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S'étant donc assemblés pour se concerter, ils prirent pour chef Abd-Allah-Ibn-el-Djaroud, surnommé Abdaweih, et lui prêtèrent serment de fidélité, après lui avoir donné toutes les sûretés qu'il demandait.

El-Mogheira, dont ils allèrent ensuite cerner la maison, leur fit demander ce qu'ils voulaient. Ils répondirent : « Il faut que tu partes d'ici, toi et les tiens, pour aller rejoindre ton maître. » Ibn-el-Djaroud écrivit en même temps au gouverneur de la province une lettre conçue en ces termes : « A l'émir El-Fadl, de la part d'Abd-Allah-Ibn-el-Djaroud. Ce n'est point par esprit de révolte que nous avons chassé El-Mogheira, mais seulement à cause de certains de ses actes qui auraient amené la ruine de l'État. Mettez donc à notre tête celui qu'il vous plaira, ou bien nous y aviserons nous-mêmes, et alors vous n'aurez plus de droits à notre obéissance. Adieu. » El-Fadl lui répondit en ces termes : « De la part d'El-Fadl, fils de Rouh, à Abd-Allah-Ibn-el-Djaroud. Le Dieu tout puissant exécute tout ce que sa volonté a décidé, et ce que les hommes veulent ou ne veulent pas lui est indifférent. Ainsi, que vous ayez un gouverneur de mon choix ou du vôtre, la volonté de Dieu ne s'en accomplira pas moins à votre égard. Je vous donne maintenant un autre gouverneur; si vous le repoussez, ce sera de votre part une marque de rebellion. Adieu. » En même temps il envoya à Tunis, en qualité de gouverneur, [son cousin Abd-Allah-Ibn-Yezid-el-Mohellebi, accompagné d'En-Noder - Ibn-Hafs, d'Abou-l-Anber, et d'El-DjoneidIbn-Séïar. Lorsqu'ils furent arrivés aux environs de la ville, les partisans d'Ibn-el-Djaroud lui conseillèrent de les faire tous arrêter et enfermer, et [sans attendre sa réponse] ils se jetèrent sur eux et les firent prisonniers, à l'exception d'Ibn-Yezîd auquel ils ôtèrent la vie. Ibn-el-Djaroud ayant appris cet événement, leur dit : « Ce n'était pas pour cela que je vous avais envoyés à leur rencontre; mais puisque c'est un fait accompli, je vous demande ce qu'il faut faire. » Ils furent tous d'avis de répudier l'autorité légitime, et, dès ce moment, ils se livrèrent aux intrigues [afin de corrompre les troupes restées fidèles]. Mohammed-Ibnel-Farci, le moteur principal des troubles, prit la direction des

affaires d'Ibn-el-Djaroud, et voulant séduire les commandants [des troupes et des villes], il leur écrivit à tous, promettant à chacun d'eux en particulier de lui conférer le commandement en chef. Ces sourdes menées compromirent la situation d'El-Fadl et amenèrent des événements qu'il serait trop long de raconter. Un. combat s'ensuivit qui eut pour résultat d'ouvrir à Ibn-el-Djaroud et à ses partisans la route de Cairouan. Cette ville succomba et El-Fadl dut prendre la fuite. Bientôt après, cet officier tomba au pouvoir d'Ibn-el-Djaroud. Celui-ci voulait le retenir prisonnier, mais ses partisans lui firent observer que la guerre n'aurait pas de terme, tant qu'El-Fadl vivrait. Ce fut en vain que MohammedIbn-el-Farci essaya, par ses conseils, de sauver la vie du prisonnier; les autres révoltés se jetèrent sur le malheureux Fadl et le tuèrent1. Ensuite Ibn-el-Djaroud expulsa de l'Ifrîkïa Nasr, fils de Habib, et El-Mohelleb, Khaled et Abd-Allah, tous trois fils de Yezid.

§ XXXV.

SUITE DE L'HISTOIRE D'IBN-EL-DJAROUD.

L'historien dit : Après la mort d'El-Fadl et la prise de Cairouan par Ibn-el-Djaroud, Chemdoun, le général commandant de Laribus, en fut tellement indigné qu'il prit les armes. FelahIbn-Abd-er-Rahman-el-Kilaï, officier du même rang, se joignit à lui, ainsi qu'El-Mogheira et plusieurs autres chefs. Bientôt après, Abou-Abd-Allah-Mélek-Ibn-Monder-el-Kelbi,gouverneurde Mila, arriva de cette ville avec un corps de troupes pour les soutenir. Ils mirent alors Ibn-Monder à leur tête, et, beaucoup de monde s'étant réuni à eux, ils allèrent livrer bataille à Ibn-el-Djaroud. Ibn-Monder périt dans cette rencontre, et ses partisans furent mis en déroute et poursuivis jusqu'à Laribus. Chemdoun écrivit alors à El-Ala-Ibn-Said, qui se trouvait dans la provinee du Zab, l'invitant à venir le rejoindre. Celui-ci vint à Laribus, et de là il se dirigea sur Cairouan avec El-Mogheira, Chemdoun, Felah et

1. El-Fadl fut tué en l'an 178 (794-5), après avoir gouverné un an et cinq mois. Les Mohellebides, famille dont il faisait partie, avaient successivement commandé en Ifrikïa pendant vingt-trois ans. - (Baïan.)

les autres chefs; mais, pendant qu'il marchait sur cette ville, il rencontra Ibn-el-Djaroud, qui en était sorti pour aller au-devant de Yahya-Ibn-Mouça, lieutenant de Herthema-Ibn-Aïen.

Voici ce qui motiva l'arrivée de ce dernier en Ifrîkïa:lekhalife Er-Rechîd, ayant appris la révolte d'Ibn-el-Djaroud et le bouleversement que cet événement avait produit dans la province, y envoya Yactîn-Ibn-Mouça pour rétablir l'ordre. Il avait choisi ce général d'abord à cause des éminents services qu'il avait rendus à la cause des Abbacides, et du haut rang qu'il occupait sous cette dynastie; ensuite en raison de son grand âge et de la haute estime dont il était l'objet parmi les troupes de Khoraçan 1. Après lui avoir recommandé d'user d'adresse pour déterminer Ibn-elDjaroud à quitter le pays, ille congédia en le faisant accompagner par El-Mohelleb-Ibn-Rafê, et ensuite il envoya après lui MansourIbn-Ziadet Herthema-Ibn-Aïen. Ce dernier devait même prendre le gouvernement du Maghreb, mais il s'arrêta à Barca. Quant à Yactîn, il se rendit à Cairouan, où il eut une longue entrevue avec Ibn-el-Djaroud, auquel il communiqua les lettres du khalife. Après en avoir pris connaissance, Ibn-el-Djaroud parla ainsi : « Je suis entièrement soumis à la volonté du Commandant des croyants; ce papier m'informe qu'il a nommé Herthema-IbnAïen gouverneur de la province; il est maintenant à Barca, et il va bientôt arriver. [Je dois cependant vous faire observer] qu'ElAlâ est à la tête des Berbères et que, si je quitte la forteresse [de Cairouan], ils en prendront possession et finiront par òter la vie à celui qui les commande aujourd'hui. Alors jamais aucun officier du khalife n'y mettra le pied; de sorte que je me trouverai, moi, avoir frappé la ville de la plus grande calamité qui puisse l'atteindre. Je vous offre donc d'aller à la rencontre d'El-Alâ, et si je succombe, la forterresse vous restera; si, au contraire, je gagne la bataille, j'attendrai l'arrivée de Herthema, et je me rendrai ensuite auprès du Commandant des croyants.» Alors Yactin [désespérant de l'amener à un arrangement] eut

1. On a déjà vu que les khalifes abbacides avaient fait passer en Afrique une grande quantité de troupes arabes, tirées de la province de Khoraçan.

une entrevue avec Mohammed-Ibn-Yezîd-el-Farci, partisan d'Ibn-el-Djaroud, et lui promit un poste éminent, le commandement de mille cavaliers, un riche présent et un apanage1 dans tel lieu qu'il voudrait, à la condition d'entraver les entreprises de son chef. Mohammed accepta cette proposition, et se mit, surle-champ, à indisposer les esprits contre Ibn-el-Djaroud et à engager les troupes à se mettre sous l'autorité du khalife. Une partie d'entre elles céda, en effet, à ses exhortations, et abandonna son chef. Celui-ci marcha contre elles pour les combattre, et lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, il dit à son adversaire : «< Venez me parler, et soyons seuls, afin que personne ne nous entende. » Mohammed-Ibn-Yezîd s'avança et pendant qu'Ibn-el-Djaroud s'entretenait avec lui pour détourner son attention, un nommé Abou-Taleb, qui avait été aposté par Ibn-el-Djaroud, sejeta sur lui et lui porta, par derrière, un coup mortel dans les reins, au moment où il s'y attendait le moins. Saisis de terreur, ses partisans prirent la fuite.

Yahya-Ibn-Mouça, étant arrivé à Tripoli sur ces entrefaites, présida à la prière de la Fête des victimes, et prononça le prône. Il vit alors un grand nombre de chefs se ranger sous son autorité et sa puissance s'affermir rapidement. El-Alâ se porta sur Cairouan, et Ibn-el-Djaroud, ne pouvant lui résister, écrivit à Yahya de venir prendre possession de la ville. rl lui annonça en même temps qu'il était disposé à faire sa soumission. Yahya partit de Tripoli avec ses troupes, en Moharrem 179 (mars-avril 795), pour se rendre à Cairouan dont presque tous les miliciens s'étaient ralliés sous ses drapeaux lorsqu'il fut arrivé à Cabes. Ibn-elDjaroud, après avoir gouverné Cairouan pendant sept mois, en sortit au commencement du mois de Safer, y laissant pour commandant Abd-el-Mélek-Ibn-Abbas. En même temps, El-Alâ-IbnSaîdet Yahya-Ibn-Mouça marchèrent sur cette ville, chacun d'eux voulant y devancer l'autre. El-Alâ y étant entré le premier, massacra un grand nombre des partisans d'Ibn-el-Djaroud, mais

1. Le mot arabe employé ici est catiya, l'équivalent d'ictâ. (Voyez ci-devant, p. 117, note).

Yahya lui fit dire que, s'il reconnaissait l'autorité du khalife, il devait congédier ses troupes. En conséquence de cette observation, El-Alâ renvoya ses soldats et partit pour Tripoli à la tête de trois cents de ses partisans les plus dévoués. Ibn-el-Djaroud, qui venait d'arriver en cette ville, se mit en route pour l'Orient, accompagné de Yactîn-Ibn-Mouça et alla se présenter devant Haroun-er-Rechid.

L'historien ajoute qu'El-Alâ écrivit à Mansour [-Ibn-Ziad}età Herthema pour s'attribuer l'honneur d'avoir expulsé de l'Ifrikïa Ibn-el-Djaroud. Herthema, dans sa réponse, l'invita à se rendre auprès de lui, et il lui donna alors une forte gratification. Haroun, ayant entendu parler de ses services, lui envoya une lettre de crédit de cent mille dirhems', et cela indépendamment des robes d'honneur dont on lui avait fait cadeau. Il mourut en Egypte, peu de temps après.

§ XXXVI.

GOUVERNEMENT DE HERTHEMA, FILS D'AÏEN.

Au commencement du mois de Rebià second 179 (juin 795), dit l'historien, Herthema arriva à Cairouan où il proclama une amnistie générale, et il traita le peuple avec une extrême douceur. Il bâtit, en l'année 180, le Grand Château (El-Casr-el-Kebîr) à Monestir; il éleva aussi la muraille de Tripoli du côté de la mer. Comme la province continuait toujours à être travaillée par l'esprit de faction et d'insubordination, il écrivit à Er-Rechid pour lui demander un successeur, et ayant reçu son rappel, il partit pour l'Orient dans le mois de Ramadan 181 (novembre 797).

§ XXXVII. GOUVERNEMENT DE MOHAMMED, FILS DE MOCATEL, FILS DE HAKIM, DE LA TRIBU D'AKK 2.

Lorsque Herthema eut sollicité son rappel, dit l'historien, le khalife Haroun choisit pour gouverner le Maghreb son frère de lait, Mohammed-Ibn-Mocatel. Ce fonctionnaire arriva à Cairouan

1. Cent mille dirhems valaient soixante mille francs.

2. La tribu d'Akk appartenait à la grande famille des arabes yéménites.

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