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dans les tribus, et les porta à des actes de rapine et de brigandage.

Depuis quelques années, l'émir Ibrahim [seigneur de Constantine] avait opéré des réductions sur ces dons, tout en promettant aux Arabes de les en dédommager plus tard; aussi, lors de son retour de Cabes, où il s'était rendu dans la suite de son père, il se vit obséder par une foule de gens qui demandaient à être payés. Il tâcha de remettre ces importuns sous divers prétextes, et il repoussa les conseils de Yacoub-Ibn-Ali qui, étant alors revenu de la Mecque, lui recommanda de satisfaire aux demandes des Arabes. Yacoub fut blessé de ce manque d'égards, et, s'étant éloigné sous prétexte d'affaires, il abandonna le service du prince et appela les Arabes aux armes. Voulant réunir en un seul corps tous les ennemis du gouvernement, il rassembla autour de lui la plupart des Aulad-Sebâ-Ibn-Chibl, et des AuladSebâ-Ibn-Yahya, ainsi que ces loups riahides, leurs parents qui habitaient le Désert. Sortant alors du Tell, il alla s'établir auprès de Nigaous et lâcha ses bandes sur les plateaux de la province de Constantine. On pillait, on dévastait les moissons, et on revenait les mains pleines, les montures chargées de butin. De cette manière toute la campagne fut balayée.

En l'an 790 (1388), Yacoub-Ibn-Ali tomba malade et mourut. Son corps fut porté à Biskera pour y être enterré. MohammedIbn-Yacoub, son fils, maintint les Arabes en état d'insurrection et, vers le milieu de l'année suivante, il monta avec eux dans le Tell. L'émir Ibrahîm essaya alors de se racommoder avec les Daououida et leurs alliés du Désert. Abou-Sitta-Ibn-Omar, neveu1 de Yacoub-Ibn-Ali, répondit à ses avances, et lui ramena tous les fils d'Aïcha (Aulud-Aïcha), sœur d'Omar; mais son frère, Samit, prit le parti de Mohammed-Ibn-Yacoub. Une bataille s'ensuivit qui se termina par la défaite de l'émir Ibrahîm et la mort d'Abou-Sitta.

Le sultan rassembla alors une armée afin d'expulser les Arabes du Tell, et, les ayant refoulés dans leurs quartiers d'hiver, il les

Dans le texte arabe, il faut lire akhi à la place d'akhou.

empêcha pendant toute cette année de rentrer dans les territoires où ils avaient l'habitude de passer l'été. Ils se virent donc obligés d'établir leurs quartiers dans le Zab pendant la saison des chaleurs, et de là ils descendirent au Désert pour reprendre leurs stations d'hiver. Comme les vivres leur manquaient alors, ils mirent au pillage les moissons du Zab et, par cette conduite, ils faillirent se brouiller avec leur allié Ibn-Mozni. Ensuite, ils reprirent leur marche pour rentrer dans le Tell, mais ils en furent repoussés par un corps de troupes sous les ordres de l'émir Ibrahim.

En l'an 792 (1390), les choses étaient encore dans le même état quand Ibrahîm mourut d'une maladie qui le tourmentait depuis quelque temps. Cet événement amena la dispersion de son armée et permit à Mohammed-Ibn-Yacoub de pénétrer jusqu'aux environs de Constantine. Arrivé dans cette localité, il y fit camper ses gens, en déclarant qu'il renonçait aux hostilités pour rentrer dans l'obéissance, et, par une proclamation, il invita les cultivateurs à travailler leurs terres et les voyageurs à circuler sans rien craindre. Cette déclaration rendit la tranquillité au pays.

Une amnistie pleine et entière fut accordée aux Arabes, aussitôt qu'ils eurent envoyé une députation à Tunis pour offrir au sultan l'expression de leur repentir et leur désir de rentrer en grâce. Un fils d'Ibrahîm dont je ne sais pas le nom, prit alors le commandement à Constantine, et Mohammed, fils de l'affranchi Bechîr, fut envoyé de la capitale pour lui servir de ministre et de tuteur. Tout rentra alors dans l'ordre.

LES CHRÉTIENS DE LA NATION FRANQUE METTENT LE SIÉGE DEVANT EL-MEHDÏA 2.

Après la chute de l'empire romain, les Francs (el-Frendj), peuple qui occupait les pays au nord de la Méditerranée, obtin

1 Il faut lire Yacoub à la place de Youçof dans le texte arabe.

2 On trouvera dans Froissart un récit de cette expédition.

rent la supériorité et fondèrent un autre empire. Ils possédèrent aussi Dénia, la Sardaigne, Maïorque, la Sicile et les autres îles de cette mer dont leurs flottes remplissaient tous les parages. Ensuite ils s'avancèrent jusqu'aux côtes de la Syrie et s'emparèrent de Jérusalem. Leur supériorité dans la Méditerranée céda devant la puissance irrésistible que l'empire almohade s'était acquise par le nombre de ses vaisseaux et l'habileté de ses marins ; mais, dans les dernières années de cette dynastie, les Francs obtinrent encore la supériorité. Sous la dynastie des Merinides, les flottes du Maghreb défirent les Francs en plusieurs rencontres ; dès-lors, l'ardeur de ce peuple resta assoupie; l'unité de la France, siége de leur domination, fut brisée, et les nombreux débris de cette nation franco-chrétienne, tels que Barcelonne, Gènes et Venise, se constituèrent en états indépendants. Un grand nombre de musulmans, habitants du littoral de l'Ifrîkïa, entreprit alors d'attaquer ces contrées, et l'habitude de faire la course contre les chrétiens s'établit à Bougie, il y a une trentaine d'années.

La course se fait de la manière suivante : une société plus ou moins nombreuse de corsaires s'organise; ils construisent un navire et choisissent pour le monter des hommes d'une bravoure éprouvée. Ces guerriers vont faire des descentes sur les côtes et les îles habitées par les Francs; ils y arrivent à l'improviste et enlèvent tout ce qui leur tombe sous la main ; ils attaquent aussi les navires des infidèles, s'en emparent très-souvent et rentrent chez eux, chargés de butin et de prisonniers. De cette manière Bougie et les autres ports occidentaux [de l'empire hafside] se remplissent de captifs; les rues de ces villes retentissent du bruit de leurs chaînes, surtout quand ces malheureux, chargés de fers et de carcans, se répandent de tout côté pour travailler à leur tâche journalière. On fixe le prix de leur rachat à un taux si élevé qu'il leur est très-difficile, et souvent même impossible de l'acquitter.

Lisez ikhtall dans texe arabe

Les peuples chrétiens supportèrent avec impatience un tel état de choses navrés de douleur et trop faibles pour se venger eux-mêmes, ils adressèrent leurs plaintes au sultan qui habitait la France, bien loin d'eux. Ne pouvant s'en faire écouter, ils se communiquèrent mutuellement leurs griefs, et s'invitèrent, les uns les autres, à faire une descente dans le pays des musulmans et à y prendre leur revanche.

Le sultan Abou-'l-Abbas eut connaissance de leurs préparatifs et chargea son fils, l'émir Abou-Fares, de rassembler les populations des cantons [maritimes] et de guetter l'arrivée de la flotte ennemie. En l'an 792 ( 1390 ), les vaisseaux de Gènes, de Barcelone et d'autres localités, les uns proches, les autres éloignés, se réunirent dans le premier de ces ports, et, vers le milieu de la même année ( juin ou juillet), la flotte combinée mouilla inopinément dans la rade d'El-Mehdia. Comme cette ville est hâtie sur l'extrémité d'une langue de terre qui s'avance dans la mer, l'ennemi construisit une muraille de bois à travers l'isthme, afin d'empêcher toute communication avec le continent et de se rendre maîtres de la forteresse. Ils y bâtirent des tours dans lesquelles ils installèrent des soldats, tant pour attaquer la ville que pour repousser les musulmans qui viendraient au secours des assiégés. Du côté de la mer ils construisirent une tour de bois assez haute pour commander les murailles de la ville et y porter le ravage. Comme la place était alors étroitement bloquée et ne pouvait rien recevoir des nombreux secours qui lui arrivaient de tous côtés, les habitants combattirent avec la certitude d'une glorieuse récompense dans l'autre monde et se défendirent avec une constance inébranlable.

Le sultan se préoccupa vivement de leur position et fit partir pour El-Mehdia plusieurs détachements de troupes. Ensuite, son frère, l'émir Abou-Yahya-Zékérïa, quitta Tunis avec les fils du sultan, et mena contre l'ennemi toutes les troupes qui étaient encore disponibles. Les Arabes nomades et les autres populations lui envoyèrent aussi des combattants, de sorte que la plaine d'El-Mehdïa fut remplie de monde.

Les Francs, attaqués vigoureusement et accablés d'une grêle

de traits, cherchèrent d'abord un abri derrière leurs retranchements, mais ensuite ils sortirent contre les musulmans et leur livrèrent bataille. Dans cette rencontre, les fils du sultan se couvrirent de gloire, et l'un d'eux, Abou-Fares, faillit perdre la vie. A la suite de ce combat, les habitants lancèrent sur l'ennemi, du haut de leurs remparts, une pluie de pierres, de flèches et de naphte [enflammée] ; ils parvinrent même à incendier la tour qui les dominait du côté de la mer. Les assiégeants furent tellement découragés en voyant brûler cet édifice, qu'ils s'embarquèrent le lendemain et partirent pour leur pays. Les musulmans sortirent alors de la ville, en se félicitant de leur délivrance et en remerciant les princes qui étaient venus à leur secours. Dieu repoussa les infidèles; ils partirent furieux et n'obtinrent aucun avantage. Dieu épargna aux musulmans la peine de combattre 1. L'émir Abou-Yahya reprit le chemin de Tunis après avoir donné l'ordre de réparer les murs de la ville et d'en fermer les brèches.

REVOLTE ET SIÈGE DE CAFSA.

Après avoir effectué la réduction de Cafsa le sultan y installa, comme gouverneur, son fils, l'émir Abou-Bekr, et plaça auprès de lui, en qualité de ministre, le nommé Abd-Allah-etToreiki, officier qui était parvenu à un haut rang dans le service de l'empire après avoir été affranchi par le sultan Abou-YahyaAbou-Bekr. Une année plus tard, l'émir Abou-Bekr abdiqua le pouvoir et, en l'an 782 (4380-4), il alla rejoindre son père à Tunis. Et-Toreiki, dont le sultan estimait beaucoup le talent et la capacité, reçut alors le commandement de la ville et le garda jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu en 794 (1394-2). Mohammed, son fils et successeur, avait plusieurs frères consan

'Coran; sourate 33 verset 25.

2 Voy. ci-devant, page 95.

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