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réponse suivante: « Seigneur et émir! l'Egypte ne veut plus d'autre maître que toi; c'est à ton autorité seule qu'elle con>> sentira à obéir. Quant à moi, je dois reconnaître que tu me >> tiens lieu de richesses, de famille, d'enfants, de patrie, d'amis >> et de parents; pour toi, j'oublie les rois, les hommes puissants, » les grands, l'espèce humaine tout entière; car tu réunis >> toutes les qualités qui faisaient leur mérite. Je n'ai qu'un seul >> regret, c'est de n'avoir pas passé toute ma vie à ton service » et de n'avoir pas eu le plaisir de te voir plus tôt. Mais le destin » m'a enfin dédommagé de cette privation; je vais maintenant échanger l'illusion contre la réalité ; et combien aurai-je raison » de répéter ce vers du poète :

Que Dieu te récompense de ta démarche! Mais, hélas! tu es arrivé bien tard.

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«Entouré de ton patronage, j'entrerai dans une nouvelle vie, je blâmerai la fortune de m'avoir tenu si longtemps éloigné de » ta présence, et je passerai le reste de mes jours à ton service. » Attaché à ta personne, j'aurai atteint le faîte des honneurs, et » ce temps sera l'époque la plus brillante de mon existence. >> Mais ce qui m'afflige, c'est [de ne pas avoir ici] mes livres, dans » la composition desquels j'ai passé ma vie, y travaillant jour et »> nuit. Ils renferment les fruits de mes études, l'histoire du >> monde depuis la création, celle des rois de l'Orient et de l'Oc>>cident. Si j'avais ces volumes sous la main je t'assignerais la » première place parmi ces princes, et le récit de tes exploits. >> ferait pâlir leur renommée; car tu es l'homme aux batailles, >> celui dont les triomphes ont répandu le plus vif éclat, même » jusqu'au fond du Maghreb. C'est toi qui as été annoncé par la langue inspirée des favoris de Dieu; c'est toi que les tables astrologiques et le Djefer attribué à Ali, le commandeur des » croyants, ont désigné1; c'est toi dont la naissance a eu lieu » sous la grande conjonction des planètes 2, toi dont la venue de

>>

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1. Le Djefer est un livre de prédictions fort célèbre parmi les musulmans. Voy. la Chrestomathie de M. de Sacy, t. II, p. 300.

2. Tamerlan portait effectivement le titre de Saheb-el-Coroun, c'est-àdire seigneur des conjonctions.

>> vait être attendue vers la fin du temps! Mes ouvrages sont au » Caire, et si je pouvais me les procurer, je resterais attaché à >> ton service; car, Dieu soit loué, j'ai rencontré celui qui sait >> m'apprécier, patroniser, et estimer, etc.!....

>> Timour lui demanda alors la description du Maghreb, des royaumes que ce pays renferme, de ses routes, villes, tribus et peuples..., et Ibn-Khaldoun lui raconta tout cela comme s'il eût eu le pays sous les yeux, et il fit ce rapport de manière à ce qu'il s'accordât avec les idées de Timour sur ce sujet... Timour lui fit alors le récit de tout ce qui s'était passé dans son propre pays, de ses guerres avec les autres rois, de l'histoire particulière de ses officiers et de ses enfants..... Il convint ensuite avec le cadi Ibn-Khaldoun, que celui-ci se rendrait au Caire pour en amener sa famille, ses enfants et prendre ses beaux ouvrages, et qu'il reviendrait sans aucun retard, lui promettant le sort le plus avantageux lors de son retour.

Ibn-Khaldoun partit donc pour la ville de Safed, et se tira ainsi de sa position difficile. »

Dans le mois de Ramadan de la même année, Ibn-Khaldoun fut nommé grand cadi malékite d'Egypte, en remplacement de Djemal-ed-dîn-el-Acfehsi; et dans le mois du second Djomada 804, il fut lui-même remplacé par Djemal-ed-dîn-el-Biçati.

Au mois Dou-'l-Hiddja 804, il fut encore nommé cadi à la place d'El-Biçati, par lequel il fut remplacé de nouveau dans le mois de Rebiâ premier 806.

Dans le mois de Chaban 807, Ibn-Khaldoun fut nommé grand cadi pour la cinquième fois; il remplaça El-Biçati; mais, dans le mois de Dou-'l-Câda de la même année, il fut encore remplacé par El-Biçati.

Enfin, vers le milieu du mois de Ramadan 808, il remplaça El-Biçati; mais il mourut le 25 du même mois (16 mars 1406 de J.-C.).

1. Si Ibn-Arabchah a rapporté exactement les paroles d'Ibn-Khaldoun, celui-ci se sera remarié en Egypte.

FIN DE LA VIE D'IBN-KHALDOUN.

En terminant cette notice, le traducteur so permettra d'exprimer franchement l'impression qu'a laissée sur son esprit un examen attentif de plusieurs parties du grand ouvrage d'IbnKhaldoun. Cet auteur, ayant eu à sa disposition une quantité immense de documents historiques et d'autres écrits, dont la majeure partie est maintenant perdue, s'était proposé d'esquisser, dans une série de sections, faisant chacune un traité à part, l'histoire de toutes les dynasties qui ont paru successivement sur la terre. Il choisit ses matériaux avec un grand discernement, et les mit en ordre avec beaucoup de jugement; mais, afin de resserrer dans quelques volumes les nombreux faits qu'il avait puisés dans les ouvrages des historiens et généalogistes arabes, des généalogistes berbères, des poètes, des traditionnistes et dans les souvenirs d'une vie longue et agitée, il s'efforça de condenser presqu'au dernier degré cette masse énorme de renseignements. De là, ses phrases concises et heurtées où la pensée est à l'étroit et ne s'entrevoit qu'à demi ; phrases dont l'obscurité est encore augmentée par l'emploi trop fréquent des pronoms et par la mauvaise habitude de désigner les personnages tantôt par leur vrai nom, tantôt par leur patronymique et, tantòt par leur titre honorifique ou par leur nom ethnique. Dans un très grand nombre de passages, cette obscurité est si grande que l'arabisant le plus habile serait dans l'impossibilité de s'y guider, à moins de bien connaître les individus dont l'auteur parle et les faits qu'il entreprend de raconter. Ce genre de style n'est, en réalité, que la première expression de la pensée, l'effort d'un esprit qui cherche à énoncer rapidement et en peu de mots les notions qui s'y pressent jusqu'à déborder. L'auteur lui-même avait senti que cette manière d'écrire réunissait tous les défauts que nous venons de signaler; aussi, dans ses Prolégomènes et dans quelques chapitres de son histoire, il tâcha de les éviter. Malheureusement, il passa alors à l'autre extrême et, pour rendre ses idées plus intelligibles, il surchargea ses pages de répétitions inutiles et d'un verbiage recherché. Dans son Histoire des Berbères, on rencontre quelques chapitres qui rap

pellent le style des Prolégomènes, mais le reste de cette partie de son grand ouvrage n'est évidemment qu'un simple brouillon. Pressé par le sultan hafside, Aboul l-Abbas, de terminer promptement son travail, il ne se donna pas le temps d'en retoucher le style avant de le livrer au public, de sorte qu'il nous a laissé un bon et savant ouvrage très-mal écrit.

Dans l'ordonnance de son histoire, il n'a pas observé une juste proportion: concis jusqu'à la sécheresse quand il traite de certaines dynasties anciennes, il s'étend outre mesure quand il raconte les événements de l'époque où il vivait.

Malgré ces défauts, on ne saurait refuser de grands éloges à un ouvrage qui se distingue par l'abondance et la nouveauté des renseignements, par l'habileté de l'auteur dans le choix et l'agencement de ses matériaux, par l'adresse avec laquelle il amène ses transitions d'un sujet à un autre et par la manière compréhensive et systématique dont il expose ses faits.

Ce fut en l'an 1825 que le savant et infortuné voyageur, Schulz, inséra dans le Journal asiatique une notice qui laissa entrevoir la grande importance que devait avoir la partie de l'ouvrage d'Ibn-Khaldoun intitulé: Histoire des Berbères. Quelques années plus tard, il fit paraître, dans le même recueil, la traduction d'un chapitre dans lequel Ibn-Khaldoun discute les origines berbères, et par cette publication il inspira au monde savant le plus vif désir de posséder le seul traité historique qui eût pour sujet les tribus et les empires de l'Afrique septentrionale. Les deux articles de M. Schulz eurent enfin le résultat qu'il avait à peine osé espérer. En 1840, M. le Ministre de la guerre ordonna l'impression de l'Histoire des Berbères, et, sur la recommandation de M. le baron Baude, il voulut bien confier à M. de Slane le soin d'en restaurer le texte et d'en faire la traduction. Puisse l'approbation des savants justifier le choix du Ministre!

Dans les Prolégomènes, Ibn-Khaldoun parle du système qu'il adopta pour la transcription de certains mots berbères qui renferment des sons dont les équivalents n'existent pas dans la langue ara be. Ces sons [d'après lui] ne dépassent pas le nombre de deux et peuvent être parfaitement représentés en français

par le g dur, comme dans le mot garde, et par l's, tel qu'on le prononce dans le mot rose. Pour en désigner le premier, il emploie le kef arabe, avec un point en dessous ; et pour le second, il se sert de la lettre sad, ayant un za doux inscrit dans le repli. Quand nous disons que la langue arabe n'offre pas les équivalents de ces sons, nous voulons parler du langage des anciens Coreichites, tribu dont Mahomet faisait partie et dont la prononciation est la seule regardée comme bonne, la seule admise pour la lecture du Coran et des auteurs classiques, la seule dont les principes soient universellement connus. Dans l'usage vulgaire, il est vrai, ces sons existent, mais leur l'emploi varie selon le pays; en Egypte on dit guémel, agouz, pour djémel, adjouz, substituant ainsi le son du g dur à celui du dj, tandis que les Arabes nomades. de l'Afrique septentrionale substituent ce même son à celui du caf dur et disent goum, naga, à la place de coum, naca.

Quoi qu'il en soit, les signes adoptés par Ibn-Khaldoun afin de représenter ces lettres sont mal choisis; les copistes les ont très-souvent négligés et l'inventeur lui-même ne s'est pas toujours conformé à son propre système. On peut même remarquer que, dans son texte, il orthographie mal plusieurs noms par la substitution du dj, ou djîm arabe, au g dur. Dans cette traduction, le g berbère est représenté par g ou gu, I's doux par z, et le ghaîn our grasseyé par gh.

En transcrivant les noms propres, tant arabes que berbères, le traducteur n'a employé aucun signe pour distinguer les consonnes fortes, ou sourdes, des consonnes ordinaires; ayant jugé qu'un tel raffinement avait plusieurs désavantages qui en neutralisaient l'utilité dans un ouvrage de longue haleine. Le lecteur qui désire savoir comment s'écrivent en caractères arabes les noms qu'il rencontrera en parcourant les pages suivantes, pourra toujours recourir à la partie du texte original qui correspond à l'endroit de la traduction qu'il a sous les yeux.

L'insertion des voyelles faibles dans la transcription des noms propres arabes, s'est faite d'après les règles de l'orthographe et de l'étymologie de cette langue. Il est vrai que dans la bouche des hommes peu instruits, ces voyelles changent ou disparaissent

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