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Khidr-Ibn-Mohammed. De temps en temps, la guerre éclatait entre ces deux tribus, ainsi que cela leur était déjà arrivé pendant leur séjour en Orient, et, chaque fois qu'elles s'apprétaient à un conflit, leurs parents établis à Tlemcen accouraient pour y prendre part. Dans ces rencontres, ils se battaient à coups de flèches, car l'arc était l'arme dont ils se servaient habituellement. Un de leurs combats les plus fameux eut lieu à Fez, en l'an 674 (1275-6): Khidr, ayant rassemblé ses Louîn en dehors de la porte Fotouh, livra bataille aux Tabir commandés par Ali et Selman. Le sultan Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack les laissa faire, pour ne pas manquer aux égards qu'il croyait leur devoir.

Selman-Ibn-Hacen mourut, l'an 690 (1291), à Tarifa, où il s'était rendu avec l'intention de tenir garnison et d'acquérir les mérites de la guerre sainte. Son neveu, Mouça, fils d'Ali-IbnHacen, fut élevé dans le palais de Youçof-Ibn-Yacoub par les dames de la famille royale, et il capta la bienveillance de son souverain à un tel degré qu'il eut l'autorisation d'entrer chez lui à toute heure. Cette faveur le remplit d'une présomption qui, à plusieurs reprises, lui attira des désagréments et, pendant que le sultan1 assiégeait la ville de Tlemcen, il [essuya une contrariété si blessante pour son amour-propre qu'il] passa aux Abd-elOuadites. Othman-Ibn-Yaghmoracen l'accueillit avec tout l'empressement et tous les égards qu'un pareil hôte méritait par son rang, par sa naissance et par la faveur dont il avait joui. D'après le désir du sultan Youçof, le père de Mouça entreprit de ramener le transfuge et, l'ayant rencontré dans une escarmouche, il lui proposa de revenir. Mouça s'en excusa en citant toutes les bontés dont les Beni-Abd-el-Ouad l'avaient comblé; et son père, changeant de langage, l'engagea fortement à rester avec ses nouveaux amis et à les servir fidèlement. Rentré au camp, le vieux chef raconta au sultan les particularités de cette entrevue et n'encourut pas même le moindre reproche de la part qu'il y avait prise. Le père de Mouça mourut en Maghreb l'an 700 (1300-1).

1 Dans le texte arabe, lisez Youçof-1bn-Yacoub-Ibn- Abd-el-Hack.

Après la mort d'Othman-Ibn-Yaghmoracen, les fils de ce prince ajoutèrent encore aux honneurs dont jouissait Mouça-IbnAli ils l'admirent dans leur société intime, lui confièrent le commandement de leurs armées, le gouvernement de leurs provinces et l'élevèrent aux plus hautes dignités en le nommant vizir et chambellan. Lors de la mort d'Abou-Hammou, ce fut Mouça qui administra au peuple le serment de fidélité envers Abou-Tachefin. Etant alors parvenu à gouverner le nouveau souverain, il s'attira la haine de l'affranchi Hilal, dont la haute influence lui inspirait également une jalousie extrême. Voyant avec appréhension les dangers de sa position, il prit la résolution de passer en Espagne pour combattre les chrétiens; mais, avant de pouvoir mettre son projet à exécution, il fut arrêté par l'ordre de Hilal et déporté en ce pays. Arrivé à Grenade, il entra au corps des Volontaires de la foi, et, pendant tout le temps de son séjour, il évita de toucher le traitement qu'Ibn-el-Ahmer, le sultan de cette ville, lui avait assigné. Cet acte d'abnégation et d'indépendance parut si extraordinaire que tout le monde en parla avec admiration, et Hilal en ressentit une telle jalousie qu'il décida son maître à demander l'extradition du généreux guerrier. Mouça-Ibn-Ali fut renvoyé en Afrique et reçut encore du sultan abd-el-ouadite un commandement sur la frontière [orientale] et la conduite de plusieurs expéditions militaires. En l'an 727 (4326-7), il mena les troupes zenatiennes contre AbouYahya-Abou-Bekr et essuya, en Ifrîkïa, une défaite sanglante'. Après avoir ramené à Tlemcen les débris de son armée, il apprit que Hilal travaillait encore à le perdre dans l'esprit du sultan. Pour éviter ce nouveau danger, il alla se réfugier au milieu des Arabes Douaouida et se laissa remplacer dans la direction du siége de Bougie par Yahya-Ibn-Mouça, seigneur du territoire de Chelif. Descendu chez Soleiman et Yahya, tous les deux fils d'AliIbn-Sebâ-Ibn-Yahya et chefs douaouidiens, il y trouva un ac

1 Voy. t. 1, pp. 464, 477, où, cependant, notre auteur ne fait aucune mention de la défaite des Abd-el-Ouadites.

cueil aussi généreux qu'empressé et il passa un temps considérable au milieu de leurs tribus. Rappelé ensuite par le sultan, il reprit sa place à la cour; puis, quelques mois plus tard, il fut arrêté par l'ordre du même prince et envoyé à Alger. Dans cette ville, on lui fit subir un emprisonnement excessivement rigoureux, afin de complaire à son ancien ennemi Hilal; mais, quand Hilal tomba en disgrâce, il fut mis en liberté par l'ordre du sultan et rappelé à la capitale. Lors de l'arrestation de cet affranchi, il obtint la place de grand chambellan et la garda pendant le reste de ses jours. Il mourut avec Abou Tachefîn et les fils de ce monarque, en défendant l'entrée du palais, ainsi que nous l'avons déjà raconté. Ses fils entrèrent au service d'Abou-'lHacen. Leur aîné, Saîd-Ibn-Mouça, avait reçu plusieurs blessures dans le combat où son père succomba, et il était resté parmi les morts jusqu'à l'entrée de la nuit, quand il parvint à gagner un lieu de sûreté. Sa guérison fut regardée comme une chose miraculeuse. Gracié par Abou-'l-Hacen, il vécut auprès de lui jusqu'à la restauration de la dynastie abd-el-ouadite; alors, il reparut à Tlemcen et devint un personnage important. Ciaprès, nous aurons à reparler de lui.

Occupons-nous maintenant de Yahya-Ibn-Mouça. Cet officier distingué appartenait à la tribu des Senous, branche des Koumïa qui s'était liée d'amitié avec les Beni-Gommi par des bons offices et par l'habitude de vivre ensemble. Quand ceux-ci émigrèrent dans le Maghreb[-el-Acsa], les Senous, au lieu de les suivre, s'attachèrent à la famille de Yaghmoracen. Yahya-Ibn-Mouça passa les années de sa jeunesse dans le service d'Othman et des fils de ce prince, et il jouit, ainsi que toute sa tribu, des bienfaits que lui prodiguèrent ses protecteurs. Pendant le siége de Tlemcen, le sultan Abou-Hammou se faisait un devoir de parcourir, chaque nuit, la ligne de factionnaires postés sur les remparts, de

Il faut supprimer les deux points de la dernière lettre du mot monafeça et lire monaficihi.

Voy., ci-devant, p. 412.

T. III.

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présider à la distribution des rations, de s'assurer que les portes étaient bien gardées et de se mettre au premier rang quand il fallait combattre. Dans l'exécution de cette tâche, il se faisait aider par quelques serviteurs qui ne le quittaient jamais, ni de nuit, ni de jour. Parmi eux, Yahya-Ibn-Mouça montra tant de zèle qu'il mérita la bienveillance spéciale de la famille royale. Il débuta dans les affaires par plusieurs missions au camp mérinide, lors du siége de Tlemcen par le sultan Abou-Yacoub-Youçof1, et, dans ses conférences avec ce monarque, il traita des diverses questions auxquelles les hostilités ne cessaient de donner naissance. Comme il s'en acquitta toujours à la parfaite satisfaction de son maître, il fut comblé d'honneurs aussitôt que le siége fut levé; puis, à l'avènement d'Abou-Tachefîin, il obtint le gouvernement du territoire de Chelif, avec l'autorisation d'administrer cette province sans être contrôlé dans ses décisions et de prendre les insignes de la souveraineté. Quand la conduite de la guerre qui se faisait dans les pays de l'Est contre les Hafsides fut enlevée à Mouça - Ibn-Ali, YahyaIbn-Mouça en fut chargé, ainsi que du gouvernement de Médéa et de Tedellis. Lors du siége de Tlemcen par le sultan Abou-'l-Hacen, Yahya-Ibn-Mouça accepta l'invitation d'entrer au service de l'empire mérinide et, s'étant rendu de son gouvernement au camp de ce monarque, il fut accueilli avec les plus grands égards et reçut l'autorisation d'assister aux audiences royales, et d'y prendre la place d'honneur. Jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu quelque temps après la prise de Tlemcen, il jouit de la plus haute faveur anprès du sultan mérinide.

Hilal l'affranchi naquit de parents européens et appartenait à la race catalane. Né en captivité, il fut envoyé comme cadeau par Ibn-el-Ahmer, sultan de Grenade, à Othman-Ibn-Yaghmoracen. Après la mort d'Othman, il eut pour maître le sultan Abou-Hammou, lequel en fit don à son fils Abou-Tachefin avec

Les manuscrits et le texte arabe imprimé donnent ce nom incor

rectement.

plusieurs autres esclaves d'une origine semblable. Entré trèsJeune au service de ce prince, il fut élevé avec lui et, devenu son favori, il acquit sur son esprit une influence extraordinaire. Le forfait dont Abou-Hammou fut la victime eut Hilal pour principal auteur. Abou-Tachefin, étant alors monté sur le trône, choisit Hilal pour remplir les fonctions de chambellan. Par son caractère dur et violent, cet affranchi inspirait l'effroi à tout le monde, et, chaque fois qu'il tenait ses séances pour juger en dernier ressort, il faisait trembler tous les assistants. Après avoir obligé les autres grands fonctionnaires de l'état à ne plus le considérer comme un égal, mais comme un patron et protecteur, il finit par devenir le véritable maître de l'empire; puis, reconnaissant les dangers d'une si haute position et craignant que l'immense puissance dont il disposait ne devînt fatale à lui-même, il obtint du sultan un congé pour se rendre à la Mecque. S'étant embarqué à Honein, il mit à la voile avec une escadre de plusieurs vaisseaux achetés de ses propres deniers, bien approvisionnés et remplis de guerriers. Avant de partir, il désigna Mohammed - IbnKhouïba' pour faire le service de chambellan à la porte du sultan. Parti de Honein en l'an 724 (1324), il alla débarquer à Alexandrie d'où il se rendit au Caire, afin de se mettre en route avec l'émir commandant de la grande caravane des pèlerins. Dans ce voyage, il fit la rencontre de Mença-Mouça, sultan des Noirs du pays de Melli, et se lia d'amitié avec lui. Revenu à Tlemcen, après avoir accompli le devoir du pèlerinage, il s'aperçut avec chagrin qu'il n'exerçait plus sur l'esprit d'Othman la même influence qu'autrefois. Ce fut en vain qu'il essaya de fléchir ce prince en lui témoignant la soumission la plus humble; il finit par tomber en disgrâce et par se faire arrêter. Ceci eut lieu en l'an 729 (1329). Hilal passa le reste de ses jours en prison et mourut peu de temps avant son maître. Singulière destinée que celle de ces deux hommes: ils joui

1 Variante Djouina. 2 Voy. t. 1, p. 112.

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