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le 10 du mois de Moharrem, et se rendit à Raccada où il séjourna jusqu'au 22 du mois suivant. Quand il reprit sa marche, le peuple de la province de Nefouça se rassembla dans le dessein de s'opposer à ses progrès, et vers le milieu du mois de Rebiâ second, un combat acharné eut lieu entre les deux partis. Meimoun, l'eunuque, succomba dans cette bataille ainsi que plusieurs autres; mais à la fin Ibrahîm mit l'ennemi en pleine déroute et le poursuivit, l'épée dans les reins, jusqu'au bord de la mer. Un grand nombre des fuyards se jetèrent à l'eau pour se sauver, mais on les y tua tous jusqu'au dernier, de sorte que les flots furent teints de leur sang. A ce spectacle, Ibrahîm s'écria: «Oh! si cette victoire avait été remportée sur les ennemis de Dieu quel honneur cela me ferait ! » A ces paroles, un de ses officiers lui dit de faire venir un des cheikhs nefoucites et de l'interroger sur sa croyance religieuse, puisque, de cette manière, on verrait qu'effectivement ce carnage était un service rendu à la cause de Dieu. Le prince se fit amener quelques-uns de leurs docteurs et leur demanda ce qu'ils pensaient d'Ali, fils d'AbouTaleb. A quoi ils répondirent : «Ali était infidèle ; il se trouve maintenant dans le feu de l'enfer, et quiconque refuse de le déclarer un infidèle, encourra la même punition 1 ! » — «‹ Est-ce là l'opinion de tout votre peuple? » leur demanda Ibrahîm, et sur leur réponse affirmative, il déclara que ce serait maintenant un bonheur pour lui que de les faire mourir. S'étant alors assis sur son trône, il se fit amener un des prisonniers et lui ayant fait couper le justaucorps à la hauteur des épaules, il le frappa au cœur avec un javelot qu'il tenait à la main, et avant de s'arrêter, il en tua cinq cents de la même manière. Ayant fini avec les Nefouça, il poursuivit sa marche jusqu'à Tripoli où il fit mourir et mettre en croix le gouverneur de cette ville, Mohammed, fils de Ziadet-Allah, dont le savoir et l'esprit cultivé avaient excité sa jalousie dès le temps de sa jeunesse. De Tripoli, il s'avança jusqu'à Aïn-Taurgha où plus de la moitié de ses troupes l'aban

1. On voit par cette réponse que le cheikh appartenait à la secte des kharedjites.

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donna pour rentrer en Ifrîkïa 1. Cette circonstance l'obligea de rebrousser chemin et de rentrer à Raccada d'où il partit ensuite pour Tunis.

En l'an 284, Ibrahim envoya son fils, Aboul-'l-Abbas, en Sicile pour y faire la guerre. Débarqué en cette île au mois de Djomada premier (juin 897), ce prince attaqua les troupes de l'ennemi, les mit en déroute, emporta leur ville d'assaut et y tua beaucoup de monde. Ayant alors rassuré les esprits en accordant une amnistie générale, il traversa le détroit dans le dessein d'attaquer les Roum, puis il rentra en Sicile après avoir tué beaucoup de monde et enlevé les enfants des vaincus.

§ XLIX.

ABDICATION D'IBRAHIM; DERNIÈRE CAMPAGNE ET

MORT DE CE PRINCE.

En l'an 289 (902), un ambassadeur, chargé par le khalife abbacide El-Motaded-Billah de faire à Ibrahîm une communication verbale, se rendit de Baghdad à Tunis, et Ibrahîm alla audevant de lui jusqu'à la sibkha. Nous devons dire que le khalife avait reçu, des habitants de Tunis, une adresse dans laquelle ils se plaignaient de la conduite d'Ibrahîm à leur égard et lui représentaient que les femmes et les enfants dont Ibrahîm lui avait fait présent [comme esclaves] était les leurs3. Pénétré d'indignation à cette nouvelle, El-Motaded envoya à Ibrahîm l'ordre d'abandonner à son fils Abou-'l-Abbas le gouvernement de l'Ifrîkïa et

1. Voici comment l'auteur du Baïan explique cet événement : « Ensuite Ibrahîm se porta de Tripoli à Taourgha où il tua quinze hommes ét donna l'ordre de cuire leurs têtes, faisant accroire en même temps que lui et ses officiers voulaient en manger. L'armée en fut épouvantée ; les soldats se dirent : L'émir est devenu fou! et ils se mirent à déserter. »> 2. Ibn-el-Athîr et son copiste Ibn-Khaldoun placent en l'an 287 la nomination d'Abou-l-Abbas au gouvernement de la Sicile. La ville dont En-Noweiri oublie de mentionner le nom fut Palerme, qui appartenait alors aux musulmans. Les habitants s'étaient mis en révolte, et capitulèrent après avoir essuyé une défaite sanglante.

3. On a déjà vu, page 429, qu'après la prise de Tunis, en 279, les habitants furent réduits en esclavage.

de venir comparaître devant lui. Voulant éviter la nécessité de se rendre auprès du khalife, Ibrahîm annonça sa détermination d'abdiquer afin de se consacrer à une vie de pénitence. Il se revêtit alors d'habillements grossiers, fit mettre en liberté toutes les personnes qu'il retenait dans ses prisons et supprima les gabelles (mocabilat). Dans le mois de Rebiâ premier il remit l'autorité suprême entre les mains de son fils, Abou-'l-Abbas, qui venait d'arriver de Sicile, et voulant faire le pèlerinage de la Mecque, il se rendit à Souça et envoya des messagers à Baghdad pour annoncer cette nouvelle au khalife. Quelque temps après, il fit prévenir la cour de Baghdad qu'il n'aurait pu donner suite à son projet [de pèlerinage] sans qu'il y eût un conflit entre lui et les Toulounides (qui gouvernaient l'Égypte], et que pour cette raison il s'était décidé à partir pour la guerre sainte. Un appel public de venir combattre pour la cause de Dieu attira plusieurs volontaires auxquels il distribua de fortes sommes, et le 22 du mois de Rebiâ second, il partit de Souça. Arrivé à Nouba, il distribua des armes et des chevaux à ceux qui l'accompagnèrent et accorda une gratification de vingt dinars à chaque cavalier et de dix à chaque fantassin. De Nouba il se rendit par mer à Tripoli, où il passa dix-sept jours à faire des largesses au peuple, et de là il partit pour Palerme où il débarqua le 18 du mois de Redjeb. Son premier soin en arrivant fut de mettre fin aux injustices dont les habitants de la Sicile avaient à se plaindre, et après avoir employé quatorze jours à enrôler des soldats et des matelots il se porta sur Taormine. Le siège de cette ville coûta beaucoup de monde aux deux partis, et la garnison se défendit avec tant de résolution que les musulmans furent sur le point d'abandonner leur entreprise. Dans ce moment on entendit la voix d'une personne qui récitait ces paroles du Coran : Voici deux adversaires qui se disputèrent au sujet de leur Seigneur; mais on a taillé pour les infidèles des vêtements de feu et on leur versera sur la tête de l'eau bouillante 1. Alors, les guerriers les plus braves s'élancèrent à l'assaut, décidés à vaincre ou à mourir ; ils mirent

1. Coran, sourate 22, verset 20.

les infidèles en pleine déroute, les passèrent au fil de l'épée, les poursuivirent jusqu'aux vallées et aux cimes des montagnes pendant qu'Ibrahîm et ses compagnons pénétrèrent dans la ville, exterminèrent une partie des habitants et firent le reste prisonnier. Il envoya alors son petit-fils Zîadet-Allah contre le château de Tîfech, et son fils Abou-l-Aghleb contre Demonich (Val Demona). L'armée musulmane trouva ces forteresses évacuées et s'empara de tout ce que les habitants n'avaient pu emporter dans leur fuite précipitée. Ibrahîm fit marcher Abou-'l-Hodjr, son autre fils, contre Rametta. Les habitants de cette ville obtin`rent leur grâce en se soumettant à payer la capitation. Son général Sâdoun-el-Djeloui somma le peuple de Lebedj (Aci Reale) de se rendre, et bien qu'ils lui offrirent de payer la capitation, il ne voulut point accorder la paix jusqu'à ce qu'ils eussent livré leurs châteaux. Quand il se trouva maître de ces forteresses, il les abattit et en fit jeter les matériaux à la mer. L'armée musulmane se dirigea ensuite vers Messine et, après y avoir passé trois jours, elle partit avec Ibrahîm pour envahir la Calabre. Arrivé dans ce pays, le 26 de Ramadan, il s'approcha de la ville de Kasta dont les députés vinrent au-devant de lui solliciter la paix. Il se refusa à leur prière, et fit avancer son armée; mais il resta luimême avec l'arrière-garde, à cause d'une indisposition dont il venait d'être attaqué. Les troupes allèrent camper sur le bord de la rivière, et le 24 du mois de Choual, Ibrahîm leur donna l'ordre de marcher en avant et assigna à chacun de ses fils et à ses officiers principaux leurs différents postes pour l'attaque. On se disposait à donner l'assaut de tous les côtés à la fois, et les catapultes venaient d'être dressées, quand la maladie interne dont Ibrahim souffrait prit subitement une grande intensité; le råle de la mort se déclara, et ses compagnons perdirent tout espoir de le sauver. Sous l'empire de ces circonstances, ils se décidèrent secrètement à confier le commandement à Zîadet-Allah, fils

1. Variante: Bikech.

2. Il faut sans doute lire Kasna, qui n'est autre qu'une altération du nom Cosenza.

d'Abou-'l-Abbas et petit-fils d'Ibrahîm. Ibrahîm mourut la veille du samedi 18 de Dou-'l-Câda 289 (otobre 902). Les chefs de l'armée montèrent aussitôt à cheval et se rendirent auprès d'Abou-Moder-Zîadet-Allah, le fils aîné d'Abou-'l-Abbas, fils d'Ibrahîm, auquel ils proposèrent d'accepter le commandement de l'expédition et de le garder jusqu'au moment où il aurait rejoint son père. Le jeune prince s'adressa alors à son oncle, Abou-'l-Aghleb, et le pria d'accepter ce poste éminent comme en étant plus digne, mais celui-ci craignait trop d'engager sa responsabilité et ne voulut pas y consentir. Les habitants de Kasta qui ne savaient pas encore la mort d'Ibrahîm, sollicitèrent la paix de nouveau et obtinrent leur grâce. Les musulmans attendirent jusqu'à ce que tous leurs détachements fussent rentrés, et s'en retournèrent alors à Palerme, emportant avec eux le corps d'Ibrahîm. On l'enterra à Palerme et on éleva un château sur sa tombe; ensuite tout le corps expéditionnaire rentra en Ifrîkïa.

Ibrahîm était né le 10 du mois de Dou-'l-Hiddja de l'an 235 (juin 850); il vécut cinquante-trois ans, onze mois et quelques jours, et avait régné vingt-huit ans, six mois et douze jours. La vie d'Ibrahîm était un tissu de vertus et de crimes: bn-erRakîk en a fait le récit et nous en parlerons ici d'une manière abrégée. Selon cet historien, c'était un homme d'une grande résolution, qui gouvernait d'une main ferme. Pendant les sept premières années de son administration, il imita l'excellente conduite de ses ancêtres, mais après son expédition contre El-Abbas, fils d'Ibn-Touloun, lorsqu'il se fut débarrassé des troubles que ce prince lui avait suscités, il changea de caractère et de conduite. Alors il commença à thésauriser, et à tuer ses compagnons, ses intendants et ses chambellans; il finit par ôter la vie à son fils et à ses filles et par commettre des horreurs inouïes 1.

4. Ibn-el-Athîr, dans ses annales, parle longuement d'lbrahîm-Ibn-elAghleb; il loue la justice et la piété de ce prince et ne fait pas la moindre allusion aux forfaits épouvantables qu'En-Noweiri lui attribue. L'auteur du Baïan s'accorde avec En-Noweiri et nous apprend que ces actes de férocité ont été rapportés non seulement par Ibn-er-Rakik mais par d'autres écrivains.

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