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mades du Maghreb, il fit partir de Miliana une ambassade chargée de représenter à Yaghmoracen les dangers auxquels il s'exposerait s'il tardait de faire sa soumission. Le chef abd-elouadite renvoya les messagers, sans faire attention à leurs menaces, et, quand l'armée du sultan parut sous les murs da sa ville, il sortit pour lui livrer bataille. Repoussé à coups de flèches par le corps d'archers, il chercha un abri derrière ses remparts, mais, n'ayant pas assez de monde pour garnir toute l'enceinte des murailles, il ne put empêcher l'ennemi d'y effectuer un logement. Sachant alors que Tlemcen était perdu, il réunit autour de lui ses officiers et partisans, sortit par la porte de la Côte (Bab-el-Acaba), tailla son chemin à travers l'armée hafside qui ployait devant ses guerriers, et courut se réfugier dans le Désert. Les assiégeants envahirent la ville de tous les côtés et s'y livrèrent aux plus grands excès: on pilla, on massacra partout, sans épargner ni les femmes, ni les enfants.

Au lendemain, quand le désordre eut cessé et que le feu de la guerre se fut éteint, les vainqueurs revinrent à des sentiments plus humains et leur souverain commença à chercher un chef auquel il pourrait confier le commandemeut de la ville, le gouvernement du Maghreb central et le soin. d'y maintenir l'autorité de la dynastie dont la cause venait de triompher sur celle de la famille d'Abd-el-Moumen. Les chefs les plus illustres reculèrent devant une pareille tâche, et les émirs zenatiens gentirent en eux-mêmes l'impossibilité de lutter contre Yaghmoracen, ce coursier indomptable, ce lion dont on n'osait pas aborder la tanière et qui ne lâchait jamais sa proie.

Pendant ce temps, les gens de Yaghmoracen étaient venus se poster sur les hauteurs voisines, afin de guetter le camp hafside, d'en harrasser les abords et d'enlever tous les individus qui oseraient s'en écarter. Leur chef fit alors des propositions à l'émir Abou-Zékérïa, promettant d'embrasser sa cause et de l'aider contre le souverain de Maroc, moyennant la remise de la

Dans le texte arabe, il faut lire aman à la place d'anâm.

ville. Le sultan accueillit cette offre avec empressement et concéda de plus à celui qui l'avait faite le droit de percevoir et de garder les impôts dans certaines parties des états hafsides. Soten-Niça, la mère de Yaghmoracen, vint au camp pour ratifier le traité, et, à son arrivée ainsi qu'à son départ, elle reçut d'Abou-Zékérïa toutes les marques d'un profond respect. Ces témoignages de considération furent accompagnés d'un riche cadeau.

Dix-sept jours après son apparition devant Tlemcen, AbouZékérïa reprit la route de Tunis. Il était déjà en marche quand plusieurs de ses courtisans lui représentèrent que Yaghmoracen nourrissait une ambition sans bornes, et qu'on ferait bien de lui susciter des rivaux parmi les émirs zenatiens et arabes, afin de le contrarier dans l'exécution de ses projets. Le sultan accueillit cet avis et choisit Abd-el-Caouï[-Ibn-el-Abbas]-Ibn-Atïa[-t-elHiou] pour régner sur la tribu et le territoire des Toudjin. Il accorda aussi une semblable faveur à El-Abbas-Ibn-Mendîl et à Ali-Ibn-Mansour, dont le premier fut nommé prince des Maghraoua, et, le second, prince des Melikich. En leur donnant les diplômes de cette dignité, il leur accorda l'autorisation de porter, en sa présence et devant tous les chefs almohades, les insignes de la souveraineté et la robe impériale, ainsi que le faisait leur rival Yaghmoracen. Les ayant inaugurés devant sa tente, il s'empressa de rentrer à Tunis.

Comblé de joie par le succès de ses armes, Abou-Zékérïa vit alors son empire agrandi, son projet accompli, le Maghreb[-elAcsa] prêt à succomber et la dynastie d'Abd-el-Moumen sur le point d'être remplacé par la sienne.

Yaghmoracen rentra dans Tlemcen et, pour tenir ses engagements envers Abou-Zékérïa, il fit prononcer la prière au nom de ce prince dans toutes les mosquées de ses états. Tournant ensuite ses armes contre les Zenatiens qui avaient encouru sa haine, il fit gouter à Abd-el-Caouï et aux fils de Mendil toute l'amertume de la guerre et les châtia de la manière la plus rude : il parcourut leurs provinces, porta le ravage jusqu'au fond de leurs pays, conquit une grande partie de leurs territoires et

chassa leurs agents, leurs officiers et partisans de toutes les villes où ces princes les avaient établis, délivrant ainsi les peuples de la tyrannie qui les accablait.

Il s'occupait encore à étendre ses conquêtes quand le sultan de Maroc, irrité de le voir embrasser le parti des Hafsides, rassembla une armée et marcha sur Tlemcen.

ES-SAID, SOUVERAIN DE MAROC, MARCHE SUR TLEMCEN ET MEURT A TEMZEZDEKT, MONTAGNE DANS LAQUELLE IL TENAIT YAGHMORACEN ASSIEGE.

L'empire fondé par Abd-el-Moumen tombait maintenant en dissolution les provinces éloignées du centre étaient devenues la proie d'insurgés et de prétendants, pendant que toutes les possessions almohades en Espagne avaient subi le joug d'IbnHoud qui, pour colorier son usurpation, y avait fait proclamer la souveraineté d'El-Mostancer-Ibn-ed-Daher l'abbacide, khalife de Baghdad. En Ifrikïa, l'émir Abou-Zékérïa le hafside s'était déclaré indépendant et tâchait de réunir sous ses ordres tous les peuples zenatiens afin de pouvoir occuper le trône que les Almohades avaient élevé à Maroc. Ses armées emportèrent d'assaut la ville de Tlemcen en 640 (1242-3), année qui fut marquée aussi par l'avènement du sultan almohade, Es-Said - Ali, fils d'El-Mamoun-Idris, fils d'El-Mansour-Yacoub, fils de Youçof, fils d'Abd-el-Moumen.

Doué d'un caractère hardi et entreprenant, Es-Saîd nourrissait de vastes desseins et, voyant son royaume entamé de toutes parts, il consulta les grands dignitaires de l'état sur les moyens qu'il devait employer afin de restaurer et de consolider un édifice qui penchait vers sa ruine. Mais, pour réveiller tout-à-fait l'ancienne fierté almohade, il fallut que les Beni-Merîn vinssent envahir les plaines du Maghreb, soumettre plusieurs villes de ce pays et occuper Miknaça (Méquinez), en y proclamant partout la souveraineté de la dynastie hafside.

Es-Said se hâta de rassembler et d'équiper une armée; il appela sous ses drapeaux les Arabes du Maghreb, les tribus berbères et toutes les peuplades masmoudiennes. Vers la fin de l'année 643 (avril 4248), il quitta la ville de Maroc pour se rendre à la frontière du royaume et, pendant sa marche, il expulsa les Mérinides de toutes les villes de l'intérieur. Ayant alors passé ses troupes en revue, auprès de la rivière Beht, il se porta rapidement sur Tèza, où il reçut la soumission des BeniMerin, ainsi que nous le raconterons ailleurs. S'étant fait renforcer par un contingent de cette tribu, il partit pour réduire Tlemcen et soumettre les pays au-delà de cette ville.

Yaghmoracen, suivi de tous les Abd-Ouad, jusqu'aux enfants, courut s'enfermer dans Temzęzlekt, forteresse située au Midi d'Oudjda; pendant que son vizir, le légiste Abdoun, se rendait auprès d'Es-Said pour lui promettre, de la part de son seigneur, une obéissance parfaite et un zèle extraordinaire dans l'accomplissement de tous les ordres que le gouvernement du khalife enverrait à Tlemcen. Cet officier remplit sa mission et pria EsSaid de vouloir bien excuser l'absence de son maître. Le sultan repoussa cette demande et, d'après l'avis de ses grands officiers et de Kanoun-Ibn-Djermoun, chef des Sofyan et conseiller d'état, il déclara que Yaghmoracen devait venir en personne pour faire sa soumission. Abdoun partit alors avec l'ordre de l'amener au camp; mais il évita de remplir cette commission pour ne pas se compromettre.

Es-Said se porta en avant pour bloquer la montagne de Temzezdekt et, le quatrième jour de l'investissement, il monta à cheval afin d'aller examiner les abords de la place pendant que les assiégés faisaient la sieste. Il y avait alors en vedette, au pied de la montagne, un nommé Youçof-Ibn-Abd-el-Moumenes-Cheitan (le démon) et, tout près de lui, se trouvaient Yaghmoracen et son cousin, Yaconb-Ibn-Djaber. A l'approche d'EsSaid, ces trois cavaliers s'élancèrent d'un chemin creux et

Dans le texte arabe, il faut lire bád avec un dod.

l'attaquèrent vivement, D'un coup de lance, Youçof le jeta en bas du cheval et Yacoub-Ibn-Djaber donna la mort au vizir Yahya-Ibn-Attouch. Aussitôt après, ils tuèrent l'affranchi européen Naseh et l'eunuque Anber ainsi que le commandant de la milice chrétienne surnommée Akhou - 'l-Comt (le frère du comte), et un enfant, fils d'Es - Saîd. D'après un autre récit, l'armée montait à l'assaut et le sultan, qui marchait en tête, fut séparé des siens par un ravin; alors les cavaliers que nous venons de nommer se jetèrent sur lui et le tuèrent. Ceci se passa en Safer 646 (mai-juin 1248).

La nouvelle de cette catastrophe répandit un tel découragement parmi les assiégeants qu'ils abandonnèrent toutes leurs positions. Yaghmoracen accourut auprès d'Es-Saîd qui était étendu par terre, et, s'élançant de son cheval, il s'approcha de lui en exprimant le plus vif regret du malheur qui venait d'arriver, et en déclarant que pour sauver ses jours il aurait volontiers sacrifié les siens. Il parlait encore quand le khalife, après une courte agonie, rendit le dernier soupir.

Le camp des Almohades tomba au pouvoir des Beni-Abd-el. Ouad, qui s'en partagèrent les tentes et les pavillons, après avoir réservé pour Yaghmoracen la tente du sultan. Parmi les trésors qu'elle renfermait et qui passèrent entre les mains du chef abdel-ouadite se trouvait le Coran d'Othman-Ibn-Affan, un de ces exemplaires, dit-on, qui furent trancrits sous le règne de ce khalife. Les descendants d'Abd-er Rahman, fondateur de la dynastie oméïade d'Espagne, l'avaient conservé parmi leurs trésors, à Cordoue; les Almoravides le prirent à l'époque où ils détronèrent tous les petits princes qui s'étaient partagés l'Es

1 Malgré les manuscrits, on doit lire akha à la place d'akhou.

Ce fut en l'au 30 de l'hégire que le khalife Omar, voulant rétablir l'uniformité du texte du Coran, fit transcrire plusieurs exemplaires de ce livre sur le manuscrit qui renfermait la mise au net de la rédaction faite par Abou-Bekr. Il en envoya alors des copies dans toutes les grandes villes de l'empire et fit brûler les anciens exemplaires.

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