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ceinture de fortifications1». Du reste, la petite propriété était constituée aussi par les concessions aux vétérans, ou par la vente ou la location à des émigrants. Ainsi les progrès de la culture 2, loin d'avoir été arrêtés par la conquête, lui durent, au contraire, une plus grande extension. Leptis Magna, Hadrumète, Utique et surtout Karthage, étaient les principaux ports où les céréales venaient s'entasser. Là les flottes de toute l'Italie chargeaient les grains, et c'est particulièrement de l'Afrique que Rome tirait ses approvisionnements. Les blés d'Egypte allaient dans les autres parties de l'Italie. Sous Auguste, sous Tibère, sous Claude, la population romaine attendait sans cesse les arrivages d'Afrique et faisait entendre ses murmures, ou se mettait en rébellion, au moindre retard, car la conséquence immédiate était la famine. On l'avait bien vu, lors de la lutte entre César et Pompée, quand celui-ci avait arrêté les convois d'Afrique.

Tous les empereurs prirent des mesures afin d'assurer les arrivages d'Afrique, Claude accorda des immnnités particulières pour encourager les importations de blé, Néron exempta de tout impôt les navires servant au transport du blé. Commode créa la flotte d'Afrique, affectée spécialement à cet usage, et ses successeurs perfectionnèrent cette institution. Un préfet de l'Annone, résidant en Afrique, fut chargé d'assurer les approvisionnements.

Après le blé, l'huile était une des principales branches d'exportation, mais, de même que l'huile faite actuellement par nos Kabiles, elle était de qualité inférieure, et sa mauvaise odeur la dépréciait beaucoup, de sorte qu'on ne l'employait guère que dans les gymnases.

Les fruits, surtout le raisin, les dattes et les figues, les oignons, le sylphium, la thapsie, diverses sortes de jonc, les bois de l'Atlas, les marbres, tels étaient ensuite les principaux articles d'exportation3. A ces productions, il faut ajouter les bêtes féroces servant aux combats du cirque, les chevaux et les gazelles. Quant aux éléphants, il est à peu près démontré qu'ils n'existaient plus en Berbérie à l'état sauvage, quoi qu'en disent Strabon, Pline, Solin et autres auteurs. Ils étaient sans doute amenés de l'intérieur par les caravanes.

Au premier rang des villes de commerce brillait Karthage, la métropole punique, relevée de ses ruines et toujours la reine de

1. F. Lacroix, Afrique ancienne (Rev. afr., No 73, p. 18).

2. On sait que les Karthaginois avaient perfectionné la culture en Afrique et que l'ouvrage de Magon servit ensuite de guide aux cultivateurs italiens.

3. Cf. Hirtius, Bell. afr., Pline, Hérodote, Strabon, Appien, Bell. civ., Suétone, Varron, Dion Cassius, Spartien, Tacite.

l'Afrique par sa magnificence et sa civilisation. Dans son port, les vaisseaux venus de tous les points de la Méditerranée se pressaient pour charger les grains, les bois précieux, la poudre d'or, l'ivoire, les marbres, les bêtes féroces, les chevaux numides, les negres. Une population punique importante dominait dans cette ville, elle y avait conservé ses mœurs, sa langue et sa religion. Le temple d'Astarté (Tanit), divinité phénicienne admise par les Romains dans leur Panthéon, sous le nom de Juno Cœlestis, avait été reconstruit avec une nouvelle splendeur; nous verrons plus tard un empereur donner une consécration officielle à ce culte barbare dont les divinités exigeaient des sacrifices humains.

La Cyrénaïque fournissait en quantité les blés, l'huile et les vins. «< Derrière cette province passait la route commerciale qui unissait l'est, le sud et l'ouest de l'Afrique. La grande caravane, partie de la haute Egypte, traversait les oasis d'Ammon, d'Oudjela et des Garamantes, où elle trouvait les marchands de Leptis, puis descendait au sud par le des Atarantes et des Atlantes, pour rencontrer ceux de la Nigritie' ».

pays

Dans la Numidie et la Maurétanie, les principaux ports de commerce étaient Igilgilis (Djidjelli), Saldo, Yol-Césarée, Siga (à l'embouchure de la Tafna) et Tingis. Il existait, entre les ports de l'ouest et l'Espagne, et même jusqu'en Gaule, des relations suivies qui avaient amené des alliances de famille. Nous avons vu que Juba II était magistrat municipal de Carthagène.

ÉTAT DES POPULATIONS. Examinons maintenant ce que devenait le peuple indigène en présence de la colonisation romaine. La vieille race berbère commençait à subir une transformation; diminuée par les guerres incessantes où elle prodiguait son sang avec tant de générosité, elle était refoulée par la colonisation romaine et commençait à s'assimiler ou à disparaître dans la province d'Afrique ou la Numidie. Mais dans toute la Mauretanie et certains massifs montagneux, comme le Mons ferratus (la grande Kabilie), elle se conservait intacte et se préparait à de nouvelles luttes. Sur la ligne des hauts plateaux, se pressaient les tribus gétules, toujours prêtes à envahir le Tel pour le piller et autant que possible s'y fixer. On a pu constater cette tendance des tribus du désert, par la demande de terres faite par Tacfarinas à Tibère. Nous les verrons s'avancer continuellement, par un mouvement lent et irrésistible, pour s'étendre sur les restes des vieilles tribus berbères et les remplacer à mesure que la puissance romaine s'affaiblira.

1. Duruy, Hist. des Romains, t. IV, p. 88.

Ces Berbères, établis au delà de la limite de l'occupation romaine, reconnaissaient en général la suzeraineté du peuple-roi, particulièrement dans le Tel et le pays ouvert; ils fournissaient, en temps de paix, certains tributs, et devaient des services de guerre. « On utilisait ainsi les Berbères soumis dans l'intérêt de Rome, mais on ne les organisait pas à la manière romaine, comme aussi on ne les employait pas dans l'armée. En dehors de leur propre province, les irréguliers de Maurétanie furent aussi utilisés, plus tard, en grand nombre, surtout comme cavaliers, tandis qu'on ne procédait pas ainsi pour les Numides 1».

En Cyrénaïque, la population n'avait pas subi de grandes modifications. Les Juifs, déportés autrefois de Palestine dans cette province, y avaient prospéré malgré les mauvais traitements auxquels ils étaient en butte de la part des Grecs et la jalousie qu'ils inspiraient. Ayant eu recours à la justice d'Auguste pour être protégés, ce prince envoya des ordres à Flavius, préteur de Lybie, pour qu'il veillât à ce qu'ils ne fussent pas troublés dans leurs biens et l'exercice de leur culte. En l'an 14 av. J.-C., un rescrit de Marcus Agrippa ordonna « qu'ils seraient maintenus dans l'exercice de leurs droits et que si, dans quelque ville, on avait diverti de l'argent sacré, il serait restitué aux Juifs par des commissaires nommés à cet effet 3 ». Nous verrons avant peu l'esprit d'indiscipline de ces Juifs, surexcité par les événements de Judée, leur attirer de terribles répressions.

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LES GOUVERNEURS D'AFRIQUE PRENNENT PART AUX GUERRES CIVILES. Après quelques années de tranquillité, l'Afrique ressentit le contre-coup de l'anarchie qui termina et suivit le règne de Néron. Pendant que Vindex levait l'étendard de la révolte en Gaule, Clodius Macer, légat d'Afrique, retenait les convois de blé et prenait le titre de propréteur, pour bien montrer qu'il avait abandonné le service de l'empereur. Bientôt il se proclama indépendant et leva de nouvelles troupes parmi les indigènes qu'il forma en légion *.

Le 9 juin 68, Néron terminait sa triste carrière et était remplacé par Galba, ancien proconsul d'Afrique. Un de ses premiers soins fut de se débarrasser de Macer, par l'assassinat, et de licencier la

1. Mommsen, Histoire Romaine, t. V, trad. par M. Pallu de Lessert. 2. A la suite de la prise de Jérusalem par Ptolémée Soter, vers 320 av. J.-C. V. Josèphe, contra Appio, II, 4, cité par M. Cahen dans son travail sur les Juifs (Soc. arch., 1867).

3. Passage reproduit par d'Avezac dans l'Afrique ancienne, p. 124. 4. Tacite, Ann., lib. II, cap. xcvi.

5. Il avait reçu cette fonction de Claude et la garda deux ans.

légion Macrienne. Il fut alors reconnu par toutes les troupes d'Afrique et obtint l'appui du procurateur Lucceius Albinus qui commandait les Maurétanies et disposait de troupes nombreuses. Mais bientôt Galba est assassiné (juin 68) 1. Othon et Vitellius lui succèdent. Ces trois règnes avaient duré dix-huit mois, triste période remplie par les meurtres, les révoltes et l'anarchie.

A la nouvelle de la mort d'Othon, L. Albinus essaya de se déclarer indépendant à son tour. Il avait sous ses ordres dix cohortes et cinq ailes de cavalerie, sans compter les auxiliaires. C'étaient des forces imposantes, avec l'appui desquelles il pouvait espérer le succès; mais au moment où il se préparait à passer dans la Tingitane, pour, de là, envahir l'Espagne, le gouverneur de cette province le fit assassiner, et ses troupes se prononcèrent pour Vitellius, qui ne jouit pas longtemps du pouvoir et succomba à son tour en décembre 69.

L'AFRIQUE SOUS VESPASIEN. - Enfin Vespasien resta seul maître du pouvoir. C'était aussi un ancien proconsul d'Afrique, et il s'était fait remarquer dans son commandement par une honnêteté bien rare pour l'époque. On raconte même que les habitants d'Hadrumėte, irrités de sa parcimonie dans les fêtes, l'assaillirent un jour en lui lançant des raves à la tête..

Lucius Pison était alors proconsul d'Afrique; il se tenait sagement à l'écart des factions et cependant on le soupçonnait d'être partisan de Vitellius, parce que beaucoup de Vitelliens s'étaient réfugiés dans sa province. Ce parti avait encore de nombreux adhérents en Gaule et l'on craignait que Pison ne fit alliance avec eux, ce qui aurait eu pour conséquence immédiate la famine. Le légat qui commandait les troupes, Valérius Festus, cédant à son ambition, exploita perfidement cette situation en peignant, dans ses rapports, la révolte comme imminente. Un certain Papirius, qui avait déjà pris part au meurtre de Macer, arrive en Afrique dans le but de tuer le proconsul. Pison prévenu le fait mettre à mort et adresse une proclamation au peuple. Mais bientôt les soldats auxiliaires dépêchés par Festus pénétrent dans sa demeure et demandent le proconsul. Un esclave déclare qu'il est Pison et tombe sous leurs coups. Ce dévouement ne sauve pas son maître, qui est reconnu par le procurateur B. Massa et mis à mort.

Ainsi délivré de son rival, Festus alla au camp, fit mettre à mort les soldats sur la fidélité desquels il avait des doutes et récompensa

1. Il tomba sous les coups du procurateur de la Maurétanie tingitane, Trébonius Garucianus.

les autres. Puis il se rendit dans l'est afin de faire cesser les luttes qui divisaient les colons de Leptis et d'Oea (Tripoli). Ceux-ci, appuyés par les Garamantes, avaient mis au pillage Leptis et ses environs (70).

Pour châtier les Garamantes, Festus les poursuivit jusque dans leur pays, et afin de mieux les surprendre il passa par les défilés des montagnes, chemin difficile et peu usité, mais plus court. La Phazanie qui n'avait pas revu les aigles romaines depuis l'expédition de Balbus, fut de nouveau contrainte à la soumission et au paiement d'un tribut.

INSURRECTION DES JUIFS DE LA CYRÉNAÏQUE. - Un certain Jonathas ayant fait partie de ces zélateurs, ou sicaires, dont les excès avaient attiré de si grands malheurs à leur nation, vint se réfugier à Cyrène. Ayant réuni autour de lui environ deux mille misérables. de son espèce, il alla camper au désert en proclamant son intention de réformer la religion juive. Catullus prêteur de Libye, appelé par les orthodoxes juifs, arriva à la tête de ses troupes et, ayant cerné les rebelles, les massacra presque tous. Jonathas, le promoteur du mouvement, avait pu s'échapper, mais il fut arrêté et comme le préteur voulait le faire périr il prétendit qu'il avait des révélations importantes à lui faire sur l'origine de la conspiration. Catullus qui, au dire de l'historien Flavien Josèphe, était un homme corrompu, comprit le parti qu'il pouvait tirer de son prisonnier; se faisant désigner par lui les juifs les plus riches, il les mit à mort et s'empara de leur fortune. La plus grande terreur pesa sur cette population qui vit périr en peu de temps trois mille de ses principaux citoyens.

Après cette exécution, Catullus se rendit à Rome en emmenant le délateur et un certain nombre d'israélites notables d'Alexandrie, parmi lesquels Josèphe lui-même, désignés comme chefs du complot. Mais Vespasien, éclairé par son fils Titus, ne s'y trompa point. Il rendit aussitôt la liberté aux prisonniers à l'exception de Jonathas qu'il fit brûler vif.

EXPÉDITIONS EN TRIPOLITAINE ET DANS L'EXTRÊME SUD. Après la mort de Vespasien et le court règne de Titus, l'empire échut à Domitien. Sous son règne, de nouvelles expéditions furent faites au sud de la Tripolitaine. Septimius Flaccus, chef des troupes de cette province, se rendit à Garama, puis à Audjela, et de là jusqu'en Ethiopie.

Quelque temps après les Nasamons s'étant révoltés et ayant massacré les collecteurs d'impôts, le même général marcha contre eux et après différentes péripéties en fit un massacre horrible.

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