pour cette ville avec son chambellan, Mohammed-Ibn-el-Caloun. Ce ministre, qui avait été chargé par le sultan de la haute direc tion des affaires, s'en retourna à Tunis quelque temps après, et fut remplacé par Ibn-Séïd-en-Nas. Celui-ci, ayant ensuite obtenu la place de chambellan à Tunis, établit à Bougie, comme son lieutenant, Abou-Abd-Allah[-Mohammed]-Ibn-Ferhoun. Lors de l'arrestation d'Ibn-Séïd-en-Nas et d'Ibn-Ferhoun, l'émir Abou-Zékérïa prit lui-même les rènes du gouvernement, avec l'approbation du sultan, lequel lai envoya, comme chef de la force armée, Dafer-es-Sinan, affranchi de l'émir Abou-Zékérïa II, et comme chambellan, le secrétaire Abou-Ishac-Ibn-Allan. Au bout de quelque temps, le prince les renvoya à Tunis et choisit pour chambellan Abou-1-Abbas-Ahmed-Ibn-Abi-Zékérïa-erRondi (natif de Ronda, en Espagne) personnage dont le père avait été homme d'étude, partisan des doctrines professées par les mystiques les plus exaltés et lecteur assidu des ouvrages composés par Abd-el-Hack-Ibn-Sebain. Ahmed fut élevé à Bougie et, étant entré au service du gouvernement, il monta de grade en grade et obtint, enfin, d'Abou-Zékérïa la place que nous venons de mentionner. Le sultan [Abou-Yahya-] Abou-Bekr voyait avec un vif déplaisir un homme de si peu de naissance remplir les fonctions de chambellan auprès de son fils; aussi, quand Ahmed mourut, il envoya de Tunis à Bougie Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin, grand chef des Almohades et premier ambassadeur de l'empire. Arrivé à sa destination, après l'an 740 (1340), cet officier rétablit l'ordre dans l'administration, rehaussa la dignité du prince et le décida à sortir avec l'armée pour faire une tournée dans ses états. Cette expédition ne s'arrêta qu'aux environs d'El-Mecîla et de Maggara, sur l'extrême frontière de la province. Une année s'était à peine écoulée qu'Ibn-Tafraguîn se fit rappeler à Tunis pour y remplir ses anciennes fonctions et pour éviter la haine les cheikhs de Bougie !ui témoignaient, haine qui eut pour que 4 Voy. tome 11, page 344. causes l'étiquette qu'il avait établie au palais et les obstacles qu'il avait opposés aux personnes qui voulaient se faire présenter au prince. L'opposition qu'il y éprouva provenait surtout du cadi Ibn-Abi-Youçof, auquel le cérémonial d'une cour n'avait inspiré que le dégoût et le mépris. Après le départ d'Ibn-Tafraguîn, l'émir Abou-Zékérïa rappela Ibn-Ferhoun, son ancien chambellan du temps d'Ibn-Seîd-enNas, Chargé d'une mission auprès du roi de Maghreb, IbnFerhoun s'était embarqué dans un des navires que le gouverne ment tunisien envoya au secours des vrais croyants, lors de la descente du sultan Abou-'l-Hacen à Tarifa. Son frère Zeïd commandait ce bâtiment en sa qualité de caïd maritime de Bougic. Revenu de ce voyage, il entra de nouveau, et avec l'approbation du sultan, au service de l'émir Abou-Zékérïa, et jusqu'à sa mort, il ne cessa de remplir les fonctions de chambellan. Ibnel-Cachach, successeur d'Ibn-Ferhoun et créature de la famille royale, fut destitué par le prince, qui lui préféra Abou-'l-CacemIbn-Alennas. Celui-ci était sorti des bureaux du gouvernement pour prendre service dans la maison de l'émir; il monta ensuite de grade en grade et se vit enfin porté au rang de chambellan. Il fut remplacé par Ali-Ibn-Mohammed-Ibn-el-Ment-el-Hadrami, personnage dont le père et l'oncle étaient venus en Afrique avec les émigrés andalousiens 1. Ces deux frères se mirent à enseigner la lecture du Coran selon les différents systèmes reçus, et l'un, Abou-'l-Hacen-Ali, en donna des leçons à Bougie. Il y devint aussi prédicateur de la grande mosquée. Son neveu, Ali-IbnMohammed, passa sa jeunesse dans cette ville et obtint un emploi dans les bureaux de l'administration, Poussé par l'ambition, il fit connaissance avec Omm-el-Hakem, concubine chérie de l'émir Abou-Zékérïa, et, profitant de l'influence de cette femme, il reussit à se faire nommer chambellan. Dans cette position il sut pourvoir avec habileté à tous les besoins de son maître, lui procurer les moyens de voyager commodément et lui fournir Voy. tome 11, page 405. des troupes toutes les fois qu'il voulait faire une tournée dans ses états. Il était encore chambellan quand ce prince, étant en expédition, mourut d'une maladie chronique, à Tagrèrt, dans la province de Bougie. Cet événement eut lieu dans le mois de Rébia premier de l'an 747 (juin-juillet, 1346). L'émir Abou-Abd-Allah, fils de l'émir Abou-Zékérïa, avait été élevé par Fareh, affranchi d'origine européenne qui, étant passé du service d'Ibn-Séïd-en-Nas dans celui de la famille royale, avait montré tous les talents nécessaires pour bien diriger l'éducation d'un jeune prince. Il resta auprès du fils de son patron, en attendant les ordres du sultan; mais l'ancien chambellan, Abou'l-Çacem-Ibn-Alennas, courut à la capitale et obtint la nomination de l'émir Abou-Hafs [-Omar], fils cadet du sultan, au gouvernement de Bougie. Abou-Hafs ayant reçu son congé de départ, se mit en route avec ses officiers et serviteurs, emmenant avec lui Ibn-Alennas. Arrivé à Bougie tout-à-fait à l'improviste, il écouta les suggestions de quelques misérables qui faisaient partie de sa société intime, et se mit aussitôt à infliger des punitions et à déployer une grande sévérité. Le peuple, épouvanté, consulta ses forces et, au bout de quelques jours, il se leva comme un seul homme, courut aux armes et entoura la citadelle où le nouvel émir s'était enfermé. Escaladant aussitôt les murs de cette forteresse, aux cris répétés de « Vive l'émir, fils de notre ancien maître! » les insurgés mirent au pillage tous les bagages qu'Abou-Hafs avait apportés de Tunis, et, s'étant emparés de ce prince, ils l'expulsèrent de la ville, et le laissèrent à moitié mort. Ensuite ils se dirigèrent vers la maison d'Abou-Abd-Allah-Mohammed, fils de l'émir Abou-Zékérïa, et le proclamèrent gouverneur. Ce jeune prince venait de faire ses préparatifs pour se rendre auprès du sultan, son grand-père; ayant reçu de l'émir, son oncle, l'ordre de s'en aller. Le lendemain, on le conduisit au palais de la citadelle pour lui remettre les rènes du gouvernement. L'affranchi Fareh prit alors la direction des affaires, avec le titre de chambellan, et parvint bientôt à rétablir F'ordre. Vers la fin de Djomada premier de la même année, l'émir Abou-Hafs rentra à Tunis, justement un mois après sa nomination au gouvernement de Bougie. Le sultan, dont nous devons bientôt mentionner la mort, s'empressa de faire partir AbouAbd-Allah-Ibn-Soleiman, chef almohade d'une sainteté de vie extraordinaire, en lui recommandant de régler les affaires de Bougie et de calmer les esprits. Se conformant en même temps aux vœux des habitants, il leur expédia un acte portant la nomination de son petit-fils, l'émir Abou-Abd-Allah-Mohammed, au commandement de leur ville. La tranquillité s'y rétablit alors; le peuple se laissant volontiers administrer par le fils de leur ancien maître. MORT DU SULTAN [ABOU-YAHYA-]ABOU-BEKR. FILS, L'ÉMIR ABOU-HAFS. AVÈNEMENT DE SON Pendant que les habitants de Tunis, oubliant l'inconstance de la fortune, se reposaient à l'ombre de la prospérité, pendant qu'ils jouissaient d'une sécurité parfaite, sous le pavillon de gloire que le sultan leur avait dressé et sous la protection de sa justice, voilà que le troupeau fut épouvanté, l'abreuvoir troublé, l'abri de la gloire et de la sécurité renversé, la cour de l'empire changée en solitude; — un cri funèbre venait d'annoncer que le sultan [Abou-Yahya-]Abou-Bekr n'était plus ! Il mourut subitetement à Tunîs au milieu de la nuit de mercredi, 2 Redjeb 747 (21 oct. 1346). Tout le monde sauta hors du lit et courut au palais pour s'assurer du fait; on passa le reste de la nuit à roder autour de la demeure royale; ils semblaient être ivres, mais ils ne l'étaient pas '. L'émir Abou-Hafs-Omar quitta aussitôt sa maison, prit possession du palais dont il fit garder toutes les issues et envoya chercher le chambellan Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin. Les cheikhs des Almohades, les affranchis et les divers corps de la milice furent convoqués sur-le-champ afin de prêter, entre les 1 Coran, sourate 22, vers 2. mains du chambellan, le serment de fidélité à l'émir Abou-Hafs. Le lendemain, le nouveau souverain tint une séance solennelle, avec le cérémonial usité dans l'empire et réglé par Abou-Mohammed. Ce chambellan en avait appris les usages et les principes de plusieurs cheikhs almohades et d'autres personnages haut placés. Les habitants de la ville, classés par corporations et métiers, se présentèrent devant l'émir et lui jurèrent d'être fidèles; puis, l'inauguration terminée, on leva la séance. L'émir [Abou-l-Baca-]Khaled, fils du feu sultan, était alors en congé à Tunis où il avait déjà passé plusieurs mois, en profitant des prolongations qu'il s'était fait accorder; mais la nuit même qu'il apprit la mort de son père, il s'évada de la ville. Arrêté par les Aulad-Mendil, tribu kaoubienne, il fut ramené à la capitale et mis en prison. Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn conserva la place de chambellan, avec un grand accroissement de considération et d'autorité. Les intimes du nouveau souverain travaillèrent alors pour le perdre et cherchèrent à indisposer leur maître contre lui: dévorés par la jalousie, ils ne cessèrent de rappeler au prince le souvenir des fréquents démêlés qu'il avait eus avec le chambellan sous le règne précédent. Ibn-Tafraguîn eut connaissance de ces intrigues et, pour se soustraire au danger, il mit en œuvre un tour d'adresse dont nous aurons bientôt à parler. L'ÉMIR ABOU-'L-ABBAS, HÉRITIER LÉGITIME DU TRONE, QUITTE LE En l'an 743 (4342-3), Abou-'l-Abbas, seigneur des provinces djéridiennes, avait été publiquement reconnu comme héritier du trône, par l'ordre de son père [Abou-Yahya-] Abou-Bekr. La nouvelle de l'avènement de son frère, après la mort du sultan, le remplit d'indignation; il exhala sa colère contre les Tunisiens à cause de leur trahison et il appela les Arabes à son secours afin de faire valoir ses droits à l'empire. Tous ces nomades, sans |