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» garder le secret. Au même moment, il vit entrer son frère » Abou-Hammou et lui fit part de cette mauvaise nouvelle. La » douleur qu'ils en ressentirent tous les deux fut si grande qu'ils » restèrent assis pendant un temps, sans pouvoir proférer une >> parole; enfin, une esclave entra, c'était Dâd, intendante de la >> fille d'Abou-Ishac que leur père avait épousée. Sortant du >> palais de la princesse, elle vint au- devant d'eux, s'arrêta en >> saluant de sa façon et leur adressa ces paroles: Les dames de >> votre palais, les demoiselles de la famille Zian, toutes les >>femmes de votre maison m'ont chargée de vous délivrer ce » message Quel plaisir pourrons-nous avoir à vivre plus » longtemps? Vous êtes réduits aux abois; l'ennemi s'apprête à » vous dévorer; encore quelques instants de répit et vous allez » succomber. Donc, épargnez-nous la honte de la captivité; » ménagez en nous votre propre honneur et envoyez-nous à la » mort. Vivre dans la dégradation serait un tourment horri» ble; vous survivre serait pis que le trépas. A ces paroles, >> Abou-Hammou fut très-ému et se tourna vers son frère en » disant: Elles ont bien raison, et il ne faut pas les faire » attendre. Abou-Zîan lui répondit: Mon cher Mouça! atten» dez encore trois jours; peut-être qu'après tant de malheurs » Dieu viendra à notre délivrance. Ce terme passé, ne me de» mande pas de conseil au sujet de ces femmes, mais faites-les » égorger pur les juifs et les chrétiens; tu viendras ensuite » me trouver et nous ferons une sortie à la tête de nos gens; » nous combattrons jusqu'à la mort et Dieu aura accompli sa » volonté. Abou-Hammou se fâcha alors contre lui et ne voulut >> entendre parler d'aucun délai : Par Dieu! s'écria-t-il en se

Dans le texte arabe, il faut remplacer le mot fihim par fihinna, le pronom masculin par le pronom féminin.

2 Un géographe arabe, cité par Yahya-lbu-Khaldoun, fait observer qu'auprès de la porte occidentale de Tlemcen, le Bab-Abi-Corra, il y avait plusieurs églises fréquentées par les chrétiens. Nous voyons par le discours d'Abou-Zian qu'au commencement du quatorzième siècle, il y avait encore une population chrétienne dans Tlemcen.

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» levant, tu vas attendre et les laisser déshonorer ainsi que »> nous! Il sortit alors, tout en colère, et le sultan Abou-Zian >> fondit en larmes. Pendant ce temps, dit Ibn-Haddjaf, je me >> tenais immobile devant eux, sans proférer une parole et sans >> pouvoir ni avancer ni reculer. Le sultan cédait enfin au som>> meil quand, tout-à-coup, le factionnaire qui était à la porte >> me fit signe en disant : Annoncez qu'un messager, venu du » camp mérinide, se tient au seuil du palais. Je ne pus lui répondre que par un geste, mais le bruit de ce mouvement suffit » pour éveiller le sultan qui se redressa en sursaut. Je lui dis » la nouvelle et fis entrer le messager. Cet homme s'arrêta de>> vant le prince et lui adressa ces paroles: Youçof-Ibn-Yacoub » vient de mourir à l'instant même et je vous apporte une » communication de la part de son petit-fils, Abou-Thabet. >> Le sultan, tout joyeux, fit aussitôt convoquer son frère et les >> chefs abd-el- ouadites afin que l'ambassadeur délivrât, en » leur présence, le message dont il était chargé. C'était une de >> ces faveurs extraordinaires que Dieu accorde quelquefois >> aux mortels! >>

Voici le motif de cette ambassade : à la mort de Youçof-lbnYacoub, ses frères, ses fils et ses petits-fils aspirèrent tous à l'autorité souveraine. Abou-Thabet, un de ses petits-fils', s'étant rendu au quartier des troupes fournies par les Beni-Ourtadjen, tribu de sa mère, les rallia autour de lui et fit demander aux princes de Tlemcen un équipage royal et un asile en cas de revers, leur promettant de lever le siége et d'emmener l'armée mérinide s'il parvenait à se faire reconnaître comme souverain.

Quand il eut effectué son projet, il remplit ses engagements en rendant aux Beni-Abd-el-Ouad toutes les provinces que Youçof-Ibn-Yacoub leur avait enlevées et en rappelant les garnisons que ce sultan avait établies dans leurs forteresses. Les Mérinides rentrèrent alors dans leur pays, le Maghreb-el-Acsa, et Abou-Zian reprit possession de toutes les places fortes du Maghreb central.

1 Pour hakidihi, lisez hafidihi dans le texte arabe.

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AISTOIRE DU SULTAN ABOU-ZÎAN DEPUIS LE SIÈGE DE TLEMCEN

JUSQU'A SA MORT.

Après avoir échappé à un péril imminent par la levée du siége de Tlemcen et avoir obtenu des Mérinides la remise de ses provinces, le sultan Abou-Zian s'empressa de quitter sa capitale et de marcher, avec son frère Abou-Hammou, contre les Maghraoua. S'étant mis en campagne vers la fin du mois de Dou-'l-Hiddja 706 (juin-juillet 4307), il pénétra dans le territoire de ses anciens ennemis et en expulsa tous ceux qui reconnaissaient encore l'autorité des Beni-Merîn. Quand il eut obtenu des officiers mé. rinides la remise des forteresses dont leur sultan s'était emparé, il acheva la soumission de cette contrée et y installa, comme gouverneur, son affranchi Moçameh. De là, il passa dans le Seressou, plateau que les Soueid et les Dïalem, tribus arabes, avaient enlevé aux Zenata pendant le siége de Tlemcen, en se faisant aider par les Beni-Yacoub-Ibn-Amer. A son approche, ces populations prirent la fuite sans pouvoir, toutefois, échapper à une sévère punition. Il traversa ensuite le territoire des Beni-Toudjîn, afin de rentrer chez lui, et soumit les fractions des Beni-Abd-el-Caouï et des Hachem qui étaient restées dans le Ouancherich auprès de leur chef, Mohammed - Ibn - Atïa-elAsamm, membre de la famille d'Abd-el-Caouï.

Après neuf mois de courses, Abou-Zîan arriva dans Tlemcen avec la satisfaction d'avoir rétabli l'ordre dans toutes les parties de son royaume. Dès lors, il se mit à restaurer ses palais, à replanter ses jardins et à réparer les dégats que sa ville avait éprouvés. Pendant qu'il se livrait à ces soins, il fut atteint d'une maladie qui l'emporta au bout de sept jours. Sa mort eut lieu vers la fin du mois de Choual 707 (avril 1308).

LA SUPRÉMATIE DES HAFSIDES CESSE D'ÊTRE RECONNUE

A TLEMCEN.

Depuis quelque temps, deux princes hafsides se partagèrent l'autorité temporelle et spirituelle chez les Almohades de l'Ifrî

kïa l'un régnait à Tunis, l'autre à Bougie; leurs états avaient pour frontière commune les pays des Adjîça et des Ouchtata. L'émir Abou-Hafs, khalife tunisien et fils d'Abou-Zékérïa I, devait à la possession de la capitale l'avantage d'une supériorité réelle sur l'émir Abou-Zékérïa II, souverain de Bougie et des provinces occidentales de l'empire. Les descendants de Yaghmoracen-Ibn-Zian reconnaissaient la suprématie du premier et faisaient célébrer chez eux la prière publique en son nom, sans oublier, toutefois, les liens de famille qui les attachaient au second. Il est vrai qu'à l'époque où Othman, fils de Yaghmoracen, entreprit le siége de Bougie, la mésintelligence s'était mise entre lui et Abou-Zékérïa; mais, quelque temps après, ils renouèrent leur ancienne liaison et continuèrent à vivre en bonne harmonie.

Quand Youçof-Ibn-Yacoub vint assiéger Tlemcen, on y regardait comme chef de la religion le sultan de Tunis, Abou-Acîda, fils d'El-Quathec, et on y célébrait la prière en son nom. Cette marque de respect n'empêcha cependant pas que ce khalife trouvât fort mauvais l'amitié dont le souverain abd-el-ouadite donnait des témoignages à l'émir de Bougie, Abou-Zékérïa.

Pendant le siége de Tlemcen, Youçof envoya une partie de ses troupes vers les contrées orientales, et Abou-Zékérïa expédia contre elles un corps d'Almohades afin de les repousser. Les deux armées se rencontrèrent sur la montagne d'Ez-Zan et, après un combat acharné, les Mérinides mirent leurs adversaires en pleine déroute. L'endroit où la bataille se livra reçut le nom de Merça-'r-Roous, à cause du grand nombre de têtes qui tombèrent dans ce conflit. L'inimitié qui régnait entre le seigneur de Bougie et le sultan Youçof acquit de nouvelles forces par suite de cet événement.

Le khalife de Tunis envoya alors une députation de cheikhs almohades auprès du sultan mérinide, afin de renouer les bonnes relations qui avaient subsisté entre leurs prédécesseurs et d'exciter ce prince davantage contre le seigneur de Bougie. Cette

1 Voy. p. 367 de ce volume et t. u, ́p. 444.

démarche produisit un très-mauvais effet sur l'esprit d'OthmanIbn-Yaghmoracen : indigné de voir son khalife prendre le parti des Mérinides, il ordonna la suppression du nom [d'AbouAcîda] dans la prière du vendredi et déclara que la suprématie du khalifat tunisien ne serait plus reconnue dans le royaume de Tlemcen. Ceci se passa vers la fin du septième siècle.

RÉGNE DE MOUÇA - IBN - OTHMAN, SURNOMMÉ ABOU-
HAMMOU.

Vers la fin [du mois de Choual] de l'an 707 (avril 1308) eurent lieu la mort de l'émir Abou-Zian et l'avènement de son frère Abou-Hammou. Le nouveau sultan se distinguait par un esprit vif et tranchant, et son caractère, aussi ferme qu'imposant, avait une teinte d'âpreté que son humeur violente ne faisait qu'augmenter. Il était, du reste, pétri d'intelligence et rempli de pénétration. De tous les princes zenatiens ce fut lui qui, le premier, introduisit le cérémonial et l'étiquette de la royauté. Dans l'accomplissement de cette tâche, il usa d'une extrême sévérité envers les grands de son empire; leur opposant hardiment le bouclier de sa puissance, il les courba devant la majesté royale et les façonna aux usages qu'il voulut introduire. Arîf-Ibn-Yahya, émir des Soueid et l'un des cheikhs qui avaient le droit de siéger aux audiences solennelles que le sultan donnait aux peuples zenatiens, m'a dit, en parlant de lui : « Cet homme >> fit connaître aux Zenata les principes du gouvernement royal. » Auparavant, les chefs de cette race n'étaient que des cheikhs >> nomades; mais, quand Mouça-Ibn-Othman s'éleva au milieu » d'eux, il fixa ces principes et rédigea en système les règle>>ments qui en dérivaient. Les autres chefs, ses pairs et rivaux, » apprirent de lui ce système et le mirent en pratique. »>

Abou-Hammou-Mouça commença son règne par négocier un traité de paix avec les Beni-Merîn et envoya, pour cet objet, plusieurs grands de son empire à la cour d'Abou-Thabet. Ayant obtenu son désir et à des conditions très-favorables, il s'occupa des Toudjîn et des Maghraoua, dont il parvint à briser l'opiniâ

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