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pagne musulmane; enlevé aux Almoravides par les Almohades, ce volume [tomba ensuite entre les mains des Abd-el-Ouad]. Il est maintenant dans le trésor des Beni-Merîn à Fez, ceux-ci l'ayant emporté de Tlemcen, avec les autres dépouilles de la famille Yaghmoracen, en l'an 737 (1336-7), quand le sultan Abou-l-Hacen prit cette ville d'assaut et en tua le roi, Abder-Rahman, fils de Mouça, fils d'Othman, fils de Yaghmoracen. Nous parlerons ailleurs de cet événement.

Parmi les autres objets de prix qui tombèrent au pouvoir de Yaghmoracen se trouvait le fameux collier nommé le dragon (thoban) et composé de plusieurs centaines de rubis et de grosses perles. Plus tard, ce bijou passa, par droit de conquête, entre les mains des Beni-Merîn et se perdit avec beaucoup d'autres objets lors du naufrage du sultan Abou-'l-Hacen dans les parages de Bougie. Ce monarque venait alors de Tunis et se dirigeait vers son royaume. En somme, la journée de Temzezdekt rendit Yaghmoracen possesseur d'une foule de ces belles choses que les sultans recherchent avec passion et qu'ils aiment à compter parmi leurs trésors.

Quand la confusion produite par la retraite des Almohades fut calmée', Yaghmoracen s'occupa des funérailles du sultan EsSaîd. On transporta le corps sur un brancard jusqu'à la ville d'El-Obbad, et on l'enterra dans le cimetière du cheikh BouMedyen. Ce devoir accompli, Yaghmoracen montra les égards les plus parfaits aux femmes du monarque défunt et à la sœur de ce prince, la célèbre Taazzount 3. Après leur avoir fait une visite pour se disculper du malheur qui était arrivé, il leur donna une escorte composée de cheikhs abd-el-ouadites et les fit conduire à

1 Dans le texte arabe, il faut lire el-hidt, avec un aïn, à la place d'el-hiet.

2 Ce nom se prononce vulgairement Bou-Medine.

3 Ta-azzount (la glorieuse) est la forme berbère féminisée d'azzoun lequel est une forme arabe-espagnole du mot azz (gloire).

un lieu dǝ sûreté dans le Dera, province qui obéissait encore aux Almohades.

Ces témoignages de respect envers la famille d'un ennemi et ce soin de maintenir le prestige de la dignité royale méritèrent à Yaghmoracen des éloges universels.

Il rentra alors à Tlemcen, après avoir brisé la puissance des enfants d'Abd-el-Moumen et mis son empire à l'abri de leurs attaques.

CONFLITS DE YAGHMORACEN AVEC LES BENI-MERÎN.

En parlant de la rivalité qui subsistait depuis de longs siècles entre les Beni-Abd-el-Ouad et les Beni-Merin, nous avons mentionné qu'à chaque instant des conflits surgissaient entre ces deux tribus qui, par la situation des territoires qu'elles parcouraient dans le Désert, étaient proches voisines l'une de l'autre. La limite de leur pays respectifs s'étendait depuis le Za jusqu'à Figuig.

Lors de l'affaiblissement de l'empire fondé par Abd-el-Moumen, quand les Beni-Merîn s'emparèrent de toutes les plaines du Maghreb, les souverains almohades prirent l'habitude d'appeler à leur secours la tribu d'Abd-el-Ouad et de l'expédier, avec le reste de leurs troupes, contre les envahisseurs. Dans notre notice des Beni-Merîn, nous ferons le détail des courses que les Abd-el-Ouad firent, en ces occasions, à travers cette partie du Maghreb qui est située entre Téza, Fez et El-Casr.

La mort d'Es-Saîd donna aux Beni-Merin l'espoir d'étendre leur domination sur le Maghreb entier et fit prendre à Yaghmoracen la résolution de les en empêcher. Un événement, qui arriva vers cette époque, lui procura l'occasion de combattre les anciens ennemis de sa tribu. La ville de Fez étant passé sous l'autorité d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el- Hack, les habitants eurent tant à souffrir de la tyrannie du nouveau gouverneur, que leurs notables y rétablirent l'autorité d'El-Morteda. Abou - Yahya, ayant appris la nouvelle de cette révolte et de la mort de son

gouverneur lué par les insurgés, accourut en toute hate et bloqua la ville. Comme le siége dura plusieurs mois, le khalife El-Morteda eut le temps de se concerter avec Yaghmoracen et de le décider à faire un effort pour dégager la place. Le chef abd-el-ouadite rassembla toutes les tribus zenatiennes sorties de la même souche que la sienne et obtint même la coopération des Toudjîn et de leur chef, Abd-el-Caouï-Ibn-Atïa. Quand AbouYahya apprit la marche des Zenata vers le Maghreb, il laissa quelques escadrons autour de Fez, afin d'en maintenir le blocus, et partit avec le reste de ses troupes pour leur livrer bataille. Il rencontra l'ennemi à Isly, près d'Oudjda, et remporta une victoire dont l'éclat fut rehaussé par la mort de Yaghmoracen-IbnTachefin, parent de Yaghmoracen-Ibn-Zîan. Les débris de l'armée zenatienne se réfugièrent dans Tlemcen et, depuis cette époque, une longue série d'hostilités, interrompue par de courtes trèves, entretint la haine mutuelle des deux peuples.

Il existait, cependant, des liens d'amitié entre Yaghmoracen et Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack, amitié dont celui-ci donna de fréquentes preuves en détournant les coups que son frère, AbouYahya, voulait diriger contre les Abd el- Ouad. Ce fut ainsi qu'en l'an 655 (1257), Abou-Yahya, voulant poursuivre Yaghmoracen, dont il avait défait l'armée à Abou-Selit, y renonça sur les représentatiens de Yacoub.

Quand les Beni-Merîn se furent transportés en Maghreb, Yaghmoracen se mit en marche pour Sidjilmessa. Les intelligences qu'il s'était ménagées parmi les Monebbat, Arabes makiliens qui rôdaient à l'entour de cette ville, lui donnèrent même l'espoir de la prendre par surprise. Depuis trois ans, Sidjilmessa avait été incorporé dans les états d'Abou-Yahya. Celui-ci eut connaissance du coup qui se préparait et partit avec les troupes qu'il trouvait sous sa main afin de mettre la ville en état de défense et d'y devancer son adversaire. Il y arriva le premier, et, par une vigoureuse résistance, il força Yaghmoracen à reprendre la route de Tlemcen. Il rentra ensuite à Fez où il mourut bientôt après.

En l'an 657 (1259), Yaghmoracen rassembla ses alliés, les

Zenata, et marcha avec eux et les Arabes Zoghba contre le Maghreb. Parvenu à Keldaman, où se trouvait l'armée de YacoubIbn-Abd-el-Hack, il essuya une autre défaite; mais, en se retirant, il dévasta la ville et les environs de Tafercît. Quelque temps après, il y eut une suspension d'hostilités entre les deux tribus par consentement mutuel, et Yacoub chargea son fils. Abou-Malek d'aller négocier une trève avec Yaghmoracen. En l'an 659 (1260-1), une conférence eut lieu à Zaher, vis-à-vis du pays des Beni-Iznacen, et aboutit à un traité de paix qui fut ratifié sur-le-champ.

ATTENTAT DE LA MILICE CHRÉTIENNE CONTRE

YAGHMORACEN.

Après la mort d'Es-Saîd et la déroute des Almohades, Yaghmoracen, animé par le désir d'augmenter le nombre de ses troupes et d'ajouter à la pompe de ses fêtes militaires, prit à son service un corps de troupes chrétiennes qui avait fait partie de l'armée dont il venait de triompher. Ces guerriers, abusant de la faveur que leur nouveau maître leur témoigna, commencèrent à dominer dans Tlemcen et, en l'an 652 (1254), après le retour de Yaghmoracen d'une expédition dans le pays des Toudjîn, ils commirent un attentat qui aurait eu les suites les plus funestes, si Dieu, dans sa bonté, n'eût protégé les musulmans. Voici ce qui se passa Yaghmoracen monta un jour à cheval pour passer ses troupes en revue et se posta auprès d'une des portes de Tlemcen nommée Bab-el-Carmadi1; il y était encore vers l'heure de la sieste et se tenait au milieu de sa suite, quand le commandant de la milice chrétienne s'approcha et lui fit signe

2

Variantes el-Macarmadin, el-Carmadin. Nous adoptons ici la forme el-Carmadi, celle qui est encore en usage.

2 Ici, dans le texte arabe, se trouve un passage qui coupe le récit mal-à-propos et qui est évidemment déplacé. Dans la traduction, nous l'avons remis à l'endroit qu'il devait occuper.

T. HI.

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qu'il avait à lui parler en secret. Le prince s'éloigna de ses officiers afin que cet homme pût l'entretenir librement; mais, s'étant aperçu qu'il avait l'air troublé et qu'il cherchait à l'entraîner vers un endroit écarté, il soupçonna un piége et revint sur ses pas. Alors le chrétien piqua des deux et prit la fuite. Au même moment, les soldats chrétiens se jetèrent sur MohammedIbn-Zian, frère de Yaghmoracen, et lui ôtèrent la vie1. La trahison fut évidente; aussi, les troupes de la garnison se précipitèrent avec la populace sur cette bande de traîtres et les exterminèrent à coups de lances et d'épées, à coups de bâtons et de pierres. Depuis cette journée mémorable, le gouvernement de Tlemcen a évité d'employer des troupes chrétiennes, tant il craint leur perfidie.

Selon un autre récit, le commandant chrétien fut poussé à cet attentat par Mohammed-Ibn-Zian et, voyant ensuite manquer le coup, il s'empressa de tuer son complice pour faire croire qu'il n'avait lui-même pris aucune part à la conspiration. Le tumulte [du massacre] survint si promptement qu'il [Yaghmoracen] n'avait pas eu le temps d'éclaircir l'affaire des [chrétiens]. Dieu seul sait ce qui en était *.

LA VILLE DE SIDJILMESSA, CONQUISE PAR YAGHMORACEN, TOMBE AU POUVOIR DES BENI-MERÎN.

Depuis l'époque où les Arabes hilaliens entrèrent dans le désert du Maghreb-el-Acsa, les Makil [une de leurs fractions] se montrèrent toujours amis et partisans des Zenata et, surtout, des Beni-Merîn. La tribu des Doui-Obeid-Allah en fut la seule exception comme ses terrains de parcours touchaient à ceux

1 Ceci est le passage dont il est question dans la note précédente. * Le texte arabe de ce chapitre est si mal rédigé que l'on comprend à peine ce que l'auteur a voulu dire.

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