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cienne Numidie, la vieille race indigène avait disparu ou s'était assimilée. La langue, la littérature et les institutions de Rome avaient été adoptées par ces Berbères. Ceux-là n'étaient pas à craindre; mais, tout autour d'eux, la race africaine se reconstituait et était prête à entrer en lutte. L'anarchie, prélude du démembrement de l'empire, les luttes religieuses, dont l'Afrique était sur le point de devenir le théâtre, allaient servir merveilleusement la reconstitution de la nationalité africaine et permettre aux nouvelles tribus berbères de s'étendre en couche épaisse sur les restes des anciennes. Il y a là un enseignement que les colonisateurs actuels de l'Afrique feront bien de ne pas perdre de vue, car ce fait prouve une fois de plus que, si la conquête est facile, il n'en est pas de même de la colonisation et que, tant que la race autochthone reste à peu près intacte, l'établissement des étrangers au milieu d'elle est précaire.

GRANDES PERSÉCUTIONS CONTre les chrétiens. Les persécutions exercées contre les chrétiens semblaient n'avoir d'autre résultat que de fortifier la religion nouvelle. Les prosélytes étaient très nombreux en Afrique, non-seulement chez les colons latins, mais chez les indigènes romanisés et même dans les tribus berbères. « Il est impossible de ne pas être frappé de ce fait concluant que ce fut le sang indigène qui coula ici le premier pour la foi chrétienne, car les victimes inscrites en tête du martyrologe africain sont bien. des berbères: Namphanio, Miggis, Lucita, Sanaes et d'autres encore dont le nom seul révèlerait la nationalité, si l'histoire n'avait eu soin de la constater expressément 1. »

Des bas-fonds populaires où le christianisme avait d'abord pris racine, il s'élevait et pénétrait l'administration et l'armée. Un jour c'était un gardien de prison qui demandait à partager le sort des condamnés; une autre fois c'était un centurion qui, jetant au loin le sarment, insigne de commandement, se dépouillant de sa cuirasse et de ses insignes, refusait de continuer à servir César pour entrer dans la milice du Christ 2; ailleurs des hommes enrôlés n'acceptaient pas leur incorporation 3. Pour tous c'était la mort, mais ils supportaient avec joie les affres du supplice.

Le triomphe de la nouvelle religion était proche. Le trône dest empereurs en était ébranlé sur sa base, car le christianisme, à son

1. Berbrugger, Revue africaine, No 51,

p. 193.

2. Voir les Actes du centurion saint Marcellus, martyr à Tanger, 30 Oct. 298. Acta prim. martyr. p. 311.

3. V. Actes de saint Maximilien de Théveste (12 mars 295).

début, était la négation de tout pouvoir temporel. Depuis l'exécution des édits de Décius et de Valérien, la persécution, tout en continuant, avait subi une certaine modération. Dioclétien n'était pas porté aux mesures extrêmes contre les chrétiens; mais Galere ne voyait le salut de l'empire que dans l'extinction de la religion nouvelle et il suppliait l'empereur de prendre les mesures les plus énergiques. Enfin, en 303, Dioclétien, cédant aux instances de son césar, promulgua l'édit de persécution connu sous le nom d'édit de Nicomédie. Les mesures prescrites étaient terribles : destruction des églises et des livres et ustensiles du culte; mise hors la loi de tous les chrétiens dont les biens devaient être saisis et qui devaient, eux-mêmes, être jetés en prison ou livrés au bourreau.

Cet édit fut immédiatement exécuté, sauf dans la partie du diocèse d'Occident qui était soumise au césar Constance Chlore, c'est-à-dire la Gaule, la Bretagne, l'Espagne et la Tingitane. Dans tout le reste de l'empire, les persécuteurs se mirent à l'œuvre. En Afrique, ils déployèrent un grand zèle. A Cirta, un certain Munatius Felix, flamine perpétuel, se fit remarquer par son ardeur et sa violence. Généralement les chrétiens restèrent fermes dans leur foi et des prêtres subirent le martyre plutôt que de remettre aux persécuteurs leurs vases et leurs livres qu'ils avaient cachés; mais un grand nombre faiblirent, renièrent leur foi et livrèrent leur dépôt sacré. L'église de Cirta se signala par sa faiblesse son évêque Paulus se soumit à tout ce qu'on exigea de lui.

Cette persécution n'était que le prélude de violences plus grandes encore. Il ne suffisait pas d'avoir détruit les églises et les objets extérieurs du culte; on allait s'en prendre aux consciences. A la fin de l'année 303, un édit adressé au gouverneur de la Palestine fixait certains jours pendant lesquels tout homme devait sacrifier aux dieux. Ces jours déterminés furent appelés dies thurificationis et l'on avouera que c'était un excellent moyen de reconnaître les chrétiens. Valérius Florus, præses de la Numidie miliciana, et Anulinus, proconsul de la Proconsulaire, se firent les exécuteurs de ces mesures. Le sang des chrétiens coula à flots en Afrique pendant cette période qui fut appelée l'ère des martyrs'.

TYRANNIE DE GALERE EN Afrique. En 305, Dioclétien et Maximien Hercule abdiquèrent au profit des deux césars Constance Chlore et Galère, lesquels s'adjoignirent comme césars Sévère et Maximin. Bien que Constance Chlore eût l'Afrique dans son lot,

1. Voir l'intéressante dissertation de M. Poulle à ce sujet dans l'Annuaire de la Société arch. de Constantine, 1876-77, pp. 484 et suiv.

il en abandonna l'administration à Galère qui en confia le commandement au césar Sévère. On sait qu'un des premiers actes de Galere, en prenant le pouvoir, fut de prescrire un recensement général des personnes et des biens de l'empire afin d'augmenter les revenus du fisc. « On procéda à l'exécution de cette mesure avec une rigueur qui répandit partout la terreur et la désolation: les gens du peuple, les enfants, les serviteurs étaient réunis et comptés sur les places qui regorgeaient de monde. On excitait à la délation le fils contre le père, l'esclave contre le maître, l'épouse contre le mari. On obtenait par les tourments des déclarations de biens que l'on ne possédait pas 1. » Il est probable que l'Afrique, qui avait déjà tant à se plaindre de Galère, souffrit beaucoup de ces mesures et de la façon cruelle dont elles furent appliquées. Les troupes seules, qui profitaient des largesses de ce prince, avaient pour lui quelque fidélité.

CONSTANTIN ET MAXENCE. USURPATION D'ALexandre.

A la mort

de Constance Chlore, survenue le 25 juillet 306, les troupes proclamèrent auguste son fils Constantin. De son côté, Galère donna le titre d'auguste à Sévère.

Peu de temps après, Maxence, fils de Maximien Hercule et gendre de Galère, ayant gagné l'appui du préfet du prétoire Anulinus, prit aussi la pourpre et fut acclamé par les soldats (28 octobre 306).

En Afrique, Anulinus avait comme lieutenant un certain Alexandre, qui avait d'abord reçu le titre de comte et, après le départ du proconsul, avait été élevé aux fonctions de vicaire. d'Afrique (mars 305). Il reçut probablement la mission de proclamer l'autorité de Maxence, dans les provinces africaines; mais, nous l'avons dit, les troupes tenaient pour Galère. Elle refusèrent de reconnaître l'usurpateur et prirent le chemin de l'Orient, afin de rejoindre, à Alexandrie, le lieutenant de leur maître. On ne sait au juste quel obstacle elles rencontrèrent sur leur route, toujours est-il qu'elles furent forcées de rentrer à Karthage, où elle retrouvèrent leur chef Alexandre. A quel prince obéissait alors l'Afrique, nul ne peut le dire et il est fort probable qu'elle était dans un état voisin de l'anarchie. Cependant Maxence devait y avoir des partisans.

Sur ces entrefaites, Galère étant mort, les troupes exploitèrent habilement un bruit, vrai ou faux, d'après lequel Maxence, doutant de la fidélité d'Alexandre, aurait envoyé des émissaires pour le

1. Poulle, loc. cit., p. 481.

tuer. Bon gré mal gré, elles le proclamèrent empereur. Alexandre dont l'origine est incertaine, mais qu'on désigne généralement comme un paysan pannonien, était alors un vieillard affaibli par l'âge au moral et au physique, incapable de résistance autant que d'initiative. Il se laissa ainsi porter au pouvoir, mais il ne sut rien faire pour l'affermir et le conserver (308).

Cepen

TRIOMPHE DE Maxence en AfrIQUE. SES DÉVASTATIONS. dant Maxence, après avoir défait et mis à mort Sévère, s'était emparé de Rome et de toute d'Italie. Absorbé par le soin d'asseoir sa puissance, il ne pouvait s'occuper de l'Afrique. Alexandre régnait tranquillement à Karthage; toutes les provinces avaient fini par reconnaître son autorité, mais il ne paraît pas qu'il ait su gagner l'affection des populations.

En 311, Maxence pouvant détacher quelques troupes, les plaça sous le commandement du préfet du prétoire, Rufus Volusianus, et du général Zénas, et les envoya en Afrique. Karthage emportée d'assaut fut mise à feu et à sang. Quant à Alexandre, il avait pu se réfugier derrière les remparts de Cirta. Les généraux de Maxence l'y poursuivirent et s'étant rendus maîtres de cette ville, s'emparèrent de l'usurpateur qui fut étranglé1.

Cirta, comme Karthage, fut entièrement saccagée, puis brûlée par les vainqueurs. Maxence fit cruellement expier à l'Afrique ce qu'il appelait son manque de fidélité : un grand nombre de cités furent livrées aux flammes; les principaux citoyens se virent poursuivis, dépouillés de leurs biens; beaucoup d'entre eux périrent dans les tortures, car toutes les haines, toutes les rivalités purent exercer librement leurs vengeances, et le pays gémit sous la plus épouvantable terreur. Les campagnes, même, n'échappèrent pas à la fureur du vainqueur qui se fit livrer les réserves de grain et porta la dévastation partout.

TRIOMPHE DE CONSTANTIN. Après avoir ainsi assouvi sa vengeance, Maxence s'appliqua à retirer de l'Afrique tout ce que la contrée pouvait lui fournir en hommes et en argent, afin d'être en mesure de résister à son compétiteur Constantin. En 312, la lutte commença entre les deux empereurs et se termina bientôt par la défaite de Maxence devant Rome. Malgré la supériorité de son

1. Voir, pour la révolte d'Alexandre: Aur. Victor, Epitome, Eutrope, Epit.; Zosime. Tillemont, Hist. des empereurs, etc. Nous avons adopté en grande partie les opinions de M. Poulle (Soc. arch. de Constantine), 1876-77.

armée, où les Berbères étaient en grand nombre, il fut entièrement vaincu par son compétiteur et se noya dans le Tibre (28 octobre).

La chute de Maxence fut accueillie en Afrique avec la plus grande joie; on dit que Constantin envoya la tête du tyran à Karthage qui avait tant eu à se plaindre de lui. Le vainqueur s'appliqua de toutes ses forces à panser les plaies de la Berbérie: il envoya des secours en argent, diminua les impôts, rendit les biens confisqués à leurs propriétaires, et fit relever les cités détruites.

Cirta, reconstruite pas ses ordres, reçut son nom et nous l'appellerons à l'avenir Constantine. Par ces mesures i mérita la reconnaissance de ce pays si maltraité par ses prédécesseurs.

CESSATION DES PERSECUTIONS CONTRE LES CHRÉTIENS. LES DONATISTES. SCHISME D'ARIUS. A partir de l'année 305, les persécutions s'étaient ralenties; selon le témoignage d'Eusèbe et de saint Optat, Maxence les fit immédiatement cesser, dès son avènement. Le triomphe de la religion nouvelle était proche, mais, avant même qu'il fût assuré, des divisions se produisaient dans son sein et il allait en résulter de bien graves événements.

Au mois de mars 305, l'évêque de Cirta, Paulus, étant mort, un concile se réunit dans cette ville, chez un particulier, car les églises étaient détruites, pour lui donner un successeur. Dix évêques de Numidie y prirent part. A peine la séance était-elle ouverte, que des discussions s'élevèrent entre les membres : on reprocha à un certain nombre d'entre eux d'avoir faibli pendant les persécutions et d'avoir remis les livres et vases sacrés. Pour la première fois l'épithète de « traditeurs » fut lancée. Un certain Purpurius, que nous retrouverons plus tard, montra dans l'assemblée une grande violence. Sylvain avait été proposé pour le siège épiscopal, mais il était traditeur; grâce à l'appui de la populace il fut élu, tandis que les hommes les plus pieux et les plus éminents étaient enfermés dans le « cimetière des martyrs. » Ce fait qui semblerait de peu d'importance, fut le point de départ de la déplorable scission qui se produisit dans l'église d'Afrique.

Quelque temps après, en 311, mourait l'évêque de Karthage Mensurius, qui avait su résister avec autant de fermeté que de prudence aux violences des persécuteurs et conserver les vases de son église. Les fidèles s'assemblèrent pour procéder à son remplacement et élurent le diacre Cécilien. Il avait de nombreux adversaires, et bientôt l'opposition contre lui se manifesta par le refus de lui remettre les vases sacrés que son prédécesseur avait cachés

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