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de résidence. De cette position, ses colonnes partaient pour insulter Bougie, pour en parcourir les environs et revenir. Il guerroyait encore de cette façon, quand il apprit la révolte de Mohammed - Ibn-Youçof, nouvelle qui le fit partir avec une grande précipitation.

REVOLTE DE MOHAMMED-IBN-YOUÇOF DANS LE PAYS DES
TOUDJIN.

Mohammed-Ibn-Youçof[, petit-fils de Yaghmoracen.] n'était pas encore rentré de cette expédition, quand Mouça-Ibo-Ali-elKordi, dont le cœur bouillonnait de haine et de colère, se présenta devant le sultan, l'accusa de trahison et le fit destituer du gouvernement de Miliana. Profondément blessé de ce traitement, Mohammed demanda l'autorisation de se rendre à Tlemcen afin de voir l'émir Abou-Tachefin, fils de sa sœur et du sultan. Tout en Ꭹ donnant son consentement, le monarque abd-el-ouadite fit passer à Abou-Tachefîn l'ordre de mettre son visiteur aux arrêts, mais le jeune prince refusa de s'y conformer. Mohammed s'en retourna alors au camp, avec la permission de son neveu, et sollicita en vain une audience du sultan; puis, cédant aux appréhensions que ce traitement lui inspirait, il s'enfuit à Médéa et descendit chez le gouverneur, Youçof-Ibn-Hacen-IbnAzîz, chef toudjinide. Cet officier, qui tenait son autorité du sultan, commença, dit-on, par emprisonner le fugitif; mais, cédant enfin aux instances de ses administrés, que les exactions et les mesures arbitraires de ce monarque avaient accablés outre mesure, il se jeta lui-même dans la révolte. Leur ayant alors fait jurer, ainsi qu'à leurs alliés arabes, de servir MohammedIbn-Youçof comme leur souverain et de lui être fidèles, il se mit à leur tête et marcha vers le Nehel avec son protégé. Le sultan, qui avait établi son camp sur le bord de cette rivière, sortit audevant des insurgés et essuya une telle défaite qu'il dut se réfugier dans Tlemcen. Mohammed-Ibn-Youçof, devenu maître du

pays des Toudjîn et de celui des Maghraoua, prit Miliana pour

résidence.

Abou-Hammou parvint, au bout de quelques jours, à organiser une nouvelle armée et à se mettre en campagne. En quittant sa capitale, il expédia à son cousin, Masoud-Ibn-Berhoum, l'ordre de lever le siége de Bougie et de se porter, avec ses troupes, sur les derrières de l'ennemi. Mohammed-Ibn-Youçof chargea aussitôt Youçof-Ibn-Hacen du gouvernement de Miliana et alla se mesurer avec le général abd-el-ouadite. Ayant rencontré cet officier dans le territoire des Melikich, il lui livra bataille, essuya une défaite et courut se réfugier sur la montagne de Mouzaïa. Ibn-Berhoum l'y tint étroitement bloqué pendant quelques jours; mais, ensuite, il dut emmener ses troupes et opérer sa jonction avec le sultan qui assiégeait Milîana. Cette ville fut emportée d'assaut par l'armée combinée, et YouçofIbn-Hacen, qui s'était caché dans un des conduits de la place, fut tiré de sa retraite, amené devant le vainqueur, pardonné et mis en liberté. Le sultan marcha ensuite sur Médéa et, en ayant pris possession, il se fit donner des otages par les populations de toutes ces localités et reprit la route de Tlemcen.

Mohammed-Ibn-Youçof étant encore parvenu à établir son autorité dans la partie du Maghreb central la plus éloignée de la capitale, envoya un acte de foi et hommage au sultan [AbouYahya-] Abou-Bekr; et, en récompense de cette démarche, it reçut du monarque hafside un riche cadeau, les insignes de la royauté, l'autorisation de s'approprier toutes les concessions que Yaghmoracen avait obtenues en Ifrîkïa 1 et la promesse d'un prompt secours. Il soumit alors le reste du pays des Toudjîn et reçut des Beni-Tigherîn, tribu du Ouancherich, le serment de fidélité.

En 717 (1317-8), le sultan Abou-Hammou conduisit une armée dans ses provinces orientales, occupa Médéa et en accorda le gouvernement à Youçof-Ibn-Hacen, afin d'opposer une bar

Voy, ci-devant, p. 346.

rière au progrès de Mohammed-Ibn-Youçof. Il eut, toutefois, la précaution de s'en faire donner plusieurs otages; il en exigea aussi de toutes les populations de son empire, telles que les Zenata, les Arabes et même de sa propre tribu, les Beni-Abd-elOuad. Rentré à Tlemcen, il logea ces garants de leur fidélité dans la citadelle, local aussi vaste que l'emplacement de certaines villes. Il porta sa méfiance à un tel point qu'il réclama plusieurs otages d'une seule tribu, d'une seule fraction de tribu et même d'une seule famille. Bien plus, il obligea les habitants des villes et des forteresses, les cheikhs et les gens du peuple, à lui en fournir. I remplit aussi sa citadelle de leurs enfants et de leurs frères, en y faisant entrer successivement une foule de monde. Il y construisit pour ces détenus des mosquées où l'on célébrait la prière du vendredi, et il leur permit de se marier et de bâtir des maisons. L'on trouvait même dans cette enceinte les divers produits de l'industrie et un marché très-fréquenté. Ce fut une des prisons les plus extraordinaires dont on ait jamais entendu parler.

Mohammed-Ibn-Youçof était encore en pleine révolte dans le pays des Toudjin quand le sultan mourut.

ASSASSINAT DU SULTAN ABOU- HAMMOU ET AVÈNEMENT DE son fils ABOU-TACHEFÎN.

De tous les membres de la famille royale [Abou-Serhan-]Masoud-Ibn-Berhoum fut celui qui jouissait au plus haut degré de la faveur d'Abou-Hammou. Cousin de ce prince, il en était aimé comme un fils, à cause de son intelligence et de sa bravoure et parce que son père, Abou-Amer-Berhoum était, de tous les enfants de Yaghmoracen, le seul frère germain d'Othman[, père d'Abou-Hammou]. Le sultan lui portait une telle affection qu'il le préférait à ses propres enfants et l'avait même pris pour conseiller et ami intime.

Pendant ce temps, Abou-Tachefin-Abd-er-Rahman, fils du sultan, grandissait au milieu d'une troupe de jeunes gens, chrétiens d'origine, que son père lui avait donnés pour serviteurs. Parmi eux, on remarquait particulièrement Hilal le catalan, Moçameh le petit, Féredj-Ibn-Abd-Allah, Dafer, Mehdi, Ali-IbnTagrert et Féredj surnommé Chacoura; mais celui d'entr'eux que le jeune prince affectionnait le plus fut le nommé Hilal, esclave né dans le palais.

Abou-Hammou faisait de fréquentes semonces à son fils pour l'exciter à mieux cultiver ses talents, et, comme il était d'un caractère fort brutal, que Dieu lui pardonne ! il le blessait parfois en lui adressant des paroles dures et insultantes. Soit qu'il fit des réprimandes, soit qu'il donnât des conseils, il s'exprimait avec une âpreté rebutante et, dans ses punitions, il dépassait toutes les bornes. Ces esclaves le craignaient excessivement et cherchaient sans cesse à indisposer Abou-Tachefin contre lui. Ils travaillèrent aussi à exciter la jalousie du jeune prince en lui faisant remarquer, à chaque instant, les marques de faveur que son père donnait à [Masoud,] fils de [Berhoum-]Abou-Amer.

Il arriva, sur ces entrefaites, que Masoud leva le siége de Bougie et livra un combat des plus brillants au prince révolté, Mohammed-Ibn-Youçof. Le sultan prit cette occasion pour le combler d'éloges et pour reprocher à Abou-Tachefîn de ne montrer ni le mérite, ni le courage de son parent. Il espérait éveiller ainsi l'amour-propre de son fils et le pousser à l'acquisition des talents qui font l'homme accompli.

Nous devons maintenant faire observer qu'Abou - AmerBerhoum, fils de Yaghmoracen et oncle du sultan, avait amassé une large fortune, dont une partie se composait de cadeaux reçus des divers souverains auprès desquels il avait rempli des missions diplomatiques; le reste provenait de certains fiefs (icta) que son père et son frère lui avaient concédés. Il mourut en l'an 696 (1296-7). Son frère Othman, auquel il avait recommandé ses fils, se chargea de leur avenir et, en attendant qu'ils fussent arrivés à l'âge de discrétion, il déposa leur héritage dans son trésor.

Quand Abou-Serhan-Masoud se fut couvert de gloire dans la campagne dont nous venons de parler, le sultan Abou-Hammou lui reconnut tant de belles qualités qu'il se décida à le mettre en possession de l'héritage paternel. Abou-Tachefin et son entourage ayant appris que ces richesses, dont, au reste, ils ignoraient l'origine, venaient d'être enlevées du trésor royal pour être données à Masoud, s'imaginèrent que le sultan avait l'intention de le déclarer son successeur. Cédant à l'impression de ce soupçon mal fondé, le jeune prince prêta l'oreille aux suggestions de ses esclaves et complota avec eux l'usurpation du trône, la mort de Masoud qu'il détestait et l'emprisonnement du sultan. Pour accomplir leur dessein, ils attendirent l'heure de la sieste, sachant qu'alors Abou-Hammou quitterait la salle d'audience avec ses intimes pour passer dans une autre chambre. Au nombre de ces personnages favorisés devaient se trouver Masoud et les Beni-'l-Melah, vizirs de l'empire.

Pendant tout le règne de ce sultan, les Melah remplissaient auprès de lui les fonctions de hadjeb. A la cour de Tlemcen, le hadjeb (chambellan) était chargé de l'intendance du palais dont il réglait les recettes et les dépenses. La famille Melah avait d'abord habité Cordova où elle faisait le change des monnaies d'or et d'argent. Quelquefois même, on nommait les Melah syndics du corps des changeurs, à cause de la confiance qu'ils s'étaient méritée par leur probité. Les premiers d'entr'eux qui se fixèrent dans Tlemcen y étaient arrivés avec les émigrés qui abandonnèrent Cordoue [lors de la prise de cette ville par les chrétiens]. Dans la capitale abd-el- ouadite, ils s'adonnèrent à leur ancien métier, auquel ils ajoutèrent plus tard l'agriculture en grand et, parvenus à être employés dans le service d'Othman-Ibn-Yaghmoracen et de son fils, ils se virent très-considérés sous le règne d'Abou-Hammou. Quand ce prince monta sur le trône, Mohammed-Ibn-Meimoun-Ibn-Melah obtint la place de hadjeb. Son fils, Mohammed-el-Achcar, qui lui succéda, fut

Il faut, sans doute, lire mechnouïhi dans le texte arabe.

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