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§ LIII

RÈGNE D'ABOU-MODER-ZÎADET-ALLAH, FILS D'ABOU-'LABBAS-ABD-ALLAH, FILS D'IBRAHIM, FILS D'AHMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-AGHLEB, FILS D'IBRAHIM, FILS D'EL-AGHLleb.

L'historien dit: Zîadet-Allah ne se vit pas plutôt en possession du pouvoir qu'il fit exécuter et mettre en croix les eunuques qui avaient assassiné son père, témoignant en même temps une extrême horreur du forfait qu'ils avaient commis. Il déporta ensuite ses frères et ses cousins au nombre de vingt-neuf, dans une île appelée El-Korrath, où on les fit mourir dans le mois de Ramadan de la même année. Abou-'l-Abbas avait envoyé un de ses fils nommé El-Ahouel contre Abou-Abd-Allah-es-Chii: ZîadetAllah fit partir Fotouh-er-Roumi à la tête de cinquante cavaliers, le chargeant de délivrer à El-Ahouel une lettre d'une haute importance. Dans cette dépêche, qu'il avait écrite au nom de son père, il ordonnait à El-Ahouel de revenir sans retard. Ce prince obéit, mais il ne fut pas plutôt arrivé qu'il fut conduit au supplice. Pour Abou-Abd-Allah-es-Chîi, la mort d'El-Ahouel équivalait à une victoire.

L'historien dit : Zîadet-Allah fit distribuer des gratifications aux employés du gouvernement. Il donna à Abd-Allah-Ibn-esSaïgh les places de vizir et de directeur des postes; il nomma Abou-Moslem administrateur du revenu (kharadj), et il destitua le cadi Es-Sedîni parce que ce fonctionnaire professait la non-éternité du Coran. Dans la lettre qu'il écrivit à ce sujet aux habitants de Cairouan, il s'exprima ainsi : « Je destitue cet homme grossier et stupide, cet innovateur et réprouvé qui vous sert de cadi, et je donne sa place à Hammad-Ibn-Merouan qui est un homme doux et miséricordieux, dont le cœur est pur et qui sait bien le livre de Dieu et les traditions du Prophète (sonna). »

Sous le règne d'Ibrahîm-Ibn-Ahmed, grand-père de Zîadet-Allah, Abou-Abd-Allah-es-Chii avait commencé son entreprise, et il se trouvait maintenant en possession d'une grande puissance; le nombre de ses partisans s'était considérablement accru et tout flé

chissait devant lui. Dans la crainte qu'il ne s'emparât de Cairouan Ziadet-Allah quitta Tunis précipitamment afin de se rendre dans cette ville. En y arrivant, il en fit relever les murailles, mais tout fut inutile: le Chîite, fort de l'appui des Ketama et secondé par les guerriers des autres tribus berbères, défit successivement toutes les armées de Ziadet-Allah, subjugua les provinces et les villes, les unes après les autres, s'empara de Laribus et força Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb à prendre la fuite. Ce général avait été envoyé par Zîadet-Allah contre le rebelle ; il avait même sous ses ordres une forte armée, mais il ne put éviter une défaite. Ce corps de troupes fut le dernier que Zîadet-Allah mit en campagne. La défaite d'Ibrahîm eut lieu dans le mois de Djomada second de l'an 296 (mars 909).

§ LIV.

FUITE DE ZIADET-ALLAH EN ORIENT ET CHUTE

DE LA DYNASTIE AGHLEBIDE.

L'historien dit : Bien que Zîadet-Allah eût perdu tout espoir en apprenant la défaite d'lbrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb, il fit proclamer dans la ville de Raccada, où il se trouvait alors, que ses troupes avaient remporté la victoire, et [pour faire croire au public qu'elles avaient tué beaucoup de monde] il donna l'ordre de mettre à mort toutes les personnes qu'il retenait dans ses prisons et de porter leurs têtes en triomphe dans les rues de Cairouan et d'El-Casr-el-Cadîm. Il commença ensuite à emballer ses effets et ses trésors, puis, ayant envoyé à ses favoris et aux membres de sa famille pour leur apprendre la véritable situation des choses, il les engagea à partir avec lui. Sur ces entrefaites, son vizir, Ibn-es-Saïgh, lui donna le conseil de rester. « Les troupes viendront se rallier autour de vous, lui dit-il; répandez de l'argent, vous trouverez des hommes. Le Chîite n'osera jamais vous attaquer. Courage, donc! courage! Rappelez-vous les guerres que votre grand-père, Ziadet-Allah, avait à soutenir! »> Le prince garda le silence, mais Ibn-es-Saïgh l'ayant de nouveau pressé de rester, il lui répondit : « Cette insistance confirme les bruits qui se sont répandus sur ton compte; on t'accuse d'ent

tenir une correspondance avec le Chîite et de vouloir me livrer à lui. » Le vizir protesta de son innocence et ne chercha plus à le retenir. Zîadet-Allah se mit alors à emballer ses trésors, ses pierreries, ses armes et tous les objets précieux qu'il pouvait emporter; ses courtisans imitèrent son exemple, et, à l'entrée de la nuit, ils se trouvèrent prêts à partir. Le prince choisit alors mille individus parmi ses serviteurs esclavons et les chargea chacun d'une ceinture contenant mille pièces d'or. Il fit placer sur des montures celles d'entre ses concubines qu'il affectionnait le plus, ainsi que les femmes dont il avait eu des enfants, et il se disposait à commander le départ quand une de ses esclaves musiciennes se présenta devant lui, un luth à la main, et lui chanta un air dont les paroles étaient :

Je n'ai jamais oublié comment, au jour de notre séparation, elle se tenait devant nous, les yeux inondés de larmes.

Je pense encore à ses paroles quand la caravane se mit en marche : « Comment, Seigneur! vous nous abandonnez et vous partez? »

En entendant ces paroles, Zîadet-Allah versa des larmes, et ayant fait décharger un des mulets qui portait ses trésors, il y fit placer cette jeune fille. Il avait appris la nouvelle de la défaite de ses troupes lorsqu'on venait d'achever la prière du soir, et avant que le moëdden eût annoncé celle de la nuit close, il avait quitté Raccada et pris la route de l'Egypte. Les habitants le suivirent par bandes, et marchèrent à la lueur des flambeaux. Abd-Allah-Ibn-es-Saïgh rassembla alors ses esclaves, ses bagages et ses trésors, avec l'intention de se rendre à Lamta où un navire se tenait tout prêt pour le transporter en Sicile; il avait craint d'accompagner Zîadet-Allah, parce que la plupart des favoris de ce prince le détestaient et auraient pu décider leur maître à le tuer; déjà ils lui avaient fait accroire calomnieusement que son vizir était en correspondance avec le Chîite.

L'historien dit : Quand le peuple [de Cairouan] apprit la fuite de Zîadet-Allah, il se porta à Raccada et pilla la ville ainsi que les palais de ce prince. On y pratiqua des fouilles, espérant trouver des trésors cachés; on arracha les serrures qui garnis

saient les portes, on enleva les divans de parade et on emporta tout le mobilier. Au bout de six jours, la cavalerie du Chîite parut aux environs de la ville, et l'aspect seul de ces troupes. mit fin à l'œuvre de dévastation.

Un grand nombre d'officiers, d'esclaves et de chefs de bureaux qui n'avaient pas accompagné Zîadet-Allah se dispersèrent dans les autres villes de l'empire.

Quand Ibrahim-Abi-'l-Aghleb arriva à Cairouan et apprit le départ du prince, les soldats qui l'avaient rejoint s'en allèrent chacun chez soi. Abandonné de ses hommes, Ibrahîm entra au palais du gouvernement et fit proclamer une amnistie générale. L'ordre étant ainsi rétabli, les jurisconsultes, les notables de la ville et une foule immense se rassemblèrent à la porte du palais et. le nommèrent souverain. Il leur représenta alors que la mauvaise conduite de Ziadet-Allah avait perdu l'état, encouragé l'ennemi et l'avait même établi au cœur du royaume ; il parla ensuite du Chiite et des Ketama, les dépeignant comme coupables des forfaits les plus horribles, et finit par demander leur concours et appui : « Mon seul désir, dit-il, est de protéger vos familles, vos personnes et vos biens; aidez-moi avec dévouement à accomplir cette tâche; mettez à ma disposition des hommes et de l'argent afin que je puisse défendre l'honneur de vos femmes et vous sauver vous-mêmes d'une mort certaine. » A cette adresse ils répondirent « Notre dévouement est acquis à vous ou à tout autre qui nous gouvernera; mais, quant à l'argent, nous n'en avons pas de quoi vous satisfaire, et pour combattre, nous n'avons ni les moyens ni l'habitude. D'ailleurs, vous vous êtes déjà mesuré avec l'ennemi; vous aviez autour de vous des guerriers intrépides et des chefs puissants; le trésor public était à votre disposition, et cependant, vous n'avez pas réussi; comment donc espérer triompher par notre secours? Nous voulons garder notre argent pour racheter nos vies. » Leur ayant adressé encore la parole et ayant reçu la même réponse: « Eh bien! dit-il, voyez quelles sommes se trouvent entre vos mains à titre de dépôts et consignations, et prêtez-moi cet argent ; je ferai alors annoncer que je vais distribuer des arrhes, et je pourrai ainsi rassembler

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des troupes. Cette mesure ne vous profiterait pas, lui répondirent-ils, car le peuple désapprouverait une telle conduite. » Voyant qu'il ne pouvait rien espérer d'eux, il leva la séance. Les assistants firent connaître le résultat de cette conférence à la foule qui s'était rassemblée autour du palais. Aussitôt la lie du peuple s'ameuta contre Ibrahîm et l'accabla d'injures : « Allez-vous-en! lui crièrent-ils, laissez-nous! nous n'avons aucun besoin de vous! nous ne voulons pas être à vos ordres. » Ibrahîm n'eut pas plutôt entendu ces paroles qu'il saisit ses armes, et, suivi de ses compagnons qui avaient imité son exemple, il se précipita hors de la porte, mit la canaille en déroute, et s'élançant sur son cheval, il partit au grand galop avec ses amis. Les gens de la ville les poursuivirent en leur lançant des pierres. Tous les chefs qui n'avaient pas accompagné Zîadet-Allah, et qui craignaient pour leur propre sûreté, s'empressèrent de joindre Ibrahîm, et ils se rendirent tous auprès de leur souverain. Le Chîite vint alors occuper Raccada, et ainsi finit la dynastie des Aghlebides.

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L'historien dit : Zîadet-Allah avait déjà quitté Raccada quand Ibrahîm-Ibn-'l-Aghleb vint le joindre avec tous les hommes qu'il avait pu rallier autour de lui. Le prince se vit ainsi entouré d'une troupe nombreuse et se dirigea vers Tripoli. A son arrivée dans cette ville, il fit chercher Ibn-es-Saïgh et, ne le trouvant pas, il demeura convaincu de la vérité des insinuations qu'on avait dirigées contre ce vizir au sujet de la correspondance qu'il aurait entretenue avec le Chiite. Les compagnons de Ziadet-Allah renouvelèrent alors leurs accusations, et ils parlaient encore de la trahison du vizir quand ce ministre vint débarquer à Tripoli, où le navire qui devait le porter en Sicile avait été poussé par des vents contraires. Il alla tout de suite trouver le prince, qui lui reprocha amèrement de ne l'avoir pas accompagné, mais il parvint à se justifier en lui répondant qu'il s'était chargé d'une quantité de ballots trop lourds pour être transportés par terre. Les com

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