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lors et dont l'autorité n'avait jamais été plus solide. Abd-Allah avait cependant un autre danger à craindre: pour le renverser, son frère El-Khalef s'était formé un parti dans le conseil des cheikhs. Voyant approcher le cadi, El-Khalef le fit inviter secrètement à surprendre la ville pendant la nuit, en lui promettant de se tenir prêt à agir aussitôt qu'on livrerait l'assaut. Profitant alors de la confusion qui s'éleva au moment de l'attaque, il fit assassiner son frère par quelques misérables et repoussa, en même temps, les troupes du cadi dont il s'était joué. De cette façon il parvint au commandement de la ville. Prenant alors Ibn-Yemloul pour modèle dans presque toute sa conduite, il se dirigea vers le même but que ce chef avait atteint, et se plaça, comme lui, au sommet du pouvoir.

Revenons à Ahmed-Ibn-Omar-Ibn-el-Abed: devenu maître de Cafsa, ce chef se montra modeste, ennemi du faste et imitateur des hommes qui suivaient les voies de la vertu et de la justice: il en adopta l'habillement simple, le modeste équipage et l'amour de la frugalité. Parvenu presque au terme de la vie, il se laissa enlever le pouvoir par son fils Mohammed. Le nouveau gouverneur s'écarta en quelques points de la modération de son prédécesseur et aspira à imiter le luxe de ses voisins.

Pendant que tous ces chefs jouissaient d'une autorité usurpée au détriment du sultan et qu'ils s'habituaient à jouer le rôle de rois, pendant qu'ils accablaient le peuple de leur tyrannie et qu'ils inventaient de nouveaux impôts, voilà le sultan que Abou-'l-Abbas, devenu maintenant souverain de l'empire hafside, dirigea, du fond de sa capitale, un regard menaçant vers les repaires de ces malfaiteurs. Ses intentions hostiles furent devinées par les chefs djeridiens: effrayés par l'imminence du danger, ils formèrent entre eux une ligne défensive — eux qui, pour donner des embarras au gouvernement tunisien et pour gratifier leur amour de la trahison et de la révolte, avaient encouragé ce même prince à marcher sur la capitale, en lui transmettant leur adhésion à sa cause, et cela, pendant qu'il était encore bien loin de leur pays. Ils distribuèrent alors des sommes considérables aux Arabes kaoubiens qui s'étaient refusés de rc

connaître l'autorité du sultan, et ils se flattèreut que ces nomades leur serviraient de rempart. En effet, ils obtinrent l'appui empressé des Aulad-Abi-'l-Leil, alors très mal disposés pour Abou'l-Abbas; mais ce prince vint enlever à la tribu récalcitrante toutes les campagnes de l'Ifrikia et soustraire à la domination arabe la tribu des Merendjîza, peuple nomade d'où les AuładAbi-'l-Leil tiraient la plupart de leurs revenus. Par ces premiers coups il brisa la puissance du Kaoub. Une seconde expédition l'amena dans le Djerid et, comme les chefs de cette région osaient lui résister, son armée et ses alliés arabes, les AuladMohelhel, mirent le siége devant Cafsa. Après avoir attaqué la ville pendant environ un jour, on commença le lendemain à couper les dattiers qui l'entourent. C'était frapper les habitants au cœur et les obliger à mettre leur chef hors la loi. Le proscrit n'eut d'autre moyen de salut que de se livrer, lui-même et son fils, à la merci du sultan. Ce fut dans le mois de Dou-'lCada, 780 (fév.-mars, 1379) qu'Abou-'l-Abbas se rendit maître de Cafsa. Dans les maisons appartenant à Mohammed-IbnAhmed-Ibn-el-Abed on trouva des trésors immenses, fruits d'un long règne et d'une extrême diligence à thésauriser.

Le sultan donna le gouvernement de Cafsa à son fils AbouBekr et se tourna alors contre Touzer. Ibn-Yemloul fut averti de son approche et s'enfuit aussitôt de la ville avec toute sa famille pour se réfugier au milieu des nomades mirdacides. Leur ayant distribué de l'argent, il s'en fit escorter jusqu'au Zab et, arrivé à Biskera, asile qu'il s'était choisi, il descendit chez Ahmed-Ibn-Youçof-Ibn-Mozni. Comme il s'attendait, chaque jour, à voir le sultan arriver pour le chercher et peut-être même pour attaquer son protecteur Ibn-Mozni, il se tenait toujours prêt à partir, et, pendant ce temps, il dépensait inutilement son argent pour entretenir l'insoumission des Arabes. Il mourut à Biskera après y avoir séjourné environ une année.

Les habitants de Touzer, se voyant abandonnés par leur chef, tinrent conseil et prirent le parti d'envoyer leur soumission au sultan. Ce monarque marchait de leur côté quand il reçut l'offre de leur obéissance; s'étant empressé d'occuper la ville,

il descendit au palais d'Ibn-Yemloul et confisqua les trésors de ce chef. Plusieurs des habitants vinrent alors dégager leur responsabilité en livrant au vainqueur les objets de prix que le fugitif lear avait laissés en dépôt. Le sultan donna le gouvernement de Touzer à son fils El-Monfacer et fit venir El-KhalefIbn-el-Khalet de Nefta, pour remplir les fonctions de chambellan auprès du jeune prince. El-Khalef nourrissait une vieille inimitié contre Ibn-Yemloul, et ce fut pour lui créer des embarras qu'il avait fait la paix avec le sultan. Voyant les autres chefs mis dans l'impossibilité d'éviter leur perte, il était accouru auprès d'Abou-'l-Abbas pour lui offrir sa soumission. Le sultan accepta les spécieux hommages d'El-Khalef dont l'appui lui paraissait nécessaire, et ayant consenti à oublier le passé, il l'établit dans Touzer comme chambellan d'El-Mon tacer, et l'autorisa à gouverner par lieutenant la ville de Nefta. Ces arrangements terminés, il repartit pour Tunis.

El-Khalef s'étant ensuite imaginé qu'en faisant sa soumission il s'était jeté au-devant de sa perte, ouvrit une correspondance avec Ibn-Yemloul et lui écrivit de Touzer même. Une lettre qu'il adressa à Yacoub-Ibn-Ali, cheikh des Riah et premier moteur de toutes ces insurrections, lettre dans laquelle il poussait ce chef à soutenir Ibn-Yemloul, fut interceptée par les partisans du sultan. A la lecture de cet écrit qui montrait la trahison d'El-Khalef, ils le mirent en arrestation, installèrent un des leurs comme lieutenant à Nefta et instruisirent le sultan de ce qui venait d'arriver. Lors de la révolte de Cafsa 1, l'émir El-Montacer s'empressa d'ôter la vie au prisonnier.

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Parlons à présent de Cafsa: Mohammed-Ibn-Abi-Zeid passa au sultan avec son frère Ahmed, peu de temps avant la prise de cette ville dont il était un des cheikhs. Cette démarche eut pour motif la jalousie qui régnait entre les deux fils d'AbouZeid et Ibn-el-Abed. On les appelait les fils d'Abou-Zeid parce, qu'ils descendaient de ce personnage : leur père, Abd-el-Azîz,

Voy. ci-devant, p, 97.

étant Gls d'Abd-Allah, fils d'Ahmed, fils d'Ali, fils d'Abd-Allah, fils d'Ali, fils d'Omar, fils d'Abou-Zeid. Nous avons déjà parlé des commencements de cette famille 1. Sous le règne d'AbouZékérïa I, leurs ancêtres percevaient les impôts du Djerîd. Le sultan Abou-'l-Abbas s'étant alors emparé de leur ville, témoigna sa haute satisfaction de leurs anciens services et, pour récompenser leur empressement à reconnaître son autorité, il les établit dans Cafsa, auprès de son fils [Abou-Bekr]. L'aîné devint alors coadjuteur d'Abd - Allah, affranchi turc qui gouvernait la ville au nom du sultan. Trompé par les sujétions de Satan et par les inspirations de l'ambition, il attendit un moment favorable et tenta un coup de trahison. Profitant de l'absence de l'émir Abou-Bekr, qui s'était rendu à Touzer pour visiter son frère, il rassembla une foule de mauvais sujets et marcha sur la citadelle. Abd - Allah - et - Toreiki, qu'il comptait surprendre, eut connaissance de son intention et envoya chercher des secours dans les villages voisins, après avoir fermé les portes de la forteresse. Pendant plus d'une heure, il se défendit vigoureusement et donna à ses amis le temps d'arriver. Cette augmentation de forces effraya les insurgés qui, se voyant abandonnés par les misérables qui les avaient égarés, coururent se cacher dans les maisons de la ville. Presque tous les meneurs de cette conspiration furent arrêtés. L'émir Abou-Zeid apprit à Cafsa que l'on s'était révolté à Touzer et il partit en toute hâte pour cette dernière ville, mais, en y arrivant, il trouva l'ordre parfaitement rétabli. Voulant, toutefois, faire un exemple des coupables, il ordonna le massacre des prisonniers et mit [Iba -]AbiZeid hors la loi. Repoussés par tout le monde, le proscrit et son frère se déguisèrent avec des habillements de femme et allèrent sortir de la ville, quand ils furent arrêtés à la porte par les hommes de garde. Conduits aussitôt devant l'émir, ils furent mis à mort, après avoir subi d'affreuses mutilations. L'émir El

Ci-devant, p. 145.

Lisez ibnihi dans le texte arabe. Voy. p. 95 de ce volume.

Montacer, qui était toujours à Touzer, s'empressa alors de faire mourir El-Khalef-Ibn-el-Khalef, de peur qu'il ne fût tenté d'agir comme eux. Il commença par infliger à ce malheureux les tortures les plus cruelles, sans écouter les inspirations de la miséricorde. Le sultan, ayant soumis le Djerîd, abolit partout le gouvernement des cheikhs et incorpora ce pays dans ses états.

Maintenant nous allons parler d'El-Hamma, ou le Hamma de Cabes, ville de la province de Castilia. On l'appelle aussi le Hamma des Matmata à cause des Berbères de cette tribu qui y avaient fixé leur séjour et qui, dit-on, l'avaient fondée. De nos jours, elle renferme trois tribus : une fraction des Toudjîn et deux fractions des Ourtadjen 2, ennemies l'une de l'autre, savoir les Aulad-Youçof et les Aulad-Djehaf. Ceux-ci obéissent à la famille Ouchah; les Aulad-Youçof ont pour chefs les AbouMenia. J'ignore le degré de parenté qui existe entre ces deux familles. On raconte au sujet des Abou-Meniâ et de leur droit au commandement que Redja-Ibn-Youçof, l'aïeul de cette maison, avait trois fils Bousak, Yahmed et Melalt. Après sa mort, l'autorité passa à Bousak qui la transmit à son fils Abou-Meniâ, lequel la laissa à son fils Hacen. Mohammed, fils de Hacen, commanda ensuite et eut pour successeur son frère Mouça-IbnHacen, qui transmit le pouvoir à son frère Abou-Allan 3 et ainsi de suite. Le premier chef des Aulad-Djehaf se nommait Mohammed-Ibn-Ahmed-Ibn-Ouchah. Avant lui, son oncle maternel, Omar-Ibn-Kelli exerça les fonctions de cadi.

Des agents nommés par le gouvernement de Tunis avaient successivement dirigé l'administration d'El-Hamma jusqu'à ce que le sultan y supprimât le kharadj et tous les autres impôts. Au commencement du règne d'Abou-Yahya-Abou-Bekr, la présidence

Ici, on lit de plus dans le texte arabe un passage dont les mots : et ne l'abrita ni un ciel ni une terre paraissent-être la traduction littérale.

2 Variante: Ouriadjen.

3 Variante: Einan, qui est peut-être la bonne leçon.

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