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naturel, ce ministre donna pleine carrière à sa tyrannie; il enleva l'argent des riches; il insulta aux gens honorables qui se présentaient chez lui, et il inspira à tous une telle horreur qu'ils invoquèrent la vengeance de Dieu sur leur oppresseur. L'accomplissement de leur prière s'effectua par l'intermédiaire de notre seigneur le sultan Adou-'l-Abbas.

LE SULTAN ABOU-L-ABBAS S'EUPARE DE TUNIS ET REND A L'EMPIRE

HAFSIDE SES ANCIENNES LIMITES.

Le sultan Abou-Ishac mourut en 770 (1368-9), et son fils [Abou-l-Baca-]Khaled, qui était encore en bas âge, fut placé sur le trône par l'affranchi Mansour-Sariha et par le chambellan Ibnel-Baleki. Ces ministres imprimèrent une très-mauvaise direction aux affaires et s'y conduisirent avec une maladresse extrême. A peine furent-ils au pouvoir qu'ils s'attirèrent l'inimitié de Mansour-Ibn-Hamza, chef des Kaoub, tribu qui était maîtresse de toute la campagne. Mansour avait espéré que les deux ministres partageraient leur autorité avec lui, et, voyant ses prétentions repoussées, il céda aux inspirations de la colère et alla trouver le sultan Abon-'l-Abbas. Ce prince se tenait toujours sur la frontière occidentale de l'empire, prêt à fondre sur la capitale quand l'occasion s'en présenterait.

Le chef arabe le pressa vivement de s'emparer du royaume paternel et de porter remède aux maux qui en accablaient les populations; « Votre devoir, lui dit il, est de rétablir l'empire » dans son intégrité. Tout vous y appelle, votre noble caractère, >> votre rang, votre puissance et la renommée de votre justice. >> Par votre douceur et vos qualités généreuses, vous ferez le bon>> heur de vos sujets, et ils auront enfin la satisfaction d'ètre >> gouvernés directement par leur souverain sans qu'un ministre » vienne contrôler ses ordres. » Ces paroles confirmèrent Abou'l-Abbas dans la résolution qu'il avait déjà formée, et, comme les

habitants de Castîlïa lui avaient fait une proposition du même genre, il envoya chez eux Abou-Abd-Allah-Ibn-Tafraguîn afin de connaître jusqu'à quel point il pourrait compter sur leur dévouement. Toute la population de cette localité prêta, entre les mains d'Ibn-Tafraguîn, le serment de fidélité, et cet exemple fut suivi par Yahya-Ibn-Yemloul, seigneur de Touzer, et par ElKhalef-Ibn-el-Khalef, seigueur de Nefta.

Après le retour d'Ibn-Tafraguîn, qui rapporta au sultan la franche adhésion des peuples [djeridiens] et l'assurance qu'ils avaient tous proclamé sa souveraineté, ce monarque sortit de Bougie avee ses troupes et marcha, à grandes journées, vers El-Mecila, ville où se tenait son cousin Ibrahim, fils d'AbouZékérïa. Les Aulad-Soleiman-Ibn-Ali, tribu douaouidienne, avaient fait venir ce prince de Tlemcen afin d'appuyer ses prétentions au trône de Bougie, trône que son frère l'émir AbouAbd - Allah venait de perdre. Ce projet eut pour auteur Abou-Hammou, souverain de Tlemcen, dont les promesses de coopération et d'appui étaient demeurées toutefois sans effet. Quand Abou-'l-Abbas parut devant la ville, ces Arabes renoncèrent à leurs engagements envers Ibrahîm et le renvoyèrent à Tlemcen. Le sultan reprit alors la route de Bougie et, de là, il partit pour Tunis. Pendant sa marche, il reçut la soumission de tous les petits états de l'Ifrikïa.

Arrivé sous les murs de la capitale, il dressa son camp, et, pendant quelques jours, il dirigea de fréquents assauts contre les remparts. Ensuite il mit en exécution son véritable plan d'attaque et s'approcha des murs en se faisant suivre de son frère, de ses familiers et des troupes de sa maison auxquelles il avait fait mettre pied à terre. Soutenu par cette bande dévouée, il renversa tous les obstacles, franchit les murailles qui touchent au jardin de Ras-et-Tabïa et chassa les soldats qui garnissaient cette partie du rempart. Les fuyards se répandirent dans la ville et ajoutèrent à l'effroi des habitants qui en étaient déjà

Le texte arabe porte Constantine.

T.HI.

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venus à des reproches et à des récriminations mutuelles. Les officiers de l'empire [tunisien] montèrent à cheval et se mirent en bataille devant le Bab-el-Ghadir, une des portes de la citadelle; mais, en voyant que les moyens de retraite allaient leur être coupés, ils abandonnèrent leur position et se dirigèrent vers le Bab-el-Djezîra. Ayant brisé les serrures de cette porte, ils eurent encore beaucoup à souffrir avant de pouvoir emmener leur sultan et se soustraire aux coups d'une populace indignée. La cavalerie d'Abou-'l-Abbas se mit à leur poursuite et ramena prisonnier le sultan Abou-l-Baca-Khaled; elle rapporta aussi la tête d'Ibn-el- Baleki. L'affranchi Mansour-Serîdja se sauva à toute bride, sans penser à combattre pour ses amis.

Le sultan victorieux entra dans le palais de ses ancêtres et monta sur le trône. On livra au pillage les maisons des grands officiers de l'empire, de ces tyrans qui avaient tant accablé le peuple par leur violence et leurs exactions. Le feu du désordre allumé par la dévastation des propriétés appartenant aux fuyards s'accrut au point qu'il devint impossible de l'éteindre : le vol et la rapine enveloppèrent toute la ville, et des innocents même en furent les victimes. Grâce enfin à la bonne volonté du sultan et au bonheur qui l'attendait, on parvint à faire cesser le désordre. Les habitants trouvèrent en ce prince un protecteur plein d'humanité, un souverain rempli de justice. L'on accourut autour de lui, comme les papillons se précipitent vers une bougie; l'on baisa les pans de son manteau; l'on s'épuisa à lui souhaiter du bonheur; l'on se pressa pour voir sa figure. La nuit vint enfin mettre un terme à ces démonstrations de joie et fournir au sultan l'occasion de rentrer dans son palais. Ce fut sous ces auspices qu'Abou-'l-Abbas devint enfin seul maître du royaume de ses ancêtres.

L'émir Abou-l-Baca-Khaled et son frère furent embarqués pour [Bône (?) d'où on devait les conduire à] Constantine; mais leur vaisseau, battu par les vagues, finit par sombrer et tout le monde péril. Parvenu au but de ses désirs, le sultan confia la place de chambellan à son frère, l'émir Abou-Yahya-Zékérïa, et lui donna pour lieutenant Ibn-Tafraguîn dont l'empressement à

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quitter la cour de Tunis pour entrer à son service lui avait causé

une vive satisfaction.

MANSOUR-IBN-HAMZA

ACCOMPAGNÉ D'ABOU-YAHYA-ZÉKÉRÏA, ONCLE

DU SULTAN, FAIT UNE EXPÉDITION CONTRE TUNIS.
DÉMONSTRATION ENTRAÎNE LA CHUTE D'IBN-TAFRAGUÌN.

-

CETTE

Mansour-Ibn-Hamza était chef des Kaoub et, en cette qualité, il commandait à tous les nomades de la grande tribu de Soleim. Il avait joui d'une haute faveur auprès du sultan Abou-Ishac, qui le préférait à tous les autres membres de la famille de Hamza. Cette puissante maison s'était appropriée toute l'Ifrîkïa depuis qu'elle en avait expulsé le sultan Abou-'l-Hacen. Maîtresse de la campagne et même de plusieurs villes, elle recevait encore du gouvernement tunisien une portion considérable des impôts que l'on recueillait au nom de l'état. Les ministres du gouvernement hafside avaient senti la nécessité de concéder aux Kaoub tous ces priviléges afin de s'assurer leur appui dans les conflits qui s'élevaient entre le sultan de Tunis et les seigneurs de Bougie et de Constantine. Il en était résulté que les Hamza tenaient en leur pouvoir la majeure partie de l'lfrîkïa et que le sultan ne possédait qu'une faible portion de son propre empire.

Abou-'l-Abbas, devenu maître de la capitale et chef unique de la dynastie hafside, ne pouvait souffrir un pareil état de choses; aussi commença-t-il à mettre des bornes aux envahissements des Arabes et à leur enlever toutes les villes et cantons qui avaient autrefois appartenu au domaine privé du sultan. Ce procédé, auquel ils ne s'attendaient pas, remplit leurs cœurs d'indignation, et Mansour-Ibn-Hamza lui-même prit une attitude hostile. Abou-Sanouna, chef des Hakim, le seconda dans cette révolte et se rendit chez les Douaouida avec toute sa tribu, afin de reconnaître pour sultan l'émir Abou-Yahya-Zékérïa, fils du sultan

Voy. t. 1, pp. 157, 158.

Abou-Yahya-Abou-Bekr. Ce prince était demeuré au milieu des Douaouida depuis l'époque de son échauffouré à El-Mehdia', quand il se révolta contre son frère, le sultan Abou-Ishac.

Les insurgés se mirent alors en marche pour Tunis et rencontrèrent aux environs de Tebessa les tribus dont Mansour-IbnHamza exerçait le commandement. Ces nomades prêtèrent aussi le serment de fidélité au prétendant. Une députation de leurs cheikhs alla ensuite trouver Yahya-Ibn-Yemloul, démon d'insubordination et de perversité, afin de l'engager à reconnaître leur sultan et à lui fournir des secours. En faisant cette démarche, ils comptaient sur les promesses formelles qu'ils avaient reçues; mais maintenant qu'ils s'étaient tout-à-fait engagés dans la révolte, ils avaient le chagrin de voir qu'Ibn-Yemloul tenait beaucoup à sou argent et qu'il remettait de jour en jour l'accomplissement de ses engagements. Mansour-Ibn-Hamza en fut tellement dégoûté qu'il prit secrètement la résolution de se remettre aux ordres d'Abou-'l-Abbas. Malgré ce désappointement, les rebelles continuèrent leur marche sur la capitale.

Un corps de troupes que le sultan envoya contre eux sous la conduite de son frère, l'émir Abou-Yahya-Zékérïa, fut mis en déroute, mais Mansour et ses alliés ne surent profiter de cette victoire et perdirent plusieurs journées à ravager les environs de la capitale. Abou-'l-Abbas ayant alors appris d'un dénonciateur qu'Ibn-Tafraguîn avait invité les Arabes à venir de nuit surprendre la ville, ordonna l'arrestation de ce ministre et le fit mettre à bord d'un navire. On conduisit le prisonnier à Constantine, où il resta en détention jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu en 788 (1386). El-Mansour, voyant que ses Arabes ne lui obéissaient plus et que le sultan leur faisait passer de l'argent, accepta les offres avantageuses que ce prince lui fit, rentra dans l'obéissance, livra son fils comme gage de sa sincérité, rompit ses engagements avec le prétendant et le renvoya chez les Douaouida. Depuis lors, il continua à servir avec fidélité. En

Ci-devant, page 60.

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