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Les Arabes qui tenaient encore Cairouan investi décidèrent le sultan à leur envoyer Ibn-Tafraguîn afin de négocier avec lui leur soumission. Ils s'empressèrent alors d'accorder à ce ministre le titre de chambellan et de le placer auprès du sultan qu'ils venaient de proclamer. Cet acte accompli, ils l'envoyèrent à Tunis pour assiéger la citadelle où Abou-'l-Hacen avait laissé ses enfants, une grande partie de son harem et les principaux membres de sa famille sous la garde de Yahya-Ibn-Soleiman-elAskeri. Cet officier, qui était un des grands fonctionnaires de l'empire et ami intime et sultan, y commandait en qualité de lieutenant. Quand la nouvelle du désastre de Cairouan fut connue à Tunis, la populace se souleva et força la garnison mérinide à s'enfermer dans la citadelle. On dressa aussitôt des machines de siége contre cette forteresse, en la tenant étroitement bloquée; et les chefs de l'insurrection, au nombre desquels l'affranchi européen Bechir se distingua par son zèle et son activité, distribuèrent de l'argent aux combattants. L'émir Abou-Salem fils du sultan Abou-l-Hacen, était arrivé du Maghreb et se rendait à Cairouan, quand il apprit cette nouvelle. Il se trouvait même très-rapproché de la ville, mais, au lieu d'y entrer, il leva son camp, repartit pour Tunis et se jeta dans la citadelle.

Echappé aux hasards du siége dont Cairouan avait à souffrir, Ibn-Tafraguin s'était chargé de réduire la citadelle de Tunis. quand Ibn-Abi-Debbous, proclamé sultan par les Arabes, vint lui prêter son concours. La place renfermait une garnison nombreuse et défiait les efforts du chambellan et la puissance de ses catapultes. Le désordre et la désorganisation s'accrurent enfin à un tel point qu'Ibn-Tafraguin en fut effrayé et, ayant appris que le sultan Abou-'l-Hacen avait réussi à sortir de Cairouan et à s'embarquer au port de Souça pour se rendre à Tunis, il monta dans un navire, à l'insu de ses troupes, et partit pour Alexandrie. Sa fuite eut lieu dans le mois de Rebià 749 (jain ou juillet 1348).

'Le passage du texte arabe qui répond aux dernières lignes de ce paragraphe se trouve à la fin du paragraphe suivant.

Abou- 'l-Hacen était effectivement parvenu à se tirer d'une position bien difficile: serré de près par les Arabes, il entama des négociations secrètes avec les Mohelhel, tribu kaoubienne, et avec les Hakim, tribu soleimide, et, par la promesse d'une forte somme d'argent, il les décida à s'éloigner. Alors, la division se mit parmi les autres Arabes, et [Abou-'l-Leil-]FetîtaIbn-Hamza, [un de leurs principaux chefs,] entra à Cairouan et offrit ses services au sultan. Il y trouva un accueil très-flatteur et obtint la liberté de ses frères, Khaled et Ahmed, sans pouvoir toutefois gagner la confiance du prince auquel il avait fait la guerre. Après lui, arrivèrent Mohammed-Ibn-Taleb, cheikh des Mohelhel, Khalifa-ben-Bou-Zeid et Abou-'l-Haul-Ibn-Yacoub, chef des Aulad-el-Cos. Escorté par ces chefs, le sultan se mit en marche le soir, et, le lendemain, dans la matinée, il arriva à Souça d'où il partit pour Tunis avec sa flotte.

Les troupes d'Ibn-Tafraguîn, se voyant abandonnées par leur chef, évacuèrent la ville qui fut aussitôt réoccupée par la garnison de la citadelle. Les partisans d'Abou-'l-Hacen profitèrent de cette occasion pour saccager les maisons des fonctionnaires hafsides. Dans le mois de Rebiâ second [juillet], le sultan mérinide débarqua à Tunis et, s'étant ainsi relevé de la chute qui faillit le perdre, il s'imagina que la fortune lui était redevenue favorable.

Une circonstance imprévue vint encore tout déranger: ses fils s'emparèrent du gouvernement du Maghreb et le privèrent ainsi de tous ses moyens d'action. Les Arabes arrivèrent avec Ibn-Abou-Debbous et mirent le siége devant Tunis, mais, découragés par la résistance des Mérinides, ils consentirent à une suspension d'armes. Le traité ayant été ratifié, Hamza-IbnOmar entra dans la ville pour offrir ses respects au sultan. Ce prince le fit aussitôt arrêter en lui déclarant qu'on le retiendrait prisonnier jusqu'à ce qu'il se fit remplacer par Ibn-Abi-Debbous. Il en résulta que celui-ci fut livré aux Mérinides et resta captif jusqu'au départ d'Abou-'l-Hacen pour le Maghreb. A cette époque, il passa en Espagne, ainsi que nous le dirons ailleurs.

Le sultan s'étant ainsi rétabli dans Tunis, reçut la visite

d'Ahmed-Ibn-Mekki et le fit partir avec Abd-el-Ouahed-Ibn-elLihyani auquel il venait de confier le gouvernement de la frontière orientale, c'est-à-dire, Tripoli, Cabes, Sfax, et Djerba.

A peine Abd-el-Ouahed eut-il atteint sa destination qu'il mourut de la peste.

Le cheikh almohade, Abou-'l-Cacem-Ibn-Ottou, auquel le sultan avait fait couper une main et un pied d'après les conseils d'Ibn-Tafraguîn, rentra en faveur, maintenant que son ennemi s'était montré traître et rebelle. Il obtint le gouvernement de Castilïa et, en partant pour cette province, il laissa le sultan à

Tunis.

CONSTANTINE ET BOUGIE TOMBENT AU POUVOIR DE L'ÉMIR EL-FADL ET PASSENT ENSUITE SOUS L'AUTORITÉ DES PRINCES QUI Y AVAIENT COMMANDÉ PRÉCÉDEMMENT.

Dans le royaume de Magureb, le sultan Abou-'l-Hacen avait l'habitude de recevoir, à la fin de chaque année, la visite de tous ses gouverneurs de province. Ils lui remettaient, à cette occasion, les impôts des localités placées sous leurs ordres, et lui rendaient, en même temps, un compte exact de leur gestion. Cette année-ci, ils se mirent en route de toute part, même des extrêmités du Maghreb, afin de se rendre auprès de lui. Ils se rencontrèrent à Constantine avec Ibn Mozni, gouverneur du Zab, lequel portait au sultan les impôts de cette province et un riche cadeau. Ce fut dans Constantine qu'ils apprirent le désastre de Cairouan. Dans cette réunion de voyageurs se trouva le prince AbouOmar-Tachefin, fils d'Abou-'l-Hacen, qui, après avoir été fait prisonnier, lors de la défaite des musulmans à Tarîfa, avait recouvré la liberté à la suite d'un traité de paix que son père négocia avec le roi [de Castille, don Alphonse xı]. Il amenait avec lui plusieurs grands dignitaires de l'empire chrétien, chargés par leur souverain de se rendre auprès du sultan. Abd-Allah, un autre fils d'Abou-'l-Hacen, y arriva aussi, venant du Maghreb. On y remarqua encore une ambassade nègre, envoyée par le roi de Melli. Tout ce monde était alors réuni dans Constantine.

Aussitôt que la nouvelle des événements de Cairouan se fut répandue dans la ville, une agitation extraordinaire s'y fit remarquer, et la populace se disposa à piller les richesses apportées par ces voyageurs. Les notables de l'endroit commencèrent alors à craindre pour eux-mêmes et envoyèrent un courrier à Abou-'l-Abbas-el-Fadl, pour le prier de venir à leur secours. Quand cet émir fut arrivé aux environs de Constantine, le bas peuple massacra plusieurs des fonctionnaires et des ambassadeurs dont nous avons parlé et s'empara de leurs trésors. Les fils du sultan, les membres de la députation nègre et les ambassadeurs galiciens (castiliens), partirent avec Ibn-Mozni, et se firent escorter jusqu'à Biskera par Yacoub-Ibn-Ali, émir des Douaouida. Ibn-Mozni, se trouvant alors chez lui, leur donna une généreuse hospitalité, et ne cessa de les combler d'égards jusqu'à ce qu'ils eurent trouvé l'occassion de se rendre auprès du sultan Abou-'lHacen. Ils arrivèrent à Tunis dans le mois de redjeb, 749 (sept. oct., 1348).

Le prince El-Fadl étant entré dans Constantine, y rétablit le gouvernement des Hafsides. Il étendit sur tout le monde l'ombre de sa justice; il concéda des fiefs, accorda des gratifications, afin de se concilier les esprits, et, sachant que les habitants de Bougie regrettaient leur ancien gouvernement, il se mit en marche pour cette ville. Aussitôt qu'il parut sur la hauteur qui domine la place, les gens du peuple se jetèrent sur les fonctionnaires qu'Abou-'l-Hacen y avait installés et ne les laissèrent s'en aller qu'après les avoir dévalisés et presque assassinés. Alors ElFadl réunit en un seul empire les villes de Bougie, de Constantine et de Bône; il rétablit les titres, le cérémonial et les emblêmes de la royauté hafside, et se disposa ensuite à marcher sur Tunis. Pendant qu'il se flattait d'obtenir un succès prompt et facile, il apprit que les anciens émirs de Bougie et de Constantine venaient de quitter le Maghreb.

Racontons ici ce qui leur était arrivé : quand Abou-Einan, fils du sultan Abou-'l-Hacen, eut appris la nouvelle du désastre de Cairouan, des périls dont son père fut environné et de l'usurpation de son neveu Mansour-Ibn-Abi-Melek, lequel s'était emparé

de la Ville-Neuve, siége de l'empire mérinide, il se fit proclamer sultan [à Tlemcen] et partit pour le Maghreb. Dans l'histoire des Mérinides nous raconterons en détail ce qui s'y passa alors. Qu'il nous suffise de dire ici qu'il donna à l'émir Abou-Abd-AllahMohammed, fils de l'émir Abou-Zékérïa, seigneur de Bougie, l'autorisation de partir pour cette ville, et, lui ayant remis une somme d'argent, il lui fit promettre de s'opposer à la marche du sultan Abou-'l-Hacen, si ce monarque tentait de traverser la province de Bougie afin de rentrer en Maghreb.

Abou-Abd-Allah marcha alors sur Bougie où il trouva son oncle El-Fadl déjà installé, et il en commença le siége. Cette opération traîna en longueur et elle continuait encore quand Nebîl, affranchi européen, arriva au camp avec ses pupiles, les fils de l'émir Abou-Abd-Allah [fils du sultan Abou-Yahya-AbouBekr et ex-gouverneur de Constantine]. De là, il se rendit à Constantine où El-Fadl avait laissé un de ses partisans comme gouverneur. Aussitôt que Nebîl arriva, les habitants déposèrent ce fonctionnaire et remirent le commandement au serviteur de leur ancien maître. L'émir Abou-Zeid, fils de l'émir Abou-AbdAllah [fils du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr] fut alors proclamé sultan par les soins de son guide et tuteur. Nous devons faire observer que l'émir Abou-Einan [en partant de Tlemcen], avait emmené en Maghreb Abou-Zeid et les autres fils de l'émir Abou-Abd-Allah [l'oncle], et, qu'après avoir occupé Fez, il leur avait permis de partir pour Constantine. Avant de les relâcher il eut la précaution de les lier par un engagement semblable à celui qu'il avait imposé à leur cousin [l'ex-seigneur de Bougie]. Ces princes arrivèrent à Constantine peu de temps après Nebil, et Abou-Zeid monta sur le trône de son père.

Abou-Abd-Allah [le neveu] continua à bloquer Bougie jusqu'au mois de Ramadan (fin de novembre) quand une troupe de factieux, gens de bas étage dont son ministre, Fareh, avait acheté les services, ouvrirent de nuit le Bab-el-Berr (porte de la campagne). Au bruit des tambours, le sultan El-Fadl s'éveilla en sursaut, quilta le palais et gravit la montagne qui domine la ville. Découvert le lendemain dans un ravin où il

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