Images de page
PDF
ePub

il accorda une amnistie aux habitants et traita avec une bonté extrême la famille d'Abou-Yezid et les autres personnes que ce rebelle y avait laissées lors de sa fuite. Une troisième fois, AbouYezid réunit une armée et, voulant mettre le siége devant Cairouan, il commença par attaquer, de nuit, le camp qu'El-Mansour avait établi sous les murs de la ville. Dans la bataille qui s'ensuivit, les Berbères combattirent avec un grand acharnement et ne lâchèrent pied que vers le soir. Plusieurs autres engagements eurent lieu entre les deux partis, mais l'arrivée de renforts permit enfin au khalife de remporter une victoire éclatante. Ceci se passa vers le milieu de Moharrem 335 (août 946). AbouYezid prit la fuite et laissa une foule de Berbères morts sur le champ de bataille.

Le vainqueur poursuivit son adversaire jusqu'à Sbîba et, de là, il se porta sur Baghaïa en passant par Tebessa. Arrivé dans Baghaïa, il reçut une lettre par laquelle Mohammed-Ibn-Khazer 1 lui offrit sa soumission avec l'assurance qu'en ami dévoué, il se préparait à lui porter secours. Dans sa réponse, le khalife lui dit de guetter l'arrivée d'Abou-Yezîd afin de le faire prisonnier et de mériter ainsi une récompense de vingt charges d'or. De Baghaïa, El-Mansour se rendit à Tobna où il rencontra DjâferIbn Ali, gouverneur d'El - Mecila, qui lui présenta un riche cadeau et une forte somme d'argent. Averti alors qu'Abou-Yezid venait d'arriver à Biskera et avait adressé à Mohammed-IbnKhazer une demande de secours, demande qui fut très-mal accueillie, il marcha sur cette ville dont les habitants saluèrent son arrivée avec un grand empressement.

Abou-Yezid se réfugia chez les Beni-Berzal, dans la montagne de Salat, d'où il passa dans le Djebel-Ktana, montagne qui, de nos jours, s'appelle Djebel-Aïad. El-Mansour le poursuivit jusqu'à Maggara et, ayant repoussé une attaque que ce chef

1 Un autre chapitre de ce volume renferme l'histoire d'Ibn Khazer. Dans le texte arabe, il faut lire Maggara à la place de meferrihi. Ces deux leçons ne diffèrent que par un seul point diacritique.

infatigable dirigea contre lui pendant la nuit, il le força à rentrer dans le Salat et puis à en sortir pour se jeter dans les sables du Désert. Les Beni-Kemlan abandonnèrent alors le fugitif et se rendirent auprès de Mohammed-Ibn-Khazer, de qui ils obtinrent une amnistie au nom du khalife.

El-Mansour continua toujours sa marche, sans quitter l'ordre de bataille et alla camper au pied du Salat d'où il passa dans les sables qui sont au-delà; puis, il revint sur ses pas et, entré dans le pays de Sanhadja, il apprit qu'Abou-Yezid avait reparu dans le Kiana. Il y retourna sans perdre un instant et fit cerner cette montagne par les Ketama, les Addjîça, les Zouaoua, les BeniZendac, les Mezata, les Miknaça et les Meklata. Il y pénétra luimême et, à la suite d'un combat, il contraignit Abou-Yezid et les nekkariens à se retrancher sur les cimes du Kiana. Pendant que ses troupes tenaient les insurgés étroitement bloqués, il se rendit à El-Mecîla. Abou-Yezid s'enferma dans la Calâ (château) de la montagne, repoussa plusieurs assauts et, quand on eut enfin pris le château d'assaut, il se réfugia dans une tour qui couronnait l'édifice. Les assiégeants y pénétrèrent de vive force et tuèrent Abou-Ammar-el-Ama ainsi que Yeddous-ez-Zenati, mais AbouYezid leur échappa, quoique criblé de blessures. Emporté dans cet état par trois de ses compagnons, il se laissa tomber dans un précipice où il resta sans mouvement. On se saisit alors de lui et, le lendemain, on l'envoya à El-Mansour. Ce prince donna l'ordre de panser les blessures du prisonnier et, l'ayant ensuite fait comparaître devant lui, il l'accabla de reproches et lui que, par la loi, il méritait la mort. Il s'abstint toutefois de lui ôter la vie et se contenta de lui assigner une ration de vivres et de le faire transporter, en une espèce de cage, à El-Mehdia. Vers la fin 335 (juillet 947), Abou-Yezîd mourut de ses blessures. Sa peau fut empaillée et portée à travers les rues de Cairouan.

prouva

Les débris de l'armée nekkarienne se rallièrent autour de Fadl, fils d'Abou-Yezîd, qui se trouvait alors avec Mâbed -IbnKhazer, et partirent avec eux pour attaquer l'arrière-garde d'ElMansour; mais ils tombèrent dans une embuscade que Zîri-IbnMenad, émir des Sanhadja, leur avait dressée et perdirent beau

coup de monde. El-Mansour poursuivit Mabed jusqu'à El-Mecila, où il le perdit de vue. Il était encore campé près de cette ville, quand il apprit que Hamîd-Ibn-Yezel, officier auquel il avait confié le gouvernement de Téhert et le commandement des tribus qui s'étaient alliées aux Fatemides, venait de répudier son autorité et de s'embarquer à Ténès pour l'Espagne. Il partit sur-le-champ pour Téhert et y installa un nouveau gouverneur, ainsi que dans Ténès; puis il tourna ses armes contre les Louata et les rejeta dans le Désert.

Rentré en Ifrikïa, l'an 335, il se mit en campagne avant l'expiration de l'année et marcha contre El-Fadl qui faisait des courses dans la province de Castilia. Arrivé à Cafsa, il prit la route d'El-Meddila, dans le Zab, et s'empara de Madas, château qui en est voisin. Ne pouvant atteindre El-Fadl, qui s'était enfoncé dans le Désert, il reprit le chemin de Cairouan, où il fit sa rentrée en l'an 336 (947-8). Fadl reparut alors dans l'Auras et mit le siége devant Baghaïa; mais Batît-Ibn-Yala, un de ses compagnons, le tua de guet-apens et porta sa tête à El-Mansour.

Quelque temps après, Abd-Allah-Ibn-Bekkar, chef maghraouien, assassina Aïoub, l'autre fils d'Abou-Yezîd, et alla présenter la tête de sa victime à El-Mansour dont il cherchait à gagner la faveur. La mort d'Abou-Yezid et de ses fils entraîna la dispersion de leurs partisans. El-Mansour continua à poursuivre et à châtier les tribus ifrénides jusqu'à ce qu'il eût exterminé le parti nekkarite.

PREMIER EMPIRE FONDÉ PAR LES BENI-IFREN DANS LE MAGHREB
CENTRAL ET DANS LE MAGHREB-EL-ACSA.

Les nombreuses branches de la tribu d'Ifren vivaient dispersées les Beni-Ouargou, les Mérendjisa et quelques autres habitaient l'Ifrikïa, ainsi que nous l'avons dit, et une foule de peuplades, appartenant à la même grande famille, occupait la région qui sépare Téhert de Tlemcen. Ce furent ceux-ci qui fondèrent Tlemcen et dont le chef, Abou-Corra, se révolta en

Maghreb et assiégea Omar-Ibn-Hafs dans Tobna, vers l'époque où les Abbacides commencèrent à régner.

Lors de la chute d'Abou-Yezid, quand El-Mansour châtia les Ifrenides établis en Ifrîkia, les branches de la même tribu qui habitaient les environs de Tlemcen conservèrent intacts leur nombre et leur puissance. Au temps d'Abou-Yezîd, elles eurent pour chef Mohammed-Ib-Saleh. Quand El-Mansour accorda aux Maghraoua et à leur chef, Mohammed-Ibn-Khazer, le commandement de cette partie du Maghreb, la guerre s'alluma entre ceux-ci et les Beni -Ifren. Mohammed - Ibn-Saleh fut tué par Abd-Allah-Ibn-Bekkar, chef ifrenide qui avait passé aux Maghraoua, et son fils, Yala, lui succéda dans le commandement.

Yala-Ibn-Mohammed s'acquit une grande réputation et fonda la ville d'Ifgan. Abd-er-Rahman-en-Nacer, souverain oméïade d'Espagne, voulant rallier à sa cause les Zenata du Maghreb, chercha l'amitié des princes de ce pays et, parmi les premiers à le soutenir, il trouva Yala, fils de Mohammed, L'exemple de ce chef fut suivi par El-Kheir-Ibn-Mohammed-Ibn-Khazer et ses Maghraoua. En l'an 343 (954-5), Yala enleva Oran à Moham med-Ibn-[Abi-]Aoun, commandant que Doouas - Ibn-Soulat-elLehîci, chef ketamien, y avait installé l'an 298 (910–1). La ville fut prise d'assaut et ruinée de fond en comble. Quelque temps auparavant, Yala avait marché contre Téhert, accompagné d'ElKheir-Ibn-Mohammed, et mis en déroute les Lemaïa que l'eunuque Meiçour, gouverneur de la place, menait contre lui. Té hert succomba; Meiçour fut fait prisonnier et Abd-Allah-IbnBekkar tomba entre les mains d'El-Kheir et fut livré par lui à Yala-Ibn-Mohammed. Celui-ci ne voulut pas se contenter d'une seule victime pour expier la mort de son père; aussi, pour conserver son droit de vengeance [afin de pouvoir l'exercer plus tard contre la famille d'Ibn-Bekkar,] il envoya cet homme à un Ifrenide qui le fit mourir pour satisfaire à une vengeance personnelle.

Quand Yala eut établi sa puissance en Maghreb, il fit célébrer la prière publique au nom d'Abd-er-Rahman-en-Nacer dans toutes les mosquées, depuis Téhert jusqu'à Tanger. Il demanda

alors au souverain oméïade des hauts commandements dans les villes du Maghreb pour les membres de sa famille, et obtint pour son parent, Mohammed-Ibn-el-Kheir-Ibn-Mohammed, le gouvernement de Fez. L'année même de sa nomination, Mohammed demanda, par esprit de piété, la permission d'aller faire la guerre sainte en Espagne, et, quand cette autorisation lui fut accordée, il laissa dans Fez, en qualité de lieutenant, son cousin' Ahmed-Ibn-Abi-Bekr, petit-fils d'Ahmed-Ibn-Othman-Ibn-Saîd. Ce fut Ahmed-Ibn-Abi-Bekr, qui, en l'an 344 (955-6), bâtit à Fez le minaret de la grande mosquée qui est située dans le quartier des Cairouanites.

La puissance de Yala-Ibn-Mohammed ne cessa de croître jusqu'à l'an 347, quand El-Moëzz[, le khalife fatemide,] mit son secrétaire, Djouher le sicilien, à la tête d'une armée et l'envoya de Cairouan en Maghreb. Aussitôt que ces troupes eurent dépassé la frontière de l'Ifrîkïa, Yala s'empressa de faire acte de soumission. Oubliant ses obligations envers les Omeïades, il partit de sa ville d'Ifgan et alla au-devant du général fatemide. Ses promesses de fidélité et l'engagement qu'il prit au nom des Zenata de servir la cause des Fatemides lui valurent [en apparence] un bon accueil; mais Djouher nourrissait déjà dans son cœur l'intention de le faire assassiner. Pour y parvenir, il attendit le moment où Yala devait s'en retourner à 3 Ifgan. D'après ses instructions secrètes, quelques-uns de ses affidés vinrent ce jourlà donner une fausse alerte sur les derrières de l'armée; les chefs ketamiens, sanhadjiens et zenatiens s'y précipitèrent à

3

A la lettre: fils de son oncle paternel. Ce reuseignement ne saurait être exact puisque les généalogies des deux chefs s'y opposent : l'aïeul paternel de l'un se nommait Mohammed et celui de l'autre s'appelait Ahmed. L'auteur du Cartas, p. 54 du texte arabe de l'édition imprimée, avait déjà donné cette fausse indication, et Ibn-Khaldoun a copié les paroles de cet historien sans s'apercevoir de l'erreur.

Voy. t. I, p. 543.

* Le texte imprimé, d'accord avec les manuscrits, porte min; il faut ire ila.

« PrécédentContinuer »