Images de page
PDF
ePub

rent un temps d'oppression et de tyrannie: il ne faisait que ver ser le sang, violer les femmes et confisquer les biens de ses sujets. Telle fut l'extravagance de sa conduite que les uns le regardaient comme fou et les autres comme infidèle. Les habitants de Touzer, ne pouvant plus se contenir, envoyèrent secrètement à son frère, Abou-Bekr, que l'on retenait prisonnier à Tunis, et l'invitèrent à venir et à prendre le commandement. Abou-Bekr s'adressa au sultan et obtint sa liberté en prenant l'engagement de lui obéir et de payer l'impôt. l partit alors pour Touzer avec une petite troupe d'Arabes nomades, et, secondé par les Nefzaoua qui habitaient les nombreux villages des environs de Touzer, il s'empara de cette ville dans une attaque de nuit. Son frere Yemloul lui fut livré par le peuple et mourut en prison après deux jours de détention; le vainqueur ayant déclaré qu'il ne le protégerait pas1.

A l'époque où les localités du Djerîd passèrent sous l'administration de conseils indépendants, Cafsa avait déjà pour président Yahya-Ibn-Mohammed-Ibn-Ali-Ibn-Abd-el-Djelîl, membre de la famille Abed, une des premières maisons de la ville. Les Abed prétendent remonter à Bila 2, et avoir vécu en confédération avec plusieurs fractions de la grande tribu de Soleim. On ne saurait préciser l'époque de leur établissement à Cafsa, mais on sait qu'ils s'incorporèrent dans la population de cette ville et qu'ils y prirent rang avec les deux familles les plus puissantes, les Beni-Abd-es-Samed et les Beni-Abi-Zeid. Sous le règne d'Abou-Zékérïa I, la présidence de Cafsa fut exercée par un membre de la famille Abou-Zeid auquel ce monarque avait confié la perception de l'impôt dans le Djerîd. Accusé d'avoir détourné une partie des sommes qu'il venait de recueillir, ce fonctionnaire perdit sa place et encourut une amende de plusieurs milliers [de pièces d'or ]. Après lui, la présidence fut exercée, tantôt par l'une, tantôt par l'autre de ces familles. Lors

Un peu plus loin, l'auteur reprend l'histoire de cette famille. • Tribu himyerite, descendue de Codâa.

T. III.

10

1

du rétablissement des conseils administratifs dans le Djerîd, l'esprit d'indépendance renaquit à Cafsa et, comme les BeniAbed y formaient le parti le plus puissant, leur chef, Yahya-IbnAli, obtint la présidence.

Quand le souverain mérinide, Abou-'l-Hacen, mit le siége devant Tlemcen, le sultan hafside fut délivré des embarras que lui causèrent les Beni-Abd-el-Ouad et trouva le temps de songer aux mesures qui devaient assurer la tranquillité du royaume et rétablir l'ordre dans ses provinces frontières. Il commença par Cafsa et, en l'an 735 (1334-5) il y mena son armée composée des troupes almohades, des divers corps de la milice et de ses alliés arabes. Pendant un mois ou davantage les habitants résistèrent à un blocus très-rigoureux; mais, ayant vu abattre une partie de leurs dattiers, ils reconnurent la nécessité de la soumission et ouvrirent leurs portes au sultan. Une grande partie de la famille Abed se réfugia auprès d'Ibn-Mekki, à Cabes; le reste de la population fit sa soumission et obtint une amnistie. Le vainqueur établit chez eux une administration équitable, écouta toutes les réclamations et fit aux habitants l'honneur de laisser au milieu d'eux son fils, l'émir Abou-'l-Abbas, le même qu'il désigna plus tard comme son successeur. Au moment de repartir pour la capitale, il nomma ce prince gouverneur du Djerid. Yahya-Ibn-Ali, l'ex-président, fut emmené à Tunis par le sultan, et il y mourut en l'an 744 (1343-4).

L'émir Abou-'l-Abbas soumit le Djerîd et s'empara de Nefta, ainsi que nous l'avons déjà dit. Il fit alors mourir les membres de la famille Khalef dont nous donnons ici les noms: Modafé et ses trois frères, Abou-Bekr, Abd-Allah et Mohammed, Ahmed, fils de ce Mohammed, et Khalef, fils d'Ali-Ibn-Khalef-Ibn-Modafê, neveu des précédents.

Les Beni-Khalef descendaient des Ghassan, peuplade qui entra en Afrique avec les avant-coureurs de l'armée arabe, lors de la

↑ Le texte arabe ajoute ici aïam, c'est-à-dire sous le règne de, sans indiquer le nom du souverain qui exerçait le pouvoir.

conquête de ce pays par les musulmans. Leur aïeul fixa d'abord son séjour dans un des villages des Nefzaoua; ensuite il se rendit à Nefta où il s'acquit une grande considération et laissa une famille qui devint une des premières de la ville. Lors de l'établissement des conseils, les quatre frères que nous avons nommés y exercèrent le commandement.

Après la soumission du Djerîd, le sultan Abou-Yahya-AbouBekr nomma son fils Abou-l-Abbas gouverneur de toutes les villes de cette région et l'établit à Cafsa [ainsi que nous venons de le dire]. Le jeune prince invita alors les frères Khalef à faire acte d'obéissance, et, sur leur refus, il ordonna à son vizir, le cheikh almohade, Abou-'l-Cacem-Ibn-Ottou, de prendre le commandement d'un corps d'armée qui se trouvait à la capitale, et de mettre le siége devant Nefta. Les habitants, voyant abattre leurs dattiers, s'empressèrent d'ouvrir leurs portes et de livrer les membres de la famille Modafê. Ibn-Ottou fit trancher la tête à tous ces prisonniers et laissa leurs corps attachés à des troncs de dattier, pour servir d'exemple. Ali, le frère cadet, évita la mort en passant aux assiégeants avant la prise de la ville. Nefta devint ainsi une partie des états d'Abou-'l-Abbas.

En l'an 745 (1344-5), le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr quitta Tunis et marcha contre Abou-Bekr-Ibn-Yemloul qui avait montré des velléités de révolte. La ville de Touzer fut prise, ainsi que nous l'avons dit, et Ibn-Yemloul se réfugia dans Biskera. A peine arrivé, il commença une série d'incursions sur le territoire de Touzer, puis, ayant perdu la protection d'Ibn-Mozni, il alla se fixer dans le voisinage de cette ville, aux bourgades de la rivière d'Ibn-Yemloul (hosoun ouad Ibn-Yemloul). Il mourut en 746.

L'année suivante fut marquée par la mort du sultan et ensuite par celle de son fils Abou-'l-Abbas, seigneur des états djeridiens. Les chefs qui y avaient commandé s'empressèrent alors de rentrer dans leurs villes respectives, et Ahmed-Ibn-el-Abed, étant sorti de sa retraite, chez Ibn-Mekki, enleva Cafsa à son cousin Yahya-Ibn-Ali. Ali-Ibn-Khalef s'empara de Nesta, et Yahya, fils de Mohammed-Ibn-Ahmed-Ibn-Yemloul, quitta son

1

asile à Biskera, (où il était arrivé enfant, sous la conduite de son cousin1, Abou-Bekr,) et se rendit à Touzer. Il partit avec le consentement de Youçof-Ibn-Mansour-Ibn-Mozni, qui le confia aux Aulad-Mohelhel, tribu kaoubienne. Après avoir reçu une gratification d'Ibn-Mozni et laissé leurs enfants entre ses mains comme gages de leur fidélité envers Yahya-Ibn-Yemloul, ces Arabes emmenèrent leur protégé à Touzer, où ses partisans et les amis de son père lui confièrent aussitôt le commandement. De cette manière, chaque ville djeridienne retomba sous l'autorité d'un chef unique, comme autrefois.

Quelque temps après, quand le sultan mérinide, Abou-'l-Hacen, eut fait ses préparatifs pour l'invasion de l'Ifrikïa, tous ces chefs allèrent le trouver à Oran. Il les accueillit avec de grands honneurs, et les renvoya chez eux après leur avoir accordé de fortes gratifications, des fiefs et des concessions, dont il fit aussitôt dresser les patentes et les brevets. Yahya-Ibn-MohammedIbn-Ahmed-Ibn-Yemloul, qui n'était pas encore sorti de l'adolescence, se rendit à Touzer; Ali-Ibn-Khalef-Ibn-Modafè repartit pour Nefta, et Ahmed-Ibn-Omar-Ibn-el-Abed prit la route de Cafsa. Le sultan Abou-'l-Hacen établit un commissaire et une garnison dans chacune de ces villes, plaça le Djerîd entier sous le commandement du vizir Masoud-Ibn-Ibrahim-Ibn-Eïça-el-Irnîani et recommanda à ces chefs de vivre en bonne harmonie avec son lieutenant.

En l'an 749 (1348-9), lors du désastre qui frappa le sultan à Cairouan, Masoud-Ibn-Ibrahîm partit pour le Maghreb avec les commissaires et les garnisons des villes djeridiennes. Les Arabes de la tribu de Kerfa eurent connaissance de son projet et, quelques jours après son départ, avant qu'il eût atteint le Zab, ils le massacrèrent, lui et ses troupes, et s'emparèrent de ses tentes, de ses trésors et de ses bêtes de somme. Les Djeridiens ressaisirent alors le commandement, chacun dans sa ville, et, reprenant leurs habitudes de feinte obéissance, ils ordonnèrent aux pré

Dans le texte arabe, il faut lire ibn-ammihi.

dicateurs de leurs mosquées, de faire la prière du vendredi au nom du souverain de Tunis.

:

Yahya-lbn-Mohammed commença dès lors à suivre les usages des rois il revêtit la robe impériale, prit un chambellan et s'en- . toura des emblèmes de la royauté; à l'instar des rois, il eut un banc fermé dans la mosquée et un trône pour les jours d'audience. Tout en cherchant les richesses, il donna pleine carrière à son impudicité et se vautra dans la débauche, il semblait croire que tout l'art de gouverner se réduisit à quatre principes: boire avec excès, saisir toutes les occasions de libertinage, se rendre invisible au public et s'asseoir aux festins avec ses parasites et ses intimes. Il accabla ses sujets du poids de sa tyrannie, et souvent, au milieu de la nuit, il entra brusquement chez un des notables de la ville et lui ôta la vie. Il y avait longtemps que cela durait, quand la réduction de l'Ifrîkïa par le sultan Abou-'lAbbas vint opérer un changement dont nous parlerons plus loin.

Son voisin, Ali-Ibn-Khalef fit le pèlerinage de la Mecque en l'an 764 (1362-3), peu de temps après son élévation au pouvoir. S'étant alors attaché à pratiquer le bien, il suivit, jusqu'à sa mort, les voies de la piété et de la justice. Il mourut dans la cinquième année de son administration. Mohammed-Ibn-Ali, son fils et successeur, se conduisit d'après les mêmes principes et mourut dans l'année même de son élévation. Il fut remplacé par son frère, Abd-Allah-Ibn-Ali, dont l'administration fut trèshabile, mais, dont le caractère raide et sévère finit par indisposer le peuple. Il avait dans le cadi, Mohammed-Ibn-Khalef, un rival auquel la naissance et l'ambition inspirèrent le désir d'exercer le commandement. Par des services rendus au sultan, il s'était fait nommer cadi de Tunis et admettre dans l'intimité du souverain. Profitant de sa haute position, il travailla à perdre Abd-Allah dans l'esprit du sultan ; il indiqua, en même temps, les moyens à employer pour ruiner l'autorité de son parent et les endroits par où on pourrait surprendre la ville. Ayant enfin obtenu le commandement d'une armée, il al'a se présenter devant Nefta au moment de la plus grande puissance d'Abd-Allah-IbnAli, dont les troupes n'avaient jamais été plus nombreuses qu'a

« PrécédentContinuer »