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marcha contre Tedellis et, vers la fin de l'année (septembre), il enleva cette place à Omar-Ibn-Mouça, chef qui, par sa naissance, tenait un haut rang parmi les Beni-Abd-Ouad.

J'étais alors en Espagne, où je jouissais de l'hospitalité du sultan [de Grenade], Abou-Abd-Allah-Ibn-Abi-'l-Haddjadj-Ibnel-Ahmer. Je me trouvais là, loin de ma patrie, victime des vissicitudes de la fortune; la mort m'ayant ravi mon protecteur, le sultan Abou-Salem, prince qui m'avait porté aux honneurs, qui m'avait élevé au rang de secrétaire d'état, de secrétaire des commandements, de grand justicier du royaume, etc. L'émir, Abou-Abd-Allah m'ayant alors envoyé chercher, je me rendis auprès de lui, « et si Dieu l'eût voulu, ils ne l'eussent pas fait!» Si j'avais pu prévoir l'avenir, j'aurais fait provision de bonnes œuvres ! Dans le mois de Djomada 766 (fév.-mars 1365), je traversai la mer et j'obtins de ce prince la place de chambellan et l'administration de son royaume. Je remplis ces fonctions à la satisfaction générale et je continuai à les exercer jusqu'à ce que Dieu permit la chute de mon patron et la disparition de son empire.

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LE SULTAN

MORT DU CHAMBELLAN ABOU-MOHAMMED-IBN-TAFRAGUÎN.-
[ABOU-ISHAC] ENTRE DANS L'EXERCICE DU POUVOIR.

Pendant les derniers temps de son séjour à Bougie, le sultan Abou-Ishac s'attendait à la mort de son chambellan et tuteur, Ibn-Tafraguîn. Ayant ajouté foi aux paroles des astrologues qui lui avaient prédit cet événement, il allait partir pour Tunis quand il se vit trahir par le peuple de Bougie. Livré à son neveu, l'émir Abou-Abd-Allah, il obtint de lui la permission de se rendre à la capitale, où il arriva dans le mois de Ramadan 765 (juin-juillet 1364).

Ibn-Tafraguîn lui fit un accueil très-empressé, et, s'étant

Coran; sourate 6, verset 438.

aperçu qu'il avait contracté, à Bougie, l'habitude de commander, il jugea nécessaire de se conformer en toutes choses aux volontés du maître, de flatter ses caprices et de cultiver sa bienveillance par de riches cadeaux. Il lui donna de beaux chevaux, de l'argent, et se démit de la direction générale des finances pour lui faire plaisir. Ensuite, sur la demande du sultan, il lui donna sa fille en mariage et, après la célébration de la nôce, il cessa de vivre. Sa mort eut lieu en 766 (4364-5).

Le sultan témoigna une douleur profonde en apprennant cet événement; il assista à l'enterrement, qui se fit dans l'école fondée par le défunt, en face de son hôtel, à l'extrêmité septentrionale de la ville, et là, debout, auprès de la fosse, il versa des larmes pendant que les courtisans la remplissaient de terre : en un mot, il lui rendit les derniers devoirs avec une attention qui frappa tout le monde.

Abou-Abd-Allah[-Mohammed] - Ibn-Tafraguîn était absent lors de la mort de son père, ayant quitté la capitale à la tête d'une colonne afin de faire rentrer les impôts et de maintenir le pays dans l'ordre. A cette nouvelle inattendue, il conçut des soupçons fâcheux et, cédant à ses appréhensions, il renvoya ses troupes à Tunis. S'étant alors fait accompagner par les Hakim, tribu soleimide, il alla parcourir l'Ifrîkïa, en se présentant devant toutes les forteresses dont il croyait les garnisons bien disposées pour sa famille. Mohammed-Ibn-Abi-'l-Oïoun, son ancien sécrétaire, lui refusa l'entrée de Djerba, et Mohammed-Ibn-elDjekdjak, ancien serviteur et protégé de la maison Tafraguin, lui ferma les portes d'El-Mehdïa. Ayant alors reçu, de la part du sultan, l'assurance qu'aucun mal ne lui serait fait, il consentit, après quelque hésitation, à prendre la route de la capitale. Lo sultan l'accueillit avec une bonté extrême et le porta au faîte des honneurs et du pouvoir, après l'avoir nommé à la place de chambellan.

Accoutumé à commander du vivant même de son père, ce membre de la famille Tafraguîn fut très-mécontent de voir le sultan s'occuper d'affaires et recevoir sans difficulté les personnes qui désiraient l'entretenir. Bientôt des nuages s'élevèrent entre

lui et son souverain; les scorpions de la calomnie vinrent ramper autour de sa couche et troubler son repos; dégoûté enfin de sa position, il s'enfuit à Constantine avec l'intention de pousser Abou-l-Abbas à s'emparer de Tunis. Ce prince lui fit un trèsbon accueil et promit d'envahir l'Ifrikïa aussitôt qu'il aurait terminé avec Bougie. On verra plus loin que les hostilités avaient éclaté entre lui et son cousin, le seigneur de cette ville.

Après la fuite d'Abou-Abd-Allah-Ibn-Tafraguîn, le sultan Abou - Ishac tourna encore son attention vers l'état de son royaume et prit pour chambellan Ahmed-Ibn-Ibrahim-el-Baleki1, membre du corps des intendants provinciaux et ancien serviteur d'Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin. Il confia l'administration de la guerre et le commandement de l'armée à Mansour-Serîba, affranchi d'origine européenne. Devenu d'un accès facile pour les grands dignitaires de l'empire et pour les employés du gouvernement, il s'entretenait volontiers avec eux et même avec les percepteurs des impôts et les principaux domestiques du palais; dans ses communications avec tous ses officiers, il continua jusqu'à sa mort de se passer d'intermédiaire.

MORT DE SON

LE SULTAN ABOU-L-ABBAS S'EMPARE DE BOUGIE.
COUSIN [ABOU-ABD-ALLAH], SEIGNEUR DE CETTE VILLE.

L'émir Abou-Abd-Allah, devenu enfin maître de Bougie, y déploya une telle sévérité qu'il encourut la réprobation générale. Ses sujets indignés le prirent en haine et rapportèrent leurs affections sur son cousin Abou-'l-Abbas, seigneur de Constantine, dont la conduite était sage, le caractère droit et l'administration paternelle. Ces deux princes avaient dejà eu, du vivant de leurs pères, plusieurs disputes au sujet de la frontière de leurs états respectifs, et il en était résulté des troubles et des

1 Variante: Yaleki.

1 Variante: Seridja.

conflits à main armée. Abou-'l-Abbas, pendant qu'il vivait à l'étranger et qu'il déployait, auprès de son protecteur, le sultan Abou-Salem, les qualités les plus louables, avait souvent eu occasion de réprimander son cousin dont les extravagances choquaient tout le monde. Ses bons conseils ne servirent qu'à aigrir le cœur d'Abou-Abd-Allah qui, étant enfiu rentré en possession de Bougie, commença, de propos délibéré, à souffler encore les brandons de la discorde. Il y réussit au gré de ses désirs, mais Yacoub-Ibn-Ali, qui s'était engagé à le soutenir, lui refusa son concours, passa du côté d'Abou- 'l-Abbas et mit en déroute un corps de troupes qui était sorti de Bougie pour insulter le territoire de Constantine.

Dans une seconde expédition, Abou-Abd- Allah se mit laimême en campagne avec les Aulad-Mohammed et un corps de troupes zenaliennes, après avoir vu les Aulad-Sebâ-Ibn-Yahya abandonner son drapeau. Le sultan Abou-l-Abbas mit cette armée en déroute, la poursuivit depuis Setîf jusqu'à Tagrert et ne repartit pour Constantine qu'après avoir parcouru et dévasté la province de Bougie. Les habitants de cette ville cédèrent enfin à la haine qui les animait contre leur souverain, et le voyant rentrer chez eux en fugitif, ils invitèrent secrètement le sultan Abou-'l-Abbas à se mettre encore en campagne. Il leur promit de marcher l'année suivante sur Bougie, et effectivement, en l'an 767 (1365-6), il réunit à son armée les troupes de ses alliés douaouidiens, les Aulad-Mohammed, et se dirigea sur cette ville. Les Aulad-Sebâ vinrent aussi se joindre à lui, eux qui, par ancienne habitude et par esprit de voisinage, avaient toujours soutenu le gouvernement de Bougie.

Abou-Abd-Allah espéra conjurer l'orage par des propositions de paix et, dans ce but, il se rendit à Lebzou avec une petite bande d'amis dévoués. Le lendemain, au point du jour, les troupes d'Abou-l-Abbas arrivèrent à l'improviste, culbuterent les partisans de l'émir de Bougie et s'emparèrent de son camp Ce fut en vain que le malheureux prince essaya de regagner sa ville; poursuivi de près, il fut bientôt atteint, et il mourut criblé de coups de lances. Le vainqueur poussa en avant et, le 19

Chaban, 767 (3 mai 1366), il parut devant Bougie, pendant qu'on y célébrait la prière du vendredi.

Comme je demeurais alors dans la ville, je sortis au devant de lui avec une députation des notables. Il m'accueillit de la manière la plus gracieuse et me donna à entendre qu'il serait heureux de m'avoir à son service. Je restai près d'un mois à la cour de ce monarque qui était maintenant devenu maître de tous les états dont se composait le royaume de son aïeul Abou-Zékérïa', mais je concus alors des craintes pour ma sûreté et je démandai l'autorisation de m'éloigner. Le sultan y consentit avec une grâce, une bonté et une générosité extrêmes. J'allai sur le champ trouver Yacoub-Ibn-Ali et, de chez lui, je me rendis à Biskera, où Ibn-Mozni me donna l'hospitalité. Je restai dans cette ville jusqu'à ce que les nuages de l'adversité se fussent dissipés, et ayant ramené la fortune qui m'avait abandonné, je m'adressai encore au sultan Abou-'l-Abbas, treize ans après l'avoir quitté, et j'obtins l'autorisation d'aller le voir. Il me reçut avec de grands égards et daigna verser sur moi quelques rayons de ce bonheur dont il etait toujours entouré. Je reparlerai de ceci dans mon autobiographie.

ABOU-HAMMOU ET LES BENI-ABD-EL-OUAD MARCHENT CONTRE BOUGIE. LEUR DÉFAITE.

ILS PERDENt tedellis.

L'émir Abou-Abd-Allah s'étant trouvé dans l'impossibilité de soutenir en même temps une guerre entre son cousin Abou-'lAbbas et une autre contre les Beni-Abd-el-Ouad, auxquels il avait enlevé Tedellis, s'était décidé à faire la paix avec ceux-ci en leur rendant la ville dont il venait de faire la conquête. La place fut en conséquence remise au général de l'armée qui en faisait le siége. A la suite de cet arrangement, l'émir Abou-Abd-Allah envoya une ambassade à Tlemcen, auprès d'Abou - Hammou,

1 Voy. t. 1, p. 418.

2 Voy. t. 1, pp. XLV, LI, LIL.

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