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Abou-Saîd, commença des hostilités contre son frère. Etant sorti de Sidjilmessa, où il faisait sa résidence, il entra dans le Derâ et s'y fit proclamer souverain après en avoir tué le gouverneur. Ci-après, nous donnerons les détails de ces événements. Le sultan apprit par un courrier cette nouvelle inquiétante et quitta aussitôt le camp de Teçala afin de rentrer en Maghreb et d'y rétablir l'ordre. Abou-Tachefin profita de son départ pour reprendre son audace et lancer ses troupes dans les plaines du Maghreb. Ayant envoyé au secours d'Abou-Ali une nombreuse cavalerie, il appela sous ses drapeaux les tribus zenatiennes et partit pour le Maghreb, l'an 733 (1332-3), afin d'empêcher le sultan d'agir contre ce prince. Parvenu à Taourîrt [sur le Za], il rencontra un corps de cavalerie chargé de couvrir cette partie de la frontière et commandé par Tachesîn, fils du sultan Abou-l-Hacen. Il y avait, de plus, une bande de guerriers appartenant à la tribu des Tîrbîghîn et conduite par leur cheikh, Mendil-Ibn-Hammama. Ces troupes sortirent à la rencontre d'Abou - Tachefin et repoussèrent son armée jusqu'à Tlemcen.

En l'an 734 (1333-4), le sultan Abou-'l-Hacen, qui venait de vaincre et de faire mourir son frère Abou-Ali, rassembla une nouvelle armée et employa tous ses efforts pour l'organiser d'une manière convenable. L'année suivante, il investit Tlemcen et l'entoura d'une circonvallation et d'un fossé profond, de sorte qu'un esprit même aurait eu de la peine à y passer. Ensuite, il envoya de nombreux détachements dans les contrées adjacentes et soumit ainsi les campagnes et les villes de l'empire abd-el-ouadite. Par son ordre, la ville d'Oudjda fut entièrement ruinée. Tous les jours, depuis le matin jusqu'au soir, il dirigea des attaques contre Tlemcen et battit la place avec ses catapultes.

Les principaux chefs zenatiens, tant ceux des Toudjîn que des Beni-Abd-el-Ouad, s'étaient enfermés dans Tlemcen avec le

1 Voy. le quatrième volume.

sultan Abou-Tachefîn; mais il arriva que, dans un jour bien fatal, les plus braves de ces émirs perdirent la vie. Le sultan mérinide avait pris l'habitude de sortir tous les matins, au lever de l'aurore, et de faire le tour de la circonvallation afin d'y voir poster des troupes et réparer les brèches et autres dégats. AbouTachefîn, ayant été averti par les gens de guet que le sultan Abou-'l-Hacen faisait sa tournée journalière et marchait à quelque distance de son escorte, plaça une troupe en embuscade pour le surprendre. Quand le sultan fut arrivé à l'endroit situé entre la ville et la montagne, les hommes de l'embuscade croyaient déjà le tenir, et leurs meilleurs coureurs étaient même sur le point de l'atteindre, quand on s'aperçut au camp de ce qui se passait. Aussitôt tout le monde monta à cheval; on s'élança au secours du prince, par bandes et séparément; ses fils, Abou-Abder-Rahman et Abou-Malek, les plus intrépides cavaliers de l'armée, se mirent en selle et accoururent avec le reste des Mérinides. De toutes parts, ces guerriers se précipitèrent en avant comme des faucons sur leur proie. Les troupes sorties de la ville prirent la fuite et se précipitèrent, par mégarde, dans un fossé où une foule de monde mourut écrasé. Plus de guerriers y succombèrent que dans le conflit dont ils voulurent s'échapper. Les Toudjîn y perdirent deux chefs qui jouissaient de la plus brillante réputation parmi les Zenata: l'un était Omar - IbnOthman, grand cheikh des Hachem et gouverneur du Ouancherich; l'autre, Mohammed-Ibn-Selama-Ibn-Ali, était cheikh des. Beni-Idlelten, seigneur de la forteresse de Taoughzout et des lieux voisins. D'autres personnages tout aussi distingués perdirent la vie dans cette journée qui devait briser, pour un temps, la puissance de l'empire abd-el-ouadite.

Le sultan Abou-'l-Hacen continua le siége comme auparavant et, le 27 Ramadan 737 (1er mai 1337), il livra un assaut à la ville et y pénétra de vive force. Abou-Tachefîn recula jusqu'à la porte du palais et ne cessa de combattre à la tête d'une poignée de braves parmi lesquels on remarqua ses deux fils Othman et Masoud, ses neveux Abou-Rezzîn et Abou-Thabet, son vizir Mouça-IbnAli et le prince mérinide Abd-el-Hack-Ibn-Othman-Ibn-Moham

med-Ibn-Abd-el-Hack. Nous donnerons plus tard une notice de ce prince qui venait de quitter Tunis pour se joindre aux Abd-elOuadites. Cette petite bande défendit l'entrée du palais avec une bravoure admirable et mourut les armes à la main. Les têtes de tous ces chefs furent plantées sur des lances et portées en triomphe à travers la ville.

Une multitude innombrable de soldats encombra les rues et les abords de Tlemcen; l'on se pressait tellement aux portes que beaucoup de monde resta écrasé sous les pieds des chevaux. La galerie qui donnait entrée à la ville et qui avait une porte à chaque extrêmité, s'emplit de cadavres à un tel point qu'à peine pouvaiton passer sous la voûte.

La soldatesque, libre maintenant de tout frein, se mit à saccager les maisons. Le sultan Abou-'l-Hacen traversa la ville jusqu'à la grande mosquée et fit venir les deux muftis conseillers d'état, Abou-Zeid - Abd-er-Rahman et Abou - MouçaEïça, surnommé les fils de l'imam. Il les avait déjà appelés du fond de la province, tant il estimait les hommes de savoir. Ces docteurs lui firent un tableau affligeant de la situation de la ville et, par leurs vives remontrances, ils le décidèrent à mettre un terme aux maux des habitants et à faire proclamer la cessation du pillage.

Alors le sultan mérinide incorpora dans son royaume toutes les provinces et villes du Maghreb central et avança ses frontières jusqu'aux limites de l'empire hafside. Ayant fait disparaître du monde les chefs de la dynastie abd-el-ouadite et les monuments de leur puissance, il réunit en une seule bande sous ses drapeaux les Beni-Abd-el-Ouad, les Toudjîn et les Maghraoua; puis, voulant les dédommager des biens qu'ils venaient de perdre dans le royaume de Tlemcen, il leur concéda des propriétés en Maghreb.

L'empire fondé par Yaghmoracen-Ibn-Zian succomba de cette manière; mais, peu de temps après, il se releva sous les auspices de [deux] autres princes de la famille zîanide. Après le revers de fortune que le sultan Abou-'l-Hacen éprouva dans la voisinage de Cairouan, on vit briller de nouveau l'éclat du

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royaume de Tlemcen et l'on ressentit encore le souffle de sa puissance,

NOTICES BIOGRAPHIQUES DE MOUÇA - IBN-ALI, DE YAHYA - IBN- MOUÇA ET DE L'AFFRANCHI HILAL, GRANDS OFFICIERS DE L'EMPIRE ABDEL-OUADITE.

La grande célébrité dont ces trois hommes ont joui nous oblige à leur consacrer un chapitre spécial. Le chambellan Mouça-IbnAli-el-Kordi, le même qui mourut avec le sultan Abou-Tachesîn, appartenait à une tribu kurde (kord), une de ces peuplades nonarabes qui habitent l'Orient. Dans une autre partie de cet ouvrage, nous avons indiqué l'incertitude qui règne au sujet des origines kurdes. El-Masoudi nomme, dans son livre, plusieurs peuples kurdes, tels que les Chahdjan, les Berçan, les Kîkan etc., et il ajoute ces paroles: « Ils habitent l'Aderbeidjan, la » Syrie et le territoire de Mosul; une partie d'entr'eux est >> chrétienne de la secte jacobite, une autre professe les doc>> trines de la secte kharedjite qui nie la légitimité des khalifes » Othman et Ali, » Plusieurs peuplades kurdes habitaient la montagne de Chehrezour, dans l'Irac arabe ; elles s'adonnaient à la vie nomade, en parcourant les localités où les pluies avaient fait renaître la végétation. Ils demeuraient sous des tentes de feutre et subsistaient principalement des produits de leurs troupeaux. Leurs richesses consistaient en moutons et en bœufs.

Le passage auquel notre auteur paraît faire allusion se trouve an commencement de son Histoire universelle. Nous y lisons ces mots : « On a dit que les Kord et les Deilem étaient arabes, mais cette opinion » ne saurait être admise. Ibn-Said dit: Achour (Assur, fils de Sem) >> eut quatre fils: Iran, Nabît, Djermouc et Bacil; d'Iran descendent » les Fars (Persans), les Kord (Kurdes) et les Khazar. » D'après la >> première opinion, les Kurdes descendraient d'Arphaczad, fils de Sem. 2 Voy. t. 1, p. 193.

3 Chehrezour est à plusieurs journées au Nord de la limite septentrionale de l'Irac arabe.

Ce peuple montrait un caractère fier et indépendant, car il était fort par son nombre et avait eu des commandements dans Baghdad à l'époque où les étrangers [Turcs] employés au service du khalifat, usurpèrent toute l'autorité. En l'an 656 (1258], les Tatars renversèrent la dynastie des Abbacides, s'emparèrent de Baghdad et, après que leur roi Holaoun (Holugou) eut fait mourir El-Mostacem, le dernier khalife de cette famille, ils allèrent soumettre les provinces de l'Irac. A leur approche, la plupart des Kurdes traversèrent l'Euphrate afin d'éviter le contact d'une nation païenne et allèrent se placer sous l'autorité des Turcomans. Leurs familles les plus nobles ne purent cependant se résigner à subir une domination étrangère, et deux de leurs grandes maisons, les Louîn et les Tabîr ', partirent avec leurs dépendans pour se rendre en Maghreb. Ils entrèrent dans ce pays à l'époque où l'empire almohade menaçait ruine, et trouvèrent à Maroc, auprès du khalife El-Morteda, l'accueil le plus distingué. Ce prince leur assigna des pensions, des terres et des places d'honneur à sa cour.

Bientôt après leur arrivée, ils passèrent sous la domination mérinide par suite de la catastrophe qui renversa le trône des Almohades, et une de leurs fractions alla se placer sous la protection de Yaghmoracen-Ibn-Zian, pendant qu'une branche des Beni-Tabîr, dont le nom m'est inconnu, se réfugia auprès d'ElMostancer, seigneur de l'lfrîkïa. De cette branche naquit Mohammed-Ibn-Abd-el-Azîz, surnommé El-Mizouar, qui vécut dans la société de notre seigneur le sultan Abou-Yahya-AbouBekr.

Parmi les Kurdes qui restèrent sous la domination mérinide, on remarqua surtout Ali et Selman, fils, tous les deux, de HacenIbn-Saf, membre de la famille Tabir. La branche des Louîn donna naissance à Khidr-Ibn-Mohammed, à la famille Mahmoud et à la famille Bousa. Les Tabîr reconnaissaient pour leurs chefs les frères Selman et Ali pendant que les Louîn obéissaient à

1 Variantes: Yaber, Babin, Tathir, etc.

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