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exception, accoururent sous ses drapeaux et abandonnèrent la cause de son frère Abou-Hafs, dont l'esprit despotique les avait offensés ainsi que la sévérité qu'il déployait contre les chefs arabes et d'autres grands personnages. Il se mit alors en route pour la capitale, et, arrivé à Cairouan, il trouva son frère AbouFares, gouverneur de Souça, qui était venu le reconnaître pour souverain et marcher avec lui.

De son côté, l'usurpateur rassembla assez de cavaliers et de fantassins pour en former une armée et, au commencement du mois de Châban (19 nov. 1346), il quitta la capitale. Le chambellan Ibn-Tafraguîn ayant été averti que le prince, son maître, voulait lui ôter la vie, guetta l'occasion de s'éloigner du camp, et, s'étant fait renvoyer à Tunis pour affaires, au moment même où les deux armées allaient se trouver en présence, il se sauva la même nuit et prit la route du Maghreb. Le sultan Abou-Hafs fut tellement épouvanté de cette nouvelle, qu'il courut s'enfermer dans Bédja. Ses troupes, laissées en proie au plus grand désordre, passèrent sous les drapeaux d'Abou-'l-Abbas.

Le 8 Ramadan (25 décembre), Abou-'l-Abbas étant venu camper dans les jardins de Ras-et-Tabia, prit possession de Tunis et fit sortir de prison son frère Abou-l-Baca. Six jours plus tard, il alla s'installer au palais; mais, le lendemain, AbouHafs pénétra à l'improviste dans la ville et lui ôta la vie.

Cette entreprise audacieuse s'effectua avec le concours des nombreux partisans que ce prince s'était faits dans les dernières classes de la population. Il avait gagné les cœurs de ces gens-là parce que, dans la folie de la jeunesse et dans la poursuite des plaisirs, il avait eu l'habitude de se présenter à leurs soirées sans se faire annoncer et d'aller les trouver, de nuit, dans leurs maisons. Un instant lui suffit pour placer la tête de son frère au bout d'une pique et jeter son cadavre sous les pieds des chevaux; frappant exemple de l'inconstance de la fortune.

La populace se rua alors sur les chefs arabes et en massacra plusieurs; d'autres furent traînés devant Abou-Hafs et emprisonnés par son ordre; Abou-'l-Haul, fils de Hamza-Ibn-Omar, fut exécuté. A ses frères, les émirs Khaled et Azouz, le tyran

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fit couper les pieds et les mains, et les laissa mourir en cet état. Devenu encore maître de la capitale, Abou-Hafs donna la place de chambellan à Abou-'l-Abbas-Ahmed-Ibn-Ali-Ibn-Rezzîn. Ce personnage appartenait à la classe des hommes de plume et avait rempli les fonctions de secrétaire auprès du chambellan Es-Chakhchi, puis auprès du général Dafer-el-Kebir. Il entra ensuite au service d'[Abou-Yahya-] Abou-Bekr, quand ce prince monta sur le trône de Tunis. Les liaisons qu'il entretenait avec Ibo-el-Caloun ayant alors déplu à Ibn-Ghamr, il fut disgracié sur la prière de ce ministre. Remis en liberté, il passa dans le Maghreb, et trouva un accueil honorable auprès du sultan AbouSaîd. Quelque temps après, il revint à Tunis, où il vécut sans emploi pendant tout le règne du sultan Abou-Bekr. Son fils Mohammed entra au service de l'émir Abou-Hafs, en qualité de secrétaire, et cette circonstance lui facilita sa rentrée à la cour. Après la fuite d'Ibn-Tafraguîn, il fut nommé chambellan, mais l'administration de la guerre et le commandement en chef furent confiés à Dafer-es-Sinan, officier qui avait déjà servi le père et le grand-père d'Abou-Hafs. Pour compagnon et lecteur, Abou-Hafs fit choix d'Abou-Abd-Allah-Mohammed-IbnFadl-Ibn-Nizar, membre du corps des légistes et appartenant à une des premières familles de Tunis. Les aïeux d'Ibn-el-Fadl y avaient joui d'une grande considération. Quant à lui, il était entré dans la maison du sultan et tenait au palais une école pour l'enseignement des jeunes princes. L'émir Abou-Hafs fut un de ses élèves et lui témoigna, pour cette raison, beaucoup d'attachement; aussi, quand ce prince se fut emparé du pouvoir, Ibn-elFadl devint son conseiller et directeur.

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Lors de la prise de Tlemcen [par les Mérinides] et même avant cette époque, le sultan Abou-l'-Hacen avait conçu l'espoir

Dans le texte arabe, il faut lire oua sorrihi bi-kotobihi.

de conquérir l'Ifrîkïa, et il n'attendait qu'une occasion pour attaquer le sultan [Abou-Yahya-]Abou-Bekr et pour satisfaire aux sentiments ambitieux qu'il nourrissait depuis longtemps. Le chambellan Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn étant venu le trouver après la mort du sultan hafside, l'encouragea dans ce projet et le poussa vivement à entreprendre une expédition contre Tunis. Animé par ces représentations, Abou-'l-Hacen s'apprêtait à prendre les armes, quand on vint lui annoncer qu'Abou-'l-Abbas, héritier du royaume des Hafsides, venait d'être assassiné. Cette nouvelle le remplit d'indignation, et avec d'autant plus de raison qu'il avait souscrit à l'acte par lequel ce prince fut déclaré héritier du trône. Cela avait eu lieu peu de temps avant la mort du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr, quand le cheikh almohade, Abou-'l-Cacem-Ibn-Ottou, vint, en qualité d'ambassadeur, lui présenter des cadeaux de la part du souverain hafside. Cet envoyé lui communiqua alors l'écrit dont nous venons de parler, en le priant, au nom du sultan Abou-Bekr d'y apposer sa signature. Ayant alors appris la mort d'Abou-'lAbbas, il prétexta la violation d'un acte qu'il avait ratifié et déclara la guerre au gouvernement hafside. Dans le camp qu'il fit dresser en-dehors de Tlemcen, il distribua de l'argent aux troupes et pourvut à tous leurs besoins; puis, dans le mois de Safer 748 (mai-juin 1347), il se mit en marche à la tête d'une armée immense.

Les fils de Hamza-Ibn-Omar, émirs des Arabes nomades de l'Ifrîkïa, lui envoyèrent alors leur frère Khaled pour solliciter son appui dans une tentative par laquelle ils espéraient venger la mort de leur frère Abou-'l-Houl. Sa réponse leur étant favorable, toutes les peuplades de l'Ifrîkïa, même des provinces les plus éloignées, se déclarèrent pour les Mérinides. Ibn-Mekki, seigneur de Cabes, Ibn-Yemloul, seigneur de Touzer, Ibn-elAbed, seigneur de Cafsa, Moulahem-Ibn-Abi-Einan, seigneur d'El - Hamma et Ibn-el-Khalef, seigneur de Nefta, vinrent tous à la fois pour lui offrir leurs respects. Ils le rencontrèrent à Oran et lui prêtèrent le serment de fidélité, les uns de bon gré, les autres par crainte. Ils lui présentèrent aussi

les hommages d'Ibn-Thabet, seigneur de Tripoli, lequel n'avait pas pu les accompagner vu l'éloignement de cette ville. Après eux on vit arriver Youçof-Ibn-Mansour-Ibn-Mozni, seigneur du Zab, suivi des principaux cheikhs des Douaouida et de leur chef, Yacoub-Ibn-Ali. Ils trouvèrent le sultan à Beni-Hacen, dans la province de Bougie, et reçurent de lui l'acccueil le plus honorable. Chacun d'eux fut comblé de dons et obtint, en outre, sa confirmation dans le gouvernement de la ville ou du canton dont il était possesseur. Une députation des habitants d'Alger se présenta aussi, et rentra chez elle, accompagnée de plusieurs percepteurs envoyés par le sultan et placés sous l'inspection du vizir Masoud-Ibn-Ibrahim-el-Irniani.

Alors, sans perdre de temps, Abou-'l-Hacen se porta sur Bougie dont il agréa la soumission des habitants, bien que d'abord, a l'approche de son armée, ils eussent conçu le projet de lui résister. Leur émir, Abou-Abd-Allah-Mohammed, fils de l'émir AbouZékérïa, sortit au-devant du sultan mérinide et fut aussitôt envoyé en Maghreb avec ses frères. On lui assigna Nedroma pour résidence, avec une portion des impôts de cette ville pour son entretien.

Après avoir installé à Bougie des percepteurs et d'autres fonctionnaires, Abou-'l-Hacen partit pour Constantine. Les fils de l'émir Abou-Abd-Allah [fils du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr] conduits par leur frère aîné Abou-Zeïd, sortirent de cette ville et lui offrirent leur soumission. Il les accueillit avec bonté et les fit conduire à Oudjda, ville dont les impôts furent affectés à leur entretien.

Ayant établi ses agents et percepteurs à Constantine, le sultan fit mettre en liberté les princes hafsides que l'on y retenait prisonniers. Parmi eux se trouvèrent Abou-Abd-Allah-Mohammed, frère du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr, les fils de cet Abou-AbdAllah, Mohammed, fils de l'émir Khaled, avec ses enfants et ses frères. Le sultan les emmena à Tunis et de là il les envoya en Maghreb.

Il était encore à Constantine quand les fils de Hamza-Ibn-Omar vinrent le joindre, accompagnés de tous les autres cheikhs des

Kaoub. Ils lui apprirent qu'Abou-Hafs s'était éloigné de Tunis avec les tribus des Aulad-Mohelhel et qu'il allait se jeter dans le Désert. Comme c'était là une chose qu'il fallait empêcher, il fournit à ces chefs un détachement commandé par son affranchi Hammou-el-Acheri, et les envoya à la poursuite des fuyards. Un autre détachement sous les ordres de Yahya - Ibn-Soleiman, membre de la tribu mérinide des Beni-Asker, partit avec Abou-1-Abbas - Ibn - Mekki et se dirigea sur Tunis. La colonne expédiée contre Abou-Hafs le surprit dans le territoire d'El-Hamma, près de Cabes. Les Aulad-Mohelhel se dispersèrent après une faible résistance; Abou-Hafs prit la fuite; mais son cheval ayant posé le pied dans un trou de gerboise, s'abattit sous lui. Quand la poussière se dissipa on découvrit cet émir et l'affranchi Dafer-es-Sinan qui s'en allaient à pied. Le chef du détachement les arrêta et les chargea de fers; mais, à l'entrée de la nuit, il les fit mettre à mort de peur que les Arabes ne vinssent les délivrer. On porta leurs têtes à Abou'l-Hacen qui venait d'entrer à Bédja.

Une partie des fuyards s'étant jetée dans Cabes, Ibn-Mekki fit arrêter les fonctionnaires de l'empire qui se trouvaient parmi eux, et, dans le nombre, Abou-l-Cacem-Ibn-Ottou, cheikh almohade, et Sakher-Ibn-Mouça de la tribu de Sedouîkich. On conduisit les prisonniers au sultan qui fit couper la main droite et le pied gauche à Ibn-Ottou, à Sakher-Ibn-Mouça et à AliIbn-Mansour; les autres furent enfermés dans un prison.

L'armée mérinide se porta alors sur la capitale; le sultan i'y suivit de près et, dans le mois de Djomada second de la même année (sept. 1347), il fit son entrée à Tanis accompagné d'un cortége magnifique. Son arrivée imposa silence à toutes les langues et calma l'agitation des esprits; les gens malintentionnés n'osèrent plus bouger, et rien ne resta du brillant empire des almohades hafsides qu'une faible étincelle dont on distinguait encore la lueur à Bône. Ce fut Abou-'l-Hacen lui-même qui laissa subsister ce dernier reste de leur domination en y établissant comme gouverneur l'émir El-Fadl, fils du sultan Abou-YahyaAbou-Bekr. Il voulut ainsi témoigner ses égards envers un

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