la contrée, sans cependant se départir d'une grande prudence et en s'appuyant sur une place nommée Lamforte. De là, s'avançant vers l'ouest, Théodose défit de nouveau Mascizel, qui avait osé l'attaquer.

Encore une fois, Firmus fit implorer la paix par l'intermédiaire de prêtres chrétiens, et Théodose la lui accorda. Le prince berbère remit au vainqueur Icosium et lui livra, dans cette ville, ses enseignes, sa couronne, son butin et des otages, mais il ne paraît pas qu'il soit venu en personne signer le traité.

Après avoir obtenu ce résultat, Théodose se rendit à Césarée et employa ses légions à relever cette ville de ses ruines. Dans cette localité, il fit mourir sous les verges ou décapiter les soldats qui étaient passés au service du rebelle.

Sur ces entrefaites, ayant appris que Firmus cherchait de nouveau à soulever les tribus, il se remit en campagne et battit les Maziques et les Muzones. La tribu des Isaflenses, établie sur le versant sud du Djerdjera, soutint Firmus et se battit bravement sous les ordres de son chef Mazuca, mais elle fut encore défaite et son chef, fait prisonnier, hâta sa mort en déchirant ses blessures. Firmus, réduit encore à la fuite, se jette au cœur des montagnes, puis prend la direction de l'est, suivi par les Romains. Au moment où ceux-ci vont l'atteindre, il leur échappe encore et revient sur ses pas. Il entraîne de nouveau les Isaflenses, avec leur chef Igma

1. Tiklat en Kabylie.

2. Alger.

cen et réunit un grand nombre d'adhérents. Théodose, qui s'est avancé contre lui et le croit sans forces, est subitement attaqué par vingt mille indigènes; il a la douleur de voir ses soldats lâcher pied et ne s'échappe lui-même qu'à la faveur de la nuit 1.

Ayant pu, dans sa déroute, gagner le fort de Castellum Audiense2, il y rallia son armée et s'y retrancha. Il punit ses soldats avec la dernière sévérité, brûlant les uns, mutilant les autres; et grâce à son énergie, il rétablit promptement la discipline et put résister aux attaques tumultueuses des indigènes. Il opéra ensuite sa retraite vers Sitifis 3. L'année suivante (375), il s'avança, à la tête de forces considérables, contre les Isaflenses, toujours fidèles à Firmus, et leur fit essuyer une nouvelle défaite. Igmacen, leur roi, se laissa alors gagner par les promesses de Théodose. Il cessa toute résistance et arrêta Firmus au moment où celui-ci, devinant sa trahison, se disposait à fuir. Prévoyant le sort qui l'attendait, le prince berbère se pendit dans sa prison et le traître Igmacen ne put livrer à ses ennemis qu'un cadavre qui fut apporté à leur camp, chargé

sur un chameau.

Ainsi finit cette révolte qui avait duré trois ans.

PACIFICATION GÉNÉRALE. Après avoir obtenu la pacification générale des tribus soulevées, Théodose s'appliqua, par une série de sages mesures, à rétablir la marche de l'administration et à faire oublier les maux causés par Romanus. Les complices des exactions de ce dernier furent sévèrement punis.

Mais le comte Théodose avait de nombreux ennemis qui le dénoncèrent à l'empereur Gratien, presque un enfant, successeur de son père, Valentinien (375). On le présenta comme étant sur le point de se déclarer indépendant et de lui disputer le pouvoir. Gratien prêtant l'oreille à ces calomnies expédia l'ordre de le mettre à mort. Le vainqueur de Firmus, celui qui avait conservé l'Afrique à l'empire, fut décapité à Karthage.

La révolte de Firmus permit aux Romains de mesurer tout le terrain qu'ils avaient perdu en Afrique. En laissant autour de leurs colonies, si romanisées qu'elles fussent, des tribus indigènes intactes, non assimilées, ils avaient en quelque sorte préparé pour l'avenir la ruine de leur colonisation. La levée de boucliers à laquelle

1. Berbrugger, Époques militaires de la grande Kabylie. 2. Aïoun Bessem, au nord d'Aumale.

3. Les auteurs disent qu'il se retira à Typaza, mais cela semble bien improbable et nous nous rallions à l'opinion de MM. Poulle et Berbrugger, qui démontrent que c'est à Sétif que Théodose s'est reformé. 4. Orose, Hist., 1. VII, ch. xXXIII,

« PrécédentContinuer »