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est chargé par l'émir de Bougie de porter des lettres au roi d'Aragon. Le traité de 1353, entre la république de Pise et le roi Abou-Ishac, traité dans lequel Fernand Perez, soudoyer chrétien du roi de Tunis, servit d'interprète, fut scellé en présence du caïd Lodorico Alvarès, Espagnol, et du caïd Andreuccio Cibo, Génois, l'un et l'autre connétables des chevaliers chrétiens du roi Abou-Ishac. Trois caïds des troupes chrétiennes furent présents à la clôture du traité que la république de Gênes conclut en 1391 avec Aboul-Abbas, roi de Tunis. On n'eût point appelé des traîtres et des apostats à de semblables honneurs.

L'institution des milices chrétiennes ne se maintint pas seulement dans le Magreb oriental et le royaume de Tlemcen, les annales du Maroc les mentionnent pendant tout le quatorzième siècle, et nous les verrons employées à la cour des rois de Tunis au quinzième et au seizième siècle encore, jusqu'à l'arrivée des Turcs.

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Accepté par les princes et les États de l'Europe, l'engagement des auxiliaires chrétiens pour le compte des rois musulmans du Magreb était connu et approuvé par l'Église. Il n'en faudrait pas d'autres preuves que les menaces itératives, mais purement comminatoires, adressées aux sultans du Maroc par Grégoire IX et Innocent IV d'interdire l'enrôlement des auxiliaires, s'ils n'obtenaient des sultans soit leur conversion, soit des concessions moins difficiles à réaliser, mais qui ne pu

rent être jamais accordées, telles que la cession de places fortes pour la sécurité de ces milices mêmes et des autres chrétiens vivant dans leurs États.

Grégoire IX, en remerciant El-Rechid de la protection donnée à l'évêque et aux religieux du Maroc, ne craint pas de dire au Miramolin que l'Église avait quelque droit de compter sur ses bons offices et même d'espérer qu'un jour il ouvrirait les yeux à la vraie lumière; car, ajoute le pape : « Si tu voulais être l'ennemi et non <«<l'ami du Christ, nous ne pourrions pas permettre que << les fidèles du Christ continuent à rester à ton service. » En 1251, Innocent IV allait plus loin encore, on l'a vu, quand il réclamait d'Omar-el-Morteda la cession de quelques places maritimes pour la sécurité de ces chrétiens nombreux habitant le Maroc avec leurs femmes et leurs enfants, et servant fidèlement le prince, soit dans les armées, soit dans les emplois civils. Le pape justifiait ainsi sa demande : « Ta Grandeur ne peut permettre <«< que des chrétiens attachés à ton service avec un pa<< reil dévouement soient exposés à de sérieux dangers, << s'ils continuent à manquer de lieux fortifiés où ils puissent se retirer en cas de nécessité. Nous prions << donc Ton Excellence d'accorder à ces chrétiens des « villes et des camps fortifiés (munitiones et castra) pour << leur protection. Si tu t'y refusais, nous chargeons l'é<«< vêque de Maroc d'ordonner aux chrétiens habitant ce << pays d'abandonner aussitôt ton service, et d'empêcher << que de nouveaux chrétiens ne se rendent dans tes << Etats pour se mettre à tes ordres. >>

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Les places de sûreté ne purent être accordées, et le service militaire auprès des rois maugrebins ne fut

point interdit aux chrétiens par l'Église. Nicolas IV en admet tout à fait le principe quand, en 1290, préoccupé seulement des dangers que les mœurs et la foi des soldats de ces milices couraient au milieu de populations musulmanes, il leur adresse cette belle bulle, où il leur recommande de ne jamais oublier leur titre d'enfants de l'Église, et, tout en servant fidèlement les émirs auprès desquels ils résident, de conserver intact le dépôt des croyances chrétiennes :

<< A nos chers enfants les nobles hommes, barons, che<< valiers et autres gens d'armes chrétiens engagés au << service des rois de Maroc, de Tunis et de Tlemcen. <<< Si nous désirons que tous les hommes faisant profes«<sion de la doctrine chrétienne méritent par une vie «<exemplaire de gagner le ciel, combien ne souhaitons«< nous pas davantage que les chrétiens qui vivent dans << le pays des infidèles se conservent purs et sans tache <«< par la foi et par les mœurs, afin que leur exemple << puisse ramener dans les voies du salut les infidèles «< eux-mêmes. Que votre conduite soit donc toujours «< conforme à la justice, à la loyauté, à la pu«< reté. Évitez tout ce qui peut déshonorer le nom «< chrétien chez ces peuples. Ne pouvant nous rendre partout, nous envoyons à notre place en Afrique, avec «<les pouvoirs de légat apostolique, notre cher frère Rodrigue, évêque de Maroc, homme capable et pru<< dent. Nous vous prions de le reconnaître, de le secon<< der comme tel, lui et ceux qu'il déléguera dans tou<< tes les choses relatives au culte divin, afin que par le « dévouement et la piété vous persévériez dans une vie «<exemplaire, et qu'ayant à rendre grâces au Seigneur

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«< de votre déférence, nous puissions le prier en même temps de vous combler de ses dons. >>

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Leur utilité dans la guerre pour les rois berbères.

Ce que les princes musulmans appréciaient le plus dans les troupes franques, c'était leur discipline et leur façon de combattre. Ils cherchèrent aussi à s'en faire une garde particulière et de confiance, pour la défense de leur personne et de leur demeure. Exposés sans cesse à être trahis et massacrés, au milieu de la rivalité des tribus indigènes et au sein d'une organisation sociale où toute révolte heureuse était légitimée, plusieurs sultans trouvèrent plus de sécurité à confier la garde de leur palais à des troupes étrangères. Mais l'avantage principal qu'ils attendaient des milices chrétiennes était leur service et leur tactique dans la guerre.

Les troupes franques étaient dressées à observer la discipline et à garder le silence dans les rangs; elles ne s'ébranlaient pour la défense que sur un commandement formel et n'avançaient qu'avec mesure et en bon ordre. Habitués à charger l'ennemi et à se reformer aussitôt en escadrons réguliers, les Francs étaient, au milieu du tourbillon des armées arabes, comme des tours ou des remparts inébranlables, dans leurs mouvements mêmes, derrière lesquels les masses confuses des cavaliers maures venaient se rallier avant de revenir à l'attaque.

Un curieux passage d'Ibn-Khaldoun explique ces avantages des troupes chrétiennes pour les émirs maugrebins. Nous le citerons en entier, quoiqu'il soit un peu long.

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<< Nous venons d'indiquer pourquoi on établit une ligne de ralliement sur les derrières de l'armée, et si«< gnaler la confiance qu'elle communique aux troupes << qui combattent par attaque et par retraite. Ce fut pour « le même motif que les rois du Magreb prirent à leur << service et admirent au nombre de leurs milices des «< corps de troupes européennes (frendj). C'est un usage << qui leur est particulier et qu'ils adoptèrent, parce que << tous les habitants de ce pays étant dans l'usage de «< combattre d'après le système d'attaque et de retraite, <«< ces princes tenaient beaucoup, dans leur propre in« térêt, à établir sur les derrières de leurs armées une << forte ligne d'appui qui pût servir d'abri aux combat<< tants. Pour former une telle ligne, il fallait de toute << nécessité employer des gens habitués à tenir ferme << sur le champ de bataille; car autrement ce corps re<< culerait, ainsi que font les troupes qui ne savent com<< battre que par charges et retraites successives. S'il <«< lâchait pied, le sultan et toute l'armée seraient entraî«nés dans la déroute. Les souverains maugrebins eurent << donc besoin d'un corps de troupes habituées à com<< battre de pied ferme, et ils les prirent chez les Euro«< péens. Pour former le cercle de troupes qui les entou«< rait (pendant la bataille), ils prirent aussi des soldats << de cette race. C'est là, il est vrai, s'appuyer sur des <«< infidèles, mais ces princes ne regardaient pas cela <«< comme un sujet de reproche; ils étaient obligés de <«< le faire, ainsi que nous venons de l'expliquer au lec<< teur, par la crainte de voir le corps de réserve qui les << entourait prendre la fuite. Sur le champ de bataille, «<les Francs tiennent ferme; ils ne connaissent que

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