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tous les captifs de Bone, afin de pouvoir les envoyer à Venise par la galère. Le roi me fit dire qu'il était certain que j'aurais à Tunis tous les captifs de Bone dans le courant du mois de juin; qu'il approuvait ce que j'avais dit, mais qu'il ne pouvait faire autrement.

« Le lendemain j'allai remercier le frère du roi de tout ce qu'il avait dit au roi de Votre Seigneurie et de moi-même. Il serait trop long de vous rapporter notre conversation. Je prie instamment Votre Seigneurie d'exprimer au prince ses remerciements. Ce sera fort utile ici à nos commerçants. Deux jours après, le médecin du roi vint me voir et me faire ses politesses de la part du roi. Il m'adressa beaucoup de questions et finit par me dire : « Le roi voudrait savoir si tu as l'au<< torisation d'acheter quelques marchandises pour la << Seigneurie. » Je répondis : « Non; mais si le seigneur, <<< roi veut vendre quelques marchandises et qu'il me << les désigne, je te dirai quelles sont celles qui pour<<raient convenir à la Seigneurie. >> Il me dit : « Le roi << a de l'huile, du blé, des grains, des cuirs et des toisons.» Je répondis que la république ne faisait le commerce que de deux choses, du sel et du blé.

<< Il me demanda ensuite si je pouvais faire venir ici un grand navire qui dût aller à Alexandrie, ajoutant qu'il y avait à Tunis beaucoup de Sarrasins disposés à payer de gros nolis pour le transport des marchandises qu'ils avaient en grandes quantités, telles que l'huile, les cuirs et les toisons. Je répondis : « Grâce à Dieu, `la « galère ira bientôt porter les nouvelles de la paix à <«< Venise; nos navires reviendront ici, et vous pourrez « régler alors tout ce que vous voudrez pour le nombre

«<et la grandeur des navires. » Quant au blé, aux grains et au sel, je lui dis de m'en remettre les prix et les échantillons pour vous les envoyer. Je préviens Votre Seigneurie que le blé vaut ici quatre doubles le cafis, qui est une mesure de trois staria de Venise. Il y a deux espèces de sel; je ne puis trop vous en dire encore ni le prix ni la qualité. Le médecin ne m'a pas reparlé depuis de ces choses.

«< Enfin, le 4 du présent mois de juillet, vos captifs de Bone sont arrivés. Je me suis rendu immédiatement chez le roi, qui les a fait mettre à ma disposition. Aussitôt j'ai prié le roi de vouloir bien s'occuper de la conclusion du traité, et de faire dresser les instruments de la paix, afin que je pusse les envoyer à Votre Seigneurie. Il dit à ses officiers de s'entendre de suite avec moet de les faire écrire, ce qui fut exécuté. Il y a deux instruments de paix, l'un en arabe, l'autre en latin. Le traité est fait pour dix ans, comme il est dit dans les actes.

« J'envoie à Votre Seigneurie par la présente galère les trente-cinq captifs qui étaient à Bone ou à Tunis. Je vais m'efforcer de réunir ceux qui restent dans les autres parties de la Barbarie, afin de leur rendre la liberté comme le roi me l'a promis. Dès que je les aurai, je les enverrai à Votre Seigneurie, à qui je me recommande humblement.

1392-1409.

JACQUES VALARESSO,

ambassadeur et consul à Tunis.

Négociations et trêves successives entre le royaume
de Tunis, la Sicile et l'Aragon.

Les négociations de la Sicile, interrompues souvent

par les luttes des partis à l'intérieur et les plus vives hostilités au dehors, se prolongèrent au delà du règne d'Aboul-Abbas. Mainfroy de Clermont garda Gerba bien peu d'années. En 1392, il ne résidait plus dans l'île, et les Gerbiotes, contents d'être délivrés des chrétiens, refusaient d'obéir au roi de Tunis, qui les avait défendus. La flotte de Sicile n'avait pu secourir Mainfroy et suffisait à peine à protéger les côtes du royaume. En 1393, les Arabes, débarqués à Syracuse, enlevèrent un nombre considérable de captifs de tous rangs. Parmi les plus marquants se trouva l'évêque de la ville, qui resta trois ans leur prisonnier.

Martin d'Aragon, duc de Montblanc, dont le fils Martin le Jeune avait épousé la reine Marie, en précédant ses enfants dans l'île qu'il venait gouverner pour eux, dut se borner à négocier avec le roi de Tunis. L'insubordination des barons ne lui permettait pas de réorganiser le service militaire, seul moyen de rendre la paix et la sécurité au royaume. De Catane, où la révolte des Palermitains l'avait obligé de chercher un refuge, il donna des instructions à Guillaume Talamanca et à Vito de Malcondignis, il les chargea d'aller à Tunis ménager la délivrance des captifs et la cession des îles du golfe. Dom Martin invoquait comme des titres à la remise des îles la récente occupation de Mainfroy et l'ancienne possession de la maison de Sicile, dont le souvenir était encore vivant parmi les chrétiens et les Maures. Pour le cas où le roi de Tunis s'excuserait sur la révolte des Gerbiotes de son impossibilité à rendre l'île, les envoyés devaient lui demander au moins l'admission d'une garnison chrétienne dans la forteresse du Cachetil, si

AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

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elle se trouvait encore en son pouvoir. Les ambassadeurs devaient enfin engager Aboul-Abbas à consentir à un traité de paix général avec les princes de Sicile et d'Aragon, traité dont le duc Martin s'offrait d'être le médiateur, en réglant convenablement la question du tribut que le royaume de Tunis devait toujours payer à la maison de Barcelone.

L'ambassade n'eut pas de résultat; peut-être même, bien qu'on l'eût préparée avec beaucoup de soin, ne s'achemina-t-elle pas vers sa destination. L'année suivante, Martin, désirant avant tout reconquérir les îles du golfe de Gabès, afin d'affermir son autorité sur les factions en donnant une satisfaction à l'amour-propre national, chargeait Guillaume Talamanca et Vito de Malcondignis, autorisés par avance à prendre possession du gouvernement de Gerba au nom de la couronne de Sicile, de se rendre en Afrique et d'user de tous les moyens pour obtenir la cession désirée, soit du sultan de Tunis, souverain nominal du territoire, soit de l'émir de Tripoli, actuellement protecteur des îles. En exécution des promesses qu'un émissaire juif lui avait clandestinement transmises, l'émir de Tripoli, à la condition de restituer l'île aux Siciliens, aurait reçu immédiatement une assistance contre le roi de Tunis, qui l'assiégeait. Si les envoyés échouaient à Tripoli, ils devaient se rendre à Tunis et y présenter les réclamations libellées dès l'année précédente, en s'occupant du rachat des captifs. Les événements servirent assez bien, quelque temps du moins, cette politique ambiguë.

Les Gerbiotes, espérant toujours trouver leur indépendance au milieu des luttes de ceux qui se dispu

taient leur suzeraineté, arborèrent les drapeaux de Sicile pour échapper au roi de Tunis, pendant que ses troupes étaient occupées au siège de Tripoli, et reçurent une garnison sicilienne. On sait, de source certaine, qu'au printemps de l'année 1393 Hugues de Santa-Paz et Guillaume Talamanca avaient pris possession de Gerba; dom Martin se flattait même alors que Tripoli ne tarderait pas à proclamer la souveraineté du roi de Sicile. Mais cette espérance et la nouvelle prise de possession de Gerba paraissent avoir été de bien courte durée. En 1398, l'île n'appartenait plus aux Siciliens, et le golfe de Gabès comme Tripoli étaient rentrés sous la dépendance du roi de Tunis.

La Sicile et l'Afrique se trouvaient néanmoins en paix. Une trêve formelle existait même entre les deux États, et la navigation marchande avait repris son cours entre leurs sujets. Martin le Jeune occupait alors le trône de Palerme, pendant que le roi Martin son père régnait à Barcelone, où l'avait appelé, en 1395, la mort de son frère Jean Ier. Le roi de Sicile promettait à AbouFarès, fils et successeur d'Aboul-Abbas, de seconder son désir pour arriver à la conclusion d'un traité de paix avec l'Aragon. Les correspondances et les négociations avancèrent très lentement. Les républiques marchandes conduisaient leurs affaires avec plus de suite et de diligence. En 1409, la situation était à peu près la même qu'en 1398, sans qu'on fût parvenu à un traité définitif. Les répugnances ou les lenteurs semblaient venir alors de l'Aragon. Le roi de Sicile, Martin le Jeune, avait chargé deux marchands juifs de Trapani de se rendre à Tunis pour discuter les bases d'un accord gé

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