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somme d'argent et une partie des dons qu'il avait lui-même reçus des Mérinides; il lui prêta aussi une troupe de cavalerie fournie par les Beni-Amer et le mit ainsi en mesure d'atteindre un lieu de sûreté. L'évasion d'Ahmed fut une chose tout-à-fait merveilleuse.

Les Almohades hafsides ayant alors expulsé de Bougie et de Constantine les garnisons mérinides, Youçof-Ibn-Mansour reconnut de nouveau l'autorité hafside et continua. jusqu'à sa mort, à lui montrer une apparence de soumission. Il mourut le 10 Moharrem, 767 (29 sept., 1365).

Son fils Ahmed lui succéda et suivit la même ligne de politique. Il est encore aujourd'hui émir du Zab, où il exerce le pouvoir dont son père fut revêtu; il se conduit de la même manière, mais autant que la disposition de Youçof fut généreuse et libérale, autant celle du fils est marquée par la prétention et la jactance; «ton Seigneur crée et choisit tout ce qu'il veut » ^. Il a plusieurs fils dont l'aîné, Abou-Yahya, est né de la sœur de YahyaIbn-Mohammed-Ibn-Yemloul et doit hériter du gouvernement

du Zab.

Lors des malheurs qui frappèrent le Djerîd, Yahya-lbn-Yemloul, fléau de son pays, vint s'établir chez Ahmed, et celuici, craignant que le sultan hafside n'exigeât de lui une soumission réelle, distribua de l'argent aux Arabes et tâcha, mais inutilement, de former une alliance avec le seigneur de Tlemcen. Pendant quelque temps, il demeura indécis sur la conduite qu'il devait tenir, mais Dieu jeta enfin dans son cœur une lumière directrice et lui fit voir le chemin du salut. Renonçant alors aux habitudes d'une feinte soumission, il s'empressa de suivre la voie droite de l'obéissance. Ce fut Abou-Abd-Allah-Ibn-Abi-Hilal, cheikh des Almohades, qui. étant passé chez lui de la part du sultan Abou-'l-Abbas, le décida à reconnaître de bonne foi l'autorité du gouvernement hafside. A cette occasion, Ahmed envoya au sultan un riche cadeau par l'entremise d'Ibn-Abi-Hilal

1 Coran; sourat 28, verset 68.

et il joignit à ce don un acte de loyale soumission. Le prince agréa cette offrande et rendit à Ahmed ses bonnes grâces.

HISTOIRE DES BENI-YEMLOUL, SEIGNEURS DE TOUZER, [DES BENI-ABED, SEIGNEURS DE CAFSA,] DES BEN-KHALEF, SE:GNEURS DE NEFTA ET DES BENI-ABI-MENIA, SEIGNEURS D'EL-HAMMA.

Yabya-Ibn-Mohammed - Ibn-Ahmed -1bn - Yemloul, seigneur de Touzer et chef de la famille Yemloul, tenait le premier rang parmi les chefs djeridiens à cause de l'étendue de ses états et de l'importance de la ville où il avait établi son autorité. Les Yemloul prétendent remonter jusqu'à des Arabes de la tribu de Tenoukh qui entrèrent en Ifrîkïa avec les avants-coureurs de la première invasion musulmane, et qui se fixèrent dans cette localité lors de la conquête. La famille Yemloul y poussa de nombreuses branches, et, grâce à son origine et à ses alliances matrimoniales, elle devint une des maisons dont les membres formaient le grand conseil de la ville. Ces officiers remplissaient les fonctions d'ambassadeur auprès des souverains, recevaient les agents qui venaient de la part du khalife et s'occupaient de tout ce qui concernait l'utilité publique. Telle fut la position de ces familles sous la dynastie des Hammad, princes d'El-Calà, sous celle d'Abd-el-Moumen, souverain de Maroc, et sous le gouvernement des Hafsides, rois de Tunis. Parmi elles on distinguait particulièrement les BeniOuatas, les Beni-Forcan, les Beni-Mareda et les Beni-Aoud.

Dans le temps d'Obeid-Allah le fatemide, la présidence du conseil de Touzer appartenait à Ibn-Forcan. Ce fut lui qui provoqua l'expulsion d'Abou-Yezîd', en s'apercevant que ce perturbateur tramait un soulèvement contre Abou-'l-Cacem-el-Caïm. Sous les Hammadites, Yahya-Ibn-Outas remplissait les fonctions de président à Touzer et décida les habitants de Castilïa1 à re

Voy. ci-après, dans le chapitre qui renferme l'histoire d'Abou-Yezid.
Les manuscrits et le texte arabe portent Cosantina.

connaître l'autorité de cette dynastie et à répudier la souveraineté de la famille Bologguîn qui régnait à Cairouan. Ceci eut lieu lors du démembrement de l'empire zîride. Dans les premiers. temps de la dynastie almohade, la présidence appartenait encore à la famille Forcan, dont un des membres alla présenter ses hommages et ceux de ses compatriotes à Abd-el-Moumen. Ce sultan accueillit favorablement la démarche d'Ibn-Forcan et lui fit un beau cadeau. Les Almohades [hafsides], ayant établi leur autorité dans Touzer, supprimèrent le conseil des cheikhs et en firent disparaître jusqu'à l'ombre d'indépendance.

Ahmed, l'aïeul des Yemloul, avait nourri, depuis sa jeunesse, l'espoir de commander dans sa ville natale, mais il rencontra chez les autres notables une vive opposition à son projet. Dénoncé par eux à Mohammed-el-Fazazi, général en chef des armées du sultan Abou- Hafs, il se vit emprisonner et mettre à la torture, jusqu'à ce qu'il eût payé au fisc une forte somme d'argent.

Ce premier échec ne servit qu'à exciter son ardeur : il se rendit à la capitale où il espérait obtenir du khalife le rétablissement de sa fortune. Après y avoir passé quelque temps à courir les antichambres des vizirs et des grands; à baiser les pieds des amis et des domestiques du prince; à prodiguer le reste de son argent pour exciter leur intérêt et gagner leur faveur, il obtint l'intendance du divan maritime [douane] situé près du débarcadère, et dans lequel se tiennent les agents chargés de percevoir dix pour cent sur les marchandises des négociants européens. Dans cet emploi il fit preuve d'une telle habileté qu'il se fit donner l'administration de tous les impôts de la capitale. Il prit alors l'engagement de payer les employés et pensionnaires de l'Etat el de verser encore au trésor un revenu considérable. Pendant la période assez longue de son administration il eut l'occasion de s'enrichir, tout en augmentant les recettes du gouvernement et, dans les trésors qu'il parvint à amasser, il posséda le moyen de fermer la bouche aux envieux et de leur offrir les objets les plus recherchés que l'Europe pouvait fournir. Égaré enfin par l'insolence qui accompagne les richesses, il tint, à tout

propos, des discours imprudents et laissa percer ses projets ambitieux. On le dénonça au chambellan, et un rescrit, émanó du sultan Abou-Yahya - el-Lihyani, ordonna son arrestation et la confiscation de ses biens. Forcé par les douleurs de la torture à payer une amende de deux cent mille pièces d'or, il se trouva obligé de vendre tout ce qu'il avait acquis par son travail et jusqu'à sa bibliothèque. Il sortit de cette épreuve, la réputation compromise, le corps déchiré, ses richesses perdues, et réduit à mendier le logement, l'habillement et la nourriture. Echappé à la mort et n'ayant plus qu'un souffle de vie, il rentra à Touzer où, courbé par le malheur et repoussé par les notables, il reprit un métier auquel leur fierté les empêchait de descendre. A force de courtiser les grands et de se fatiguer en remplissant leurs commissions, il arracha encore un sourire à la fortune qui lui tendit la main. Le gouvernement hafside, préoccupé par les événements de Bougie et de Constantine, laissa faiblir son influence dans le Djerid au point que les populations de ce pays restèrent sans gouverneurs. Les conseils des cheikhs s'organisèrent comme auparavant, et Ahmed-Ibn-Yemloul atteignit à la présidence de Touzer ainsi que les bulles d'air s'élèvent à la surface de l'eau . Jouissant enfin du succès de ses efforts, il donna du repos à un cœur si longtemps agité et, jusqu'à sa mort, il conserva le haut commandement. Il cessa de vivre après avoir vu s'écouler l'an 718 (1318-9).

Yahya, fils d'Ahmed-Ibn-Yemloul, hérita de son ambition. Pendant toute sa vie il travailla pour écarter du pouvoir les autres grands de la ville et, afin de mieux accabler ses rivaux, il chercha un appui dans les classes inférieures. Il eut bientôt gagné l'affection des gens du peuple en buvant du vin [de palmier ?] avec eux et en se livrant ouvertement à toutes les folies de la jeunesse. Ses adversaires tombèrent successivement dans

1 Dans le texte arabe, lisez theroura à la place de theroua.

* Celte expression est empruntée d'un poëme composé par Emro-'lCaïs. Voy. Diwan d'Amro'lkais, p. 21, 1. 6.

I abîme; les uns furent mis à mort, les autres bannis ou rendus des objets d'effroi pour le monde civilisé. Rien ne le détourna de la vengeance; ni les liens de sang, ni la crainte de Dieu, ni les remontrances du sultan. Parvenu enfin à se faire le champ libre, il exerça le commandement de sa ville natale avec une autorité encore plus forte que celle de son père. Il mourut dans la cinquième année de son pouvoir usurpé.

Mohammed, frère du précédent et son compagnon dans la lice de l'ambition, la parcourut jusqu'au bout, saisit la balle au bond et monta sur le trône. Après avoir supprimé le conseil des cheikhs, il rechercha l'amitié des Arabes nomades afin de fortifier sa domination et de se garantir contre le sultan. Appuyé par les Aulad-Abi-'l-Leil, auxquels son père Ahmed s'était alliée en donnant sa sœur, ou sa tante, en mariage à leur aïeul Abou'l-Leil, il parvint à jouir d'une grande renommée, d'une haute puissance et d'un long règne. Les souverains de Tunis, forcés d'attendre un retour de fortune pour rétablir leur pouvoir, s'abaissèrent jusqu'à lui écrire et à placer entre ses mains l'administration de toute cette région. Vers l'an 740 (1439-40), le caïd Ibn-el-Hakim marcha contre Mohammed-Ibn-Yemloul et se contenta d'en recevoir une somme d'argent et un simple acte de soumission; il ne voulut pas même accepter comme otage le fils de ce chef, dont la sincérité lui paraissait hors de doute1. Rien ne se changea dans la position de Mohammed jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu vers l'an 744 (1343-4).

Abd-Allah-Ibn-Yemloul succéda à son père Mohammed et prit les rênes du gouvernement avec l'approbation ostensible de son oncle, Abou-Zeid-Ahmed; mais, au moment ou il alla confier à la terre le corps de son père, il tomba sous le poignard de cet ambitieux. Les assistants se jetèrent sur l'assassin et l'étendirent mort auprès du cadavre de sa victime.

Yemloul-Ibn-Ahmed, frère de Mohammed, se chargea alors du commandement. Les quatre mois de son administration fu

1 Lisez istinamatan dans le texte arabe.

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