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chez les fidèles. Une véritable conspiration ayant à sa tête Donat, évêque des Cases-Noires, en Numidie, s'ourdit contre lui; les prêtres de l'intérieur ne lui pardonnaient pas de s'être fait élire sans leur participation. Ils formèrent un groupe de soixante-dix prélats à la tête desquels était Secundus, évêque de Ticisi. Réunis en concile, ils citèrent Cécilien à comparaître devant eux; mais, comme il s'y refusait, disant qu'il avait été régulièrement sacré et ajoutant qu'il était prêt à recevoir de nouveau l'imposition des mains, Purpurius, dont la violence s'était fait remarquer à Cirta, s'écria: « Qu'il vienne la recevoir et on lui cassera la tête pour pénitence.

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Le concile rendit alors une sentence de condamnation contre Cécilien, fondée sur les trois points suivants : 1° il avait refusé de se rendre à leur réunion; 2o il avait été sacré par des traditeurs ; 3o il aurait, lors des persécutions, empêché des fidèles de secourir les martyrs. Or ces deux derniers chefs n'étaient rien moins que prouvés et, dans le groupe des évêques qui s'érigeaient ainsi en juges, plusieurs s'étaient reconnus eux-mêmes traditeurs. Pour compléter leur œuvre, ils déclarèrent le siège de Karthage vacant et y élevèrent un certain Majorin, simple lecteur. Une intrigante, du nom de Lucilla, ennemie personnelle de Cécilien, avait, par ses instances et son argent, contribué à ce résultat.

Ainsi fut consommée la scission de l'église d'Afrique, au moment même où sa cause triomphait. L'irritation réciproque des deux partis devint extrême et amena des conflits journaliers.

Constantin tenait essentiellement à la pacification de l'Afrique; bien qu'inclinant vers le christianisme, il ménagea les adhérents de l'ancien culte et fit même ériger un temple en l'honneur de la famille flavienne. Il apprit donc avec peine les divisions de l'église d'Afrique et écrivit au proconsul Anulinus, pour qu'il tâchât de les faire cesser. Dans ces instructions il semble pencher pour le parti de Cécilien. Mais les Donatistes, ainsi les appelait-on déjà, n'étaient pas gens à s'incliner devant des conseils ou même des menaces; ils adressèrent à l'empereur une supplique dans laquelle ils entassèrent toutes les accusations contre leur ennemi.

En présence de cette réclamation, Constantin ordonna la comparution des deux parties devant un conseil d'évêques, et convoqua à ce concile un grand nombre de prélats de la Gaule et de l'Italie. Tous se réunirent à Rome, en octobre 313, sous la prési

1. Emplacement inconnu au nord de l'Aourès.

2. Actuellement Tidjist (Aïn-el-Bordj), près de Sigus, au sud de Constantine.

dence du pape Miltiade. Cécilien et Majorin, accompagnés de clercs et de témoins, se présentèrent à ce concile qui est dit de Latran, et fournirent leurs explications tant sur les griefs reprochés par eux à leur adversaire, que sur ce qui leur était imputé. On devine ce que purent être de tels débats. Après bien des jours d'audience, le concile rendit une sentence par laquelle il reconnaissait Cécilien innocent et validait son ordination. Il disposait en outre que les prêtres ordonnés par Majorin continueraient à exercer leur ministère et que si, dans une localité, il se trouvait deux prêtres ordonnés l'un par Cécilien, l'autre par Majorin, le plus ancien serait conservé et l'autre placé ailleurs. Quant à Donat, on le condamnait comme «< auteur de tout le mal et coupable de grands crimes ».

A la suite de cette décision, Cécilien fut retenu provisoirement en Italie, et Donat obtint la permission de rentrer en Numidie, sous la promesse qu'il ne reparaîtrait plus à Karthage. Des commissaires ecclésiastiques furent envoyés en Afrique pour notifier cette décision au clergé et faire une enquête qui confirma l'innocence de Cécilien. Celui-ci rentra peu après à Karthage. Donat, de son côté, ne tarda pas à y paraître, au mépris de son serment. Les luttes recommencèrent alors avec une nouvelle violence. Elien, proconsul, chargé d'informer par l'empereur, conclut encore contre les Donatistes.

Mais ceux-ci ayant réclamé le jugement d'un nouveau concile, l'empereur voulut bien faire convoquer les évêques à Arles, pour le mois d'août 314. Ce fut encore un triomphe pour Cécilien; seulement le concile crut devoir donner son avis sur le grand différend qui divisait l'église d'Afrique et il opina « que ceux qui seraient reconnus coupables d'avoir livré les écritures ou les vases sacrés ou dénoncé leurs frères, devraient être déposés de l'ordre du clergé1. » C'était donner aux Donatistes de nouvelles armes. Cependant ceux-ci ne furent pas encore satisfaits et en appelèrent à l'empereur qui confirma à Milan, en 315, les décisions des conciles de Rome et d'Arles.

Constantin avait montré dans toute cette affaire une très grande modération; mais, quand tous les degrés de juridiction eurent été épuisés, il prescrivit à Celsus, son vicaire en Afrique, de traiter avec sévérité toute tentative de rébellion de la part des Donatistes. Ceux-ci se virent donc bientôt l'objet d'une nouvelle per

1. L'Afrique chrétienne par Yanoski, pp. 20 et suiv. C'est à cet ouvrage que nous avons emprunté la plus grande partie des documents qui précèdent.

sécution dans laquelle les plus marquants d'entre eux furent bannis. Mais leurs partisans étaient très nombreux, surtout dans l'intérieur, et ils gardèrent souvent par la force leurs positions.

Tandis que cette scission se produisait en Numidie, un schisme dont le succès devait être encore plus grand prenait naissance en Cyrénaïque. Vers 320, le Libyen Arius se séparait de l'église orthodoxe, par suite de divergences sur des points d'appréciation relativement à la trinité. Là encore, l'empereur intervenait et essayait de faire entendre sa voix pour ramener la pacification dans l'Église;

mais le schisme arien était fait.

ORGANISATION ADMINISTRATIVe et militaire DE L'AFRIQUE PAR ConsTANTIN. En 323, Constantin attaqua brusquement son rival, l'empereur d'Orient Licinius, le vainquit, et le fit mettre à mort. Resté ainsi seul maître de l'empire, il s'appliqua à rétablir l'unité de commandement et à régulariser l'administration des provinces. L'empire fut divisé en quatre grandes préfectures.

L'Afrique, contenant la Tripolitaine, la Byzacène, la Numidie et les Maurétanies, sétifienne et césarienne, fit partie de la préfecture d'Italie, et fut placée, pour l'administration civile, sous l'autorité du préfet du prétoire de cette préfecture.

La Tingitane, rattachée à la préfecture des Gaules, était sous l'autorité du préfet du prétoire des Gaules.

La Cyrénaïque dépendit de la préfecture d'Orient.

Le préfet du prétoire d'Italie était représenté en Afrique:

1° Par un proconsul d'Afrique, qui administrait par deux légats la proconsulaire ;

2o Par le vicaire d'Afrique, qui administrait par deux consulaires la Byzacène et la Numidie, et par trois præses la Tripolitaine, la Sétifienne et la Césarienne.

Le préfet des Gaules était représenté dans la Tingitane par un præses.

Le Comte des largesses sacrées avait la direction de tout ce qui se rapporte aux finances; et le Comte des choses privées était le directeur et administrateur des domaines. Ces deux personnages, qui portaient le titre d'illustres, avaient un certain nombre de délégués en Afrique.

« L'armée et les choses militaires relevaient du magister peditum, sorte de ministre de la guerre, résidant aussi à Rome, et représenté en Afrique par deux dues et deux comtes: les dues de Maurétanie césarienne et de Tripolitaine et les comtes d'Afrique et de Tingitane.

« Le comte d'Afrique avait sous ses ordres seize préposés des

limites, qui commandaient les troupes placées sur la frontière, plus les corps mobiles.

<«< Le comte de la Tingitane avait sous son commandement un préfet de cavalerie et cinq tribuns de cohortes, plus des corps mobiles. « Le duc de la Césarienne avait huit préposés des limites. Il était aussi præses et, pour cette partie de ses fonctions, devait dépendre du vicaire d'Afrique.

«Le duc de la Tripolitaine avait douze préposés et deux camps où étaient, sans doute, les troupes destinées à tenir la campagne. « Les troupes, on le voit, étaient divisées en deux classes: les troupes mobiles et celles qui gardaient en permanence la frontière1. »

Sous le Bas-Empire, l'organisation des assemblées provinciales fut modifiée; le culte de l'empereur ayant disparu, leurs attributions religieuses cessèrent et le concilium devint une assemblée purement administrative, chargée d'éclairer les préfets et de leur fournir un appui moral, car il n'avait aucun droit exécutif. La centralisation établie par Constantin fit cesser l'autonomie des provinces. L'empereur voulut tout diriger du fond de son palais et c'est dans ce but que les fonctions furent multipliées. Des curiosi, inspecteurs plus ou moins occultes, furent chargés de surveiller les fonctionnaires et de rendre compte de leurs moindre3 actes au chef suprême; en même temps les cités reçurent des defensores, dont la mission était de protéger les citoyens contre l'injustice et la tyrannie des agents du prince.

Le concilium provinciæ conserva le droit de présenter des vœux et des doléances à l'empereur; sa réunion était l'occasion de fêtes et de réjouissances publiques; la convocation était faite par le préfet. Le sacerdos provinciæ, dont la fonction paraît avoir été conservée pendant quelque temps encore, dut céder la présidence du concile au préfet ou à son vicaire. Le corps des sacerdotes, ou prêtres devenus chrétiens, fut entouré d'honneurs et d'immunités; mais il perdit toute occasion de s'immiscer légalement dans les affaires administratives 2.

PUISSANCE DES DONATISTES. LES CIRCONCellions. - Vers 321, les Donatistes avaient obtenu le rappel de leurs exilés, et il se produisit une sorte d'apaisement. En 326, Cécilien étant mort fut

1. L'Afrique septentrionale après le partage du monde romain, par Berbrugger, travail extrait de la Notice des dignités, de Bocking. 2. Les Assemblées provinciales et le culte provincial, par M. Pallu de Lessert, passim.

T. I.

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remplacé par Rufus: de leur côté, les Donatistes élirent Donat, homonyme de l'évêque des Cases-Noires, comme successeur de Majorin. Peu après, les nouveaux élus réunissaient à Karthage un concile auquel deux cent soixante-dix évêques prirent part et où, grâce à des concessions mutuelles, on put consolider la trêve. On sera peut-être étonné du grand nombre d'évêques se trouvant alors en Afrique, mais il faut considérer ces prélats comme de simples curés. « La création des sièges épiscopaux en Afrique n'a pas toujours été motivée par l'importance des localités et le chiffre de la population. L'on observe en effet dans l'histoire des Donatistes que ces habiles sectaires, afin d'augmenter leur influence, multipliaient le nombre des évêques et les préposaient à de simples hameaux...... Or, on conçoit parfaitement que l'Eglise, pour tenir tête aux Donatistes, ait imité cette conduite et multiplié les évêchés..... Au surplus, il était dans l'esprit de l'Église d'Afrique de multiplier les diocèses afin que leur peu d'étendue en facilitât l'administration1. »

Ainsi les deux églises vivaient côte à côte et essayaient de se tolérer, mais, comme nous l'avons dit, les Donatistes tenaient en maints endroits les temples et nous voyons, en 330, l'empereur, cédant à la demande de Zezius, évêque de Constantine, ordonner la construction d'une basilique pour les orthodoxes, attendu que <«< tout ce qui appartenait à l'Église catholique était tombé au pouvoir des Donatistes » et que les orthodoxes n'avaient aucun local pour tenir leurs assemblées.

A côté des Donatistes modérés, qui essayaient de chercher un modus vivendi avec les autres chrétiens, se trouvaient les zélés, les purs. Réunis en bandes obéissant à un chef, ils se mirent à parcourir le pays dans le but, disaient-ils, de faire reconnaître la sainteté de leur foi. Leur cri de ralliement était Laudes Deo (Louanges à Dieu!), et il fut bientôt redouté comme un signal de pillage et de mort. Faisant profession de mépriser les biens de la terre et de vivre dans la continence, ils ne tardèrent pas à ériger la destruction en principe. Ils n'ont du reste rien à perdre, car la plupart sont des esclaves fugitifs, des malheureux ruinés par les guerres civiles ou les exactions du fisc. Ils prétendent établir l'égalité en détruissant les biens et faire le salut des riches en les ruinant.

1. Observations sur la formation des diocèses dans l'ancienne Église d'Afrique, par l'abbé Léon Godart (Revue africaine, 2o année, pp. 399 et suiv.)

2. V. L'Africa christiana de Morcelli, t. II, p. 234. Cette église se trouvait dans l'emplacement occupé actuellement par l'hôpital militaire.

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