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pour les autres! » Abd-Allah ayant manifesté l'intention de persévérer dans cette mauvaise voie et témoigné beaucoup de mépris pour cette députation, Hafs-Ibn-Homéid sortit avec ses compagnons et se dirigea vers Cairouan. Arrivé à Ouadi-l-Cassarîn, il leur adressa ces paroles : « Nous n'avons plus rien à espérer des hommes; mettons notre confiance en celui qui les a créés. » Ils se mirent alors à invoquer Dieu, en s'humiliant devant lui et en le suppliant d'empêcher Abou-l-Abbas-AbdAllah d'accomplir ses volontés et ses projets tyranniques à l'égard des musulmans. Ils entrèrent ensuite à Cairouan, et un furoncle qui se déclara sur l'oreille d'Abd-Allah causa sa mort, six jours après cette prière. Son corps en était devenu entièrement noir. Il mourut la nuit du jeudi au vendredi, le 6 du mois de Dou-'l-Hiddja de l'an 201 (juin 817), après un règne de cinq ans, un mois et quatorze jours.

§ XLI. - RÈGNE D'ABOU-MOHAMMED-ZÎADET-ALLAH, FILS d'Ibrahim,

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FILS D'EL-AGHLEB.

L'historien dit: Après la mort d'Abou-'l-Abbas-Abd-Allah, l'autorité passa entre les mains de son frere Ziadet-Allah, premier homme qui porta ce nom. C'est ainsi que le nom de Hibet-Allah fut porté pour la première fois par le fils d'IbrahîmIbn-el-Mehdi'. Dès son avènement, Zîadet-Allah témoigna peu de considération pour les milices; il sévit même contre elles et répandit leur sang à grands flots. Ces mesures rigoureuses eurent pour motif les préventions que lui avait inspirées leur révolte sous Emran-Ibn-Mokhaled. Son père Ibrahîm avait presque toujours fermé les yeux sur leurs désordres; il leur pardonnait même les attentats dont elles se rendaient coupables; mais Zîadet-Allah se conduisit tout autrement à leur égard, et ce fut surtout dans ses moments d'ivresse qu'il leur fit subir les traitements les plus cruels et qu'il répandit leur sang. Elles prirent,

1. Ibrahim-Ibn-el-Mehdi était frère de Haroun-er-Rechîd.

enfin, la résolution de s'insurger, et elles trouvèrent bientôt une occasion favorable pour l'accomplissement de leur projet : ZîadetAllah avait donné le commandement d'El-Casrein et les cantons voisins à Omar-Ibn-Moaouïa-el-Caïsi, l'un des ply braves membres de la milice, homme distingué par son rang et par sa naissance. Cet officier commença par occuper les environs d'ElCasrein et se mit alors en rebellion ouverte. Ziadet-Allah envoya contre lui un client de son père, nommé Abou-Haroun-Mouça, auquel il venait de confier le gouvernement de Cairouan. Mouça assiégea Omar pendant quelques jours, le contraignit de se rendre à discrétion et l'envoya avec ses deux fils, Habbab et Soknan, à Zîadet-Allah. Ce prince les fit enfermer dans la maison de son cousin Ghalboun et, le même jour, il les fit enfermer dans la prison d'état où ils furent mis à mort par son ordre. Mansour-Ibn-Nasr-et-Tonbodi, descendant de Doreid Ibnes-Simma 1 et gouverneur de Tripoli, apprit cette nouvelle avec la plus vive indignation et s'écria : « O enfants de Temîm ! si vous me soutenez, j'aurai pour appui une colonne inébranlable. » Le chef des espions 2 écrivit ces paroles à Zîadet-Allah qui destitua le gouverneur et le rappela. Mansour ne dut sa liberté qu'à l'intercession de Ghalboun qui lui portait un vif intérêt et qui parvint même à le raccommoder avec le prince. Mansour passa ensuite quelques jours à la cour de Zîadet-Allah et, ayant réussi à dissiper les justes préventions que ce souverain nourrissait contre lui, il obtint la permission d'aller à Tunis. Arrivé à Tonboda, château qu'il possédait dans la province d'El-Mohammedïa et auquel il devait son titre de Tonbodi, il s'y arrêta et ouvrit une correspondance avec les chefs de la milice. Leur rappelant les

1. Doreid-Ibn-es-Simma, célèbre poète arabe, fut tué à la bataille de Honain, en combattant contre Mahomet. (Voyez l'histoire de sa vie dans l'Essai de M. C. de Perceval.)

2. Le chef des espions, en arabe : Saheb-el-Khaber (le chef des nouvelles). Les Abbacides tenaient un de ces officiers dans tous leurs chefslieux d'arrondissement. El-Hariri, l'auteur des célèbres Macama, remplit ces fonctions à Mechan. Voyez ma traduction d'Ibn-Khallikan, tome II, page 496.)

procédés de Ziadet-Allah à leur égard et sa conduite envers Omar-Ibn-Moaouïa, et les fils de ce chef, il leur inspira la crainte qu'eux-mêmes et leurs enfants subiraient bientôt un traitement semblable. Zîadet-Allah eut connaissance de cette conspiration, et, pendant qu'il passait la milice en revue, selon son habitude, il fit appeler Mohammed-Ibn-Hamza et lui ordonna de partir pour Tunis à la tête de cinq cents des cavaliers armés qui venaient de défiler: « Arrêtez Mansour et les siens, lui dit-il, sans leur donner le temps de se reconnaître ; chargezles de chaînes et amenez-les à la capitale. » En arrivant à Tunis, Omar apprit que Mansour était dans son château de Tonboda. Cette nouvelle le décida à s'arrêter dans la maison de l'hospitalité d'où il envoya à cet officier une députation composée de Sedjra-Ibn-Eïça, cadi de Tunis, et de quarante des principaux personnages de la ville, pour l'exhorter à rentrer dans la voie de l'obéissance et à venir le trouver. Mansour leur répondit : « Je n'ai pas renoncé à l'obéissance; je ne complote point, et pour vous le prouver, je vais partir avec vous; mais restez aujourd'hui avec moi, afin que j'aie le temps d'apprêter pour nos hôtes à Tunis quelque chose de bon. Alors il envoya à Mohammed-IbnHamza des bœufs, des moutons, du fourrage et plusieurs charges de vin, accompagnant ce don d'une lettre par laquelle il annonçait son arrivée pour le lendemain. Ibn-Hamza, se fiant à cette parole, se mit à manger et à boire avec ses compagnons. Le soir venu, Mansour fit emprisonner dans le château le cadi et ceux qui l'accompagnaient; puis, rassemblant ses cavaliers et ses fantassins, il partit pour Tunis, et ce ne fut qu'au bruit de ses tambours que les personnes logées dans la maison de l'hospitalité apprirent son arrivée. Omar et ses compagnons coururent aux armes, mais tout étourdis des effets du vin, ils furent accablés et massacrés par les troupes d'El-Mansour. Quelques-uns d'entre eux se jetèrent à la mer et se sauvèrent à la nage. Le lendemain, Mansour se vit entouré de toutes les milices, et voulant

1. La maison de l'hospitalité (dar-ed-dïafa) est une espèce de caravansérail où certains voyageurs sont hébergés aux frais du gouverneur de la ville.

profiter de son succès, il fit mettre à mort le gouverneur de la ville, Ismail-Ibn-Sofyan-Ibn-Salem, et le fils de celui-ci 1. Quand Ziadet-Allah apprit le massacre de ses gens et le triste sort qu'avait éprouvé son cousin, le gouverneur, il choisit les plus braves de la milice et les envoya, sous les ordres de Ghalboun, contre les révoltés. Lui-même étant monté à cheval, les accompagna à quelque distance, et leur dit en les quittant : « Prenez garde à vous et conduisez-vous bien; car je fais serment que si un seul d'entre vous revient en fuyard, il trouvera ici la mort. »>> Ces paroles indisposèrent tellement les miliciens qu'ils voulaient se porter à des voies de fait contre Ghalboun, mais Djâfer-IbnMâbed s'y opposa en leur représentant que les torts de ZîadetAllah à leur égard ne devaient pas les engager à trahir Ghalboun, leur bienfaiteur et leur libérateur, celui enfin qui avait intercédé pour leurs chefs auprès de ce prince. Sur ces observations, ils renoncèrent à leur projet.

Lorsque cette troupe fut arrivée à la sibkha de Tunis, les officiers qui commandaient sous Ghalboun écrivirent à El-Mansour et aux siens pour les informer qu'ils étaient dans l'intention d'abandonner leur chef à la première rencontre, et de prendre la fuite. Quand les deux partis se trouvèrent en présence, Mansour chargea à la tête de ses troupes, et toute l'armée de Ghalboun s'enfuit devant elle. Après cette déroute, [les officiers] se rendirent auprès de Ghalboun, et lui firent des excuses, jurant qu'ils n'avaient jamais cessé d'être dévoués au prince, et qu'ils avaient employé tous leurs efforts [pour retenir leurs soldats sous les drapeaux]. «Mais, disaient ils, nous sommes maintenant inquiets pour notre sûreté personnelle, et nous ne nous rendrons pas auprès de Zîadet-Allah avant d'avoir reçu l'assurance que nous n'aurons rien à craindre de lui. » A la suite de cette déclaration, ils quittèrent leur chef, et chacun d'eux s'en alla de son côté et prit possession de quelque coin de la province; ce qui mit en combustion toute l'Ifrîkia. Le reste de la milice se mit aux ordres de Mansour-et-Tonbodi. Ziadet-Allah, auprès duquel

1. Ibn-el-Abbar nous apprend que la révolte de Mansour eut lieu dans le mois de Safer 209 (juin 824 de J.-C.).

Ghalboun était accouru pour l'instruire de ce qui venait de se passer, expédia des lettres de grâce aux miliciens et à leurs chefs; tentative inutile : aucun d'eux ne voulut les recevoir, et tous se réunirent de nouveau, plus insoumis que jamais. Mansour les plaça sous les ordres d'Amer-Ibn-Nafê et les envoya contre Zîadet-Allah, qui, de son côté, mit en campagne un corps considérable de troupes, composé en grande partie de ses clients et de ses affranchis et commandé par Mohammed-Ibn-Abd-AllahIbn-el-Aghleb. Il en résulta un conflit dans lequel l'armée de Mohammed-Ibn-Abd-Allah fut mise en pleine déroute et perdit ses principaux chefs. Parmi les morts on compta Mohammed, fils de Ghalboun, Mohammed, fils de Hamza-er-Razi, et AbdAllah-Ibn-el-Aghleb. Toute l'infanterie de Ziadet-Allah fut exterminée, et le reste de ses troupes fut poursuivi et sabré par la milice. Cet événement obligea Ziadet-Allah de marcher en personne contre les rebelles. Il choisit une position entre El-Fostat et El-Casr 1, qu'il fortifia par un retranchement [pour lui servir de lieu de retraite], et ensuite il eut plusieurs rencontres avec l'ennemi. Pendant quelque temps, les succès se balancèrent des deux côtés, mais, à la fin, Mansour et les siens furent mis en déroute et obligés de se réfugier à Tunis.

Lors de ces événements, le peuple de Cairouan avait prêté des secours à Mansour; aussi, les compagnons de Ziadet-Allah lui conseillèrent de détruire la ville de fond en comble, et d'en exterminer les habitants. A cette proposition il répondit qu'il avait fait vœu de leur pardonner, s'il remportait la victoire. Toutefois, il fit abattre les murailles et les portes de la ville.

L'historien dit: Mansour, étant parvenu à rallier ses partisans, se trouva de nouveau dans une position prospère 2; et de toute l'Ifrîkïa il ne resta à Zîadet-Allah que les pays maritimes et la

1. El-Fostat signifie la tente, et El-Casr, le château. Ce dernier est sans doute le même que la forteresse båtie par Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb. El-Fostat était probablement un camp retranché sous les murs de Cai

rouan.

2. Mansour, devenu ainsi maître de presque tout le royaume de ZîadetAllah, fit frapper des monnaies en son propre nom. (Baian.)

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