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NOTICE NÉCROLOGIQUE

SUR

M. AUCAPITAINE

Membre de la Société

Par M. E. MERCIER

Interprète judiciaire

Une des pertes les plus cruelles que l'archéologie africaine ait eues à déplorer, cette année, est celle de M. le baron Aucapitaine, enlevé prématurément, le 22 septembre dernier, par l'épidémie cholérique.

M. Aucapitaine était une de ces individualités malheureusement trop rares, chez lesquelles tous les sentiments sont nobles et élevés. Doué d'une instruction solide et variće, il faisait bon marché des préjugés du monde, et passait, au milieu de ses chers livres, tous les moments que lui laissait son service. Rien n'était étranger à cet esprit studieux et investigateur; rien n'était capable de le rebuter il passait successivement des études scientifiques les plus arides aux recherches historiques et philologiques si difficiles dans un pays où les dominations étrangères, en se succédant, ont détruit systématique

ment ce qu'avaient laissé leurs devancières. Mais ce qui ajoute un prix inestimable à ces brillantes qualités, c'est que, loin de tirer vanité de sa supériorité, ou de la faire. sentir à ceux qui lui étaient inférieurs, Aucapitaine possédait au plus haut point cette aménité et cette facilité d'obliger si aimable dans les rapports de la vie. Aussi, est-il permis de dire que, partout où il a passé, il n'a laissé que des amis.

M. le baron Henri Aucapitaine appartenait à une trèshonorable famille de La Rochelle. Il a débuté en Algérie, il y a une quinzaine d'années, aux tirailleurs de la province d'Alger, et a été attaché, comme secrétaire, au bureau arabe divisionnaire de Blida. Dans cette position. sédentaire, il a entrepris des travaux dont la vie des camps ne lui laissait pas le loisir, et a publié des études géographiques, ethnographiques, historiques, etc., fort remarquées. Il a adressé aussi, à l'Académie des sciences, des rapports justement appréciés. Membre de la Société historique algérienne, il a fait paraître, dans la Revue africaine, des articles d'un style élégant et d'une érudition profonde.

Appelé à voyager, par les vicissitudes de sa position militaire, il ne séjourna pas dans une localité sans l'étudier sous tous ses points de vue. C'est ainsi qu'il envoya à la Revue de nombreuses communications sur Aumale, l'antique Auzia; qu'il recueillit à Bou-Saâda des renseignements précieux, dont il se servit pour publier une notice pleine d'intérêt sur cette oasis.

Envoyé ensuite en Kabilic, il a étudié cette contrée sous ses divers aspects; il y a acquis une connaissance complète des hommes et des choses.

Mais tandis qu'absorbé par ces études, il négligeait le soin de son avenir, la fortune ingrate ne réparait pas cet oubli. Ce n'est qu'après la campagne de Syrie, dans laquelle M. Aucapitaine remplit les fonctions de secrétaire du général en chef, qu'il obtint le grade de sous-lieutenant. Pendant son séjour dans le Hauran, il avait, comme toujours, employé ses loisirs à de nouvelles études et rédigé plusieurs mémoires historiques sur le pays.

Nommé au 36. de ligne, il alla rejoindre son régiment en Corse, où il continua ses travaux. Il traduisit alors une grammaire Tamacher't d'un auteur anglais, et utilisa pour ce travail les connaissances qu'il avait acquises en Kabilie, sur la langue berbère; complètement remaniée et présentée par lui sous une forme nouvelle, en se servant, pour les exemples, des caractères berbères, cette grammaire est digne d'être placée à côté des savants travaux de M. Hanoteau.

A son retour en Algérie, où son régiment fut envoyé, M. Aucapitaine entra comme stagiaire au bureau arabe, et ses aptitudes lui valurent bientôt le grade d'adjoint. Il fit paraître encore plusieurs travaux, parmi lesquels une étude écrite avec talent, sous ce titre les Kabiles et la Colonisation de l'Algérie. Attaché plus tard au bureau de Médéa, il publia, en collaboration avec M. Fédermann, interprète de l'armée, un travail remarquable sur l'organisation politique, militaire, etc., du beylik de Titeri.

Mais nous n'entreprendrons pas de citer toutes les productions de M. Aucapitaine, qui était membre de plusieurs sociétés savantes, parmi lesquelles la Société archéologique de Constantine, et correspondait avec des savants distingués de France.

L'année 1867 commença plus favorable pour lui, et le sort sembla vouloir racheter ses injustices passées. Il fut successivement nommé lieutenant et chevalier de la Légion d'honneur, récompenses bien méritées de ses services; il fut ensuite désigné pour commander l'annexe des Beni-Mançour, point important en Kabilie. Au mois d'août dernier, il se rendit à son poste, accompagné de sa jeune épouse, fille de M. de Chancel, sous-préfet de Blida.

Il revit avec bonheur un pays qu'il aimait, et où ses connaissances le rendaient si apte à exercer le commandement. C'est alors, au moment où tout semblait lui sourire, que le destin devait le frapper de la façon la plus cruelle. A peine fut-il arrivé au fort des Beni-Mançour, que l'épidémie cholérique fit son apparition dans la contrée, et que Mme Aucapitaine, atteinte du fléau, succomba malgré les soins dont elle était entourée. Frappé lui aussi, pendant la maladie de sa compagne, M. Aucapitaine mourut deux jours après elle, sans même qu'on cût osé lui apprendre qu'elle l'avait précédé dans la tombe.

Ainsi est mort un homme devant lequel s'ouvrait une belle carrière. Il possédait, en effet, les talents et l'honnêteté inébranlable si nécessaires à ceux qui ont en main l'administration des indigènes; au fait de toutes les ruses arabes, il savait, par son esprit droit et sagace, deviner et déjouer les fourberies dont les Français sont si souvent dupes. Son mérite le rendait donc digne de prétendre aux plus hautes positions.

L'Algérie perd en lui un de ses plus fervents amis, et ceux qui aiment la science et s'intéressent aux études historiques dans ce pays, doivent regretter amèrement la

mort de celui qui, pendant sa vie, avait consacré tant de veilles à la découverte du passé.

Il a dû laisser bien des notes, bien des travaux inachevés; aussi, la Société archéologique émet-elle le vœu que quelque pieuse main recherche dans ses archives ce qui peut être publié, et complète ce qui est resté inachevé, rendant ainsi à la science un service, et à Aucapitaine un dernier devoir.

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