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de leur aptitude et de leur industrie, de rassembler les objets sortis de leurs mains, et de comparer ces objets entre eux après les avoir disposés avec ordre, au moyen d'une classification scientifique. Bien plus : quantité de ces produits de l'industrie portent le reflet de l'intelligence des hommes dont ils sont l'ouvrage; ils montrent quelle était chez eux la tournure de l'esprit et des idées, en même temps qu'ils font connaître matériellement leur dextérité plus au moins ingénieuse. L'examen de ces objets peut donc servir au côté moral des études ethnographiques, comme à la connaissance de l'état des arts et de l'industrie. Par exemple, s'il est vrai que les idées religieuses ne sont étrangères à aucun des peuples de la terre, on doit désirer de connaître quelles sont les formes extérieures de leur culte, et par quelles images, par quels symboles de la nature, ils ont représenté la puissance divine.

Les hommes, même peu cultivés, se sont élevés à la consi- dération du nombre et de l'espace; de là les rudiments plus ou moins grossiers, ou imparfaits, de calcul ou de géométrie élémentaire. Des instruments leur ont servi à compter, peser, mesurer; il importe de les rassembler. Il est plusieurs de ces peuples qui, promenant leurs regards sur la voûte céleste, ont divisé la marche annuelle apparente du soleil, et donné des dénominations aux groupes d'étoiles; et il en est aussi qui ont donné une forme, un corps à leurs idées sur ce sujet, et qui les ont figurées sur le bois ou sur la pierre. Tous ont possédé des jeux, et ont eu des instruments de musique rien n'est plus général peut-être que la pratique des fêtes, des jeux, des danses, des cérémonies, des chants; rien de plus universel que l'instinct musical: comme si, partout, l'homme avait besoin de chercher un adoucissement, un dédommagement à ses souffrances physiques et morales! Les instruments de ces jeux sont donc infiniment curieux à étudier, soit qu'ils n'aient eu pour but qu'un pur

délassement, soit qu'ils supposent un certain esprit de combinaison ou de calcul numérique. Bien d'autres points, qui touchent au moral et à l'intelligence de l'homme, peuvent être connus et compris à l'aide des produits du travail de ses mains, méthodiquement réunis : tel est le double objet des Collections et Musées ethnographiques.

Sous un autre aspect encore, et non moins utile, ces collections méritent d'être appréciées. On a des exemples de figures exécutées de la main des natifs, retraçant, comme on l'a dit, les nuances délicates de la physionomie, avec une finesse de travail faite pour surprendre chez des hommes étrangers aux arts de l'Europe. Le caractère distinctif des individus s'y réflète pour ainsi dire avec autant de fidélité que dans un miroir, et mieux même, quand ces figures sont de plein relief ou en ronde-bosse; avec le caractère physique, ces images semblent donner aussi l'expression, l'air du visage : on doit les étudier avec soin pour la connaissance des races.

Les progrès que fait sur le globe la civilisation chrétienne depuis un demi-siècle, par suite des guerres et des expéditions 'de toute espèce, ont commencé à modifier profondément l'état social des peuples lointains : les mœurs, les usages, les instruments des arts et les ustensiles, tout jusqu'au langage, va s'altérant chaque jour davantage. Bientôt peut-être il ne sera plus temps de recueillir ces restes d'un passé qui disparaît et s'évanouit sans retour. Il faut se hâter de rassembler ce qui subsiste encore 1.

Une collection comme celle que je viens de définir, pour être utile à l'étude, doit, je le répète, être classée avec méthode, et d'après un plan scientifique. Il faut que tous les pays y soient représentés, moins l'Europe civilisée bien en

1 Voir : Considérations sur l'objet et les avantages d'une collection spéciale consacrée aux cartes géographiques et aux diverses branches de la géographie. In-8, 1831, pages 18, 63 et suivantes.

tendu, moins aussi les autres contrées de la terre, gouvernées ou colonisées à l'européenne. Il faut également que la collection renferme des spécimen de toutes les classes d'objets propres à peindre le degré d'avancement et l'état de l'industrie; de manière que les pièces soient assujetties à une double classification, à la classification par matière et à la classification géographique. On va voir en détail celle que j'ai cru devoir adopter et que je crois aussi pouvoir recommander comme tout à fait générale, comme susceptible d'admettre les objets de toute nature, rapportés et à rapporter par les voyageurs. La méthode est fondée à la fois sur l'ordre des besoins naturels de l'homme, et sur le développement ordinaire des sociétés humaines. En étudiant une telle collection, depuis son commencement jusqu'à sa fin, l'on aurait sous les yeux un tableau successif et progressif de l'industrie de l'homme, depuis ses besoins les plus impérieux jusqu'aux développements du luxe.

En exposant ce plan de la classification, je dois rappeler que les productions naturelles, que tout ce qui n'est pas travaillé par la main de l'homme, en un mot, la nature brute, sont exclus de la collection, de même que tout ce qui est le produit de nos arts modernes : il n'est question ici que des œuvres de l'industrie extra-européenne; ajoutons que pour être complète, la collection doit renfermer des dessins ou des modèles partout où les objets manquent, et aussi là où les originaux sont de trop grande dimension, par exemple s'il s'agit des navires, des machines et des appareils divers plus ou moins volumineux.

Si l'on réfléchit à l'essence d'une telle collection, l'on ne s'étonnera pas que le classement par ordre de matières précède l'ordre géographique. L'on possède, en effet, des objets appartenant à toutes les classes et à toutes les espèces; mais on n'en a point de tous les pays de la terre. La collection sera donc divisée par nature d'objet, et sous-divisée par lieux.

Cette double division est propre à prévenir la confusion; sans elle, la collection pourrait ressembler à un chaos, ou à un magasin d'objets incohérents; inconvénient grave qui, sans doute, a contribué à retarder chez nous la formation d'un vrai musée de cette espèce, bien que l'utilité en soit incontestable. Mais on ne songe guère à ce MUSÉE DE LA GÉOGRAPHIE ET DES VOYAGES, longtemps espéré, vainement attendu.

Les objets d'art étrangers, s'ils sont disposés dans un ordre méthodiqeu et instructif, ne seront pas examinés sans fruit par les industriels, soit pour certains usages qui pourraient entrer dans notre économie domestique, soit pour les produits qui manquent à nos arts, soit pour la beauté des nuances tirées de certaines substances colorantes, etc. Il existe en Afrique, par exemple, des alliages ou plutôt des plaqués longtemps restés inconnus à notre industrie. Je citerai encore un instrument qui a pour objet l'éducation physique, c'est-à-dire la gymnastique; c'est un arc en fer, d'environ deux mètres de long la corde est aussi de fer; c'est une chaîne très-forte, et qu'il est extrêmement difficile de tendre et d'écarter de l'arc. Celui qui s'exerce avec cet instrument doit l'ouvrir assez pour laisser passage à la tête, aux bras ou aux jambes, et successivement; mais ce n'est qu'avec un assez grand effort musculaire qu'il peut en venir à bout, qu'il peut séparer suffisamment l'arc de la corde et prévenir le danger d'être serré comme dans un étau; d'autres exercices du même genre se feront sans doute remarquer dans une collection complète.

Puis-je terminer ces réflexions sur la branche la moins savante de l'Ethnographie, savoir les collections matérielles, sans rappeler au moins, par quelques mots, le but élevé que se propose la science nouvelle, bien comprise; sans dire sa haute portée sociale et son influence probable sur la civilisation, sur les progrès de l'humanité? N'est-il pas vrai que quand les hommes se connaîtront plus, ils pourront et sau

ront mieux s'apprécier. De toutes les barrières qui séparent les peuples, il n'en est pas de plus difficile à franchir que la différence des langues (car aujourd'hui la distance, l'espace · n'est plus rien); l'Ethnographie peut y réussir un jour. On a beaucoup parlé, au temps de l'abbé de Saint-Pierre, et depuis cent cinquante ans, de la paix perpétuelle: Jean-Jacques en parlait aussi, et, aujourd'hui, il existe en Angleterre une Société des Amis de la Paix, qui professe cette doctrine; mais rien n'annonce que ces vœux soient prêts à se réaliser : qui sait si les travaux, les découvertes des Ethnographes ne conduiront pas un jour à ce but désiré? Que les hommes, je le répète, se connaissent plus : ils s'estimeront, et peut-être s'aimeront davantage.

JOMARD, de l'Institut.

KHIVA

APERÇU HISTORIQUE DES RELATIONS DU KHANAT AVEC LA RUSSIE

D'APRÈS LES DOCUMENTS RUSSES

La récente réunion à la Russie de la vaste contrée amoûrienne et du fertile pays transilien qui a permis à l'empire moscovite de reculer ses frontières jusqu'au cœur même de l'Asie, a attiré l'attention de l'Europe sur les immenses progrès accomplis depuis peu par les Russes dans cette partie du monde, progrès qui, vu la crise politique que traverse en ce moment la Chine ainsi que la Barbarie, et la faiblesse des gouvernements musulmans de Khiva, de Bokhara et du Kokand, tendent à s'accroître de jour en jour, et à contrebalancer singulièrement l'influence anglaise.

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