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près de Cabes, mais il fut battu et obligé de repartir sur Cairouan où son adversaire vint le bloquer. Pendant que le feu de la guerre se propageait par toute l'Ifrikïa, Omar se tenait à Tobna, où bientôt douze armées de Berbères arrivèrent de différents côtés pour l'assiéger. Abou-Corra, le chef sofrite, y vint à la tête de quarante mille cavaliers; Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem l'eibadite, avec quinze mille; Abou-Hatem, autre chef eibadite, à la tête d'un nombre considérable; Acem-es-Sedrati l'eibadite vint avec six mille cavaliers; El-Misouer, chef eibadite et membre de la tribu de Zenata, y arriva avec dix mille; Abd-el-Mélek Ibn-Sekerdîd', le sofrite, de la tribu de Sanhadja, y arriva aussi avec deux mille cavaliers, suivis d'un grand nombre d'autres. Omar n'avait à leur opposer qu'un corps de cinq mille cinq cents hommes. A la vue du danger qui le menaçait, il assembla ses officiers en conseil et leur demanda s'il fallait sortir à la rencontre de l'ennemi. Ils lui répondirent tous qu'il ferait mieux de se tenir dans la ville. Alors il eut recours à l'intrigue dans l'espoir de pouvoir détacher les sofrites de la coalition, et il leur envoya un miknacien, nommé Ismaîl-Ibn-Yacoub, auquel il avait remis quarante mille dirhems (pièces d'argent) et un grand nombre de robes d'honneur, avec ordre de les offrir à AbouCorra pour le déterminer à quitter ses alliés. A la vue de ce présent, Abou-Corra s'écria: «< Pensez-vous que moi qui suis honoré du titre d'imam [chef spirituel et temporel] depuis quarante ans, je puisse sacrifier à un misérable intérêt matériel, dont on ne retire aucun avantage, le devoir sacré qui m'est imposé de vous faire la guerre ?» Frustré dans sa tentative, l'envoyé se rendit auprès du fils d'Abou-Corra, ou, d'après une autre version, auprès de son frère, auquel il donna quatre mille dirhems et plusieurs robes, à condition qu'il engagerait son père à se retirer, et qu'il amènerait les sofrites à retourner dans leur pays. Cette même nuit le fils d'Abou-Corra prit si bien ses mesures, que le lendemain son père vit partir l'armée qu'il commandait et se trouva dans la nécessité de la suivre. I'mmédiatement après la

1. Variante: Sekrouïd.

retraite des sofrites, Omar envoya quinze cents hommes sous le commandement de Mâmer-Ibn-Eïça de la tribu de Sâd, pour combattre Ibn-Rostem qui se trouvait à Tehouda avec quinze mille cavaliers. Ibn-Rostem essuya une défaite et prit la route de Tèhert. Omar confia alors le commandement de Tobna à ElMohenna-bn-el-Mokharec-Ibn-Ghifar, de la tribu de Taï, et se mit en marche afin de dégager Cairouan. Abou-Corra, ayant appris le départ d'Omar, rassembla ses troupes, et alla bloquer El-Mohenna dans Tobna; mais celui-ci fit une sortie, le culbuta et pilla son camp.

Il y avait déjà huit mois qu'Abou-Hate massiégeait Cairouan; aussi le trésor de cette ville et même les magasins de vivres se trouvaient totalement épuisés. Pendant tout ce temps la garnison était obligée de combattre les Berbères chaque jour, du matin au soir; et, pressée par la faim, elle avait fini par manger tous ses chevaux et même ses chiens. Dans cette extrémité, les habitants commencèrent à quitter la ville pour se réfugier dans le camp ennemi. Omar ayant su cet état de choses, partit pour Cairouan à la tête de sept cents hommes de la milice. Lorsqu'il fut arrivé à Laribus, les Berbères levèrent le siège et avançèrent tous à sa rencontre. Informé de leur approche, Omar se porta rapidement aux environs de Tunis, et quand l'ennemi fut venu prendre position à Semindja, il se rendit à Bîr-es-Selama où il effectua sa jonction avec [son frère utérin] Djemîl-Ibn-Sakhr, qui arrivait de Cairouan. De Bir-es-Selama il se dirigea sur Cairouan, et arrivé dans cette ville, il ordonna à sa cavalerie de parcourir les environs de la place et lui rapporter des approvisionnements en vivres, en bois et autres choses nécessaires. Il fit ainsi des dispositions pour soutenir un siège, et il forma un camp retranché à la porte d'Abou-'r-Rebiâ dans lequel il établit ses milices. Bientôt Abou-Hatem y parut à la tête de cent trente mille hommes. Omar lui livra bataille, mais, après un combat opiniàtre, il fut obligé de rentrer au camp où il soutint encore un assaut; et accablé enfin par le nombre, il fut contraint de se jeter dans les retranchements de la porte d'Abou-'r-Rebià. Tous les jours il sortit pour combattre l'ennemi, jusqu'à ce qu'il vit la

position devenir très critique et le moral de ses troupes fléchir par suite de l'épuisement total des vivres. Depuis quelque temps, elles ne se nourrissaient que de leurs bêtes de somme et des chats. Dans cette extrémité, il leur adressa ces paroles : « Vous éprouviez de grandes souffrances à l'époque où Dieu vous délivra, par mon entreprise, d'une partie de vos malheurs. Vous voyez maintenant la position où vous êtes; choisissez donc pour vous commander, soit Djemil, soit El-Mokharec, et alors je ferai · une incursion avec un corps des milices, dans le pays d'où nos ennemis sont sortis, afin d'enlever leurs familles et de vous apporter des vivres. >>

pour nous

Cette proposition fut accueillie d'une voix unanime. Cairouan se trouvait alors entouré par trois cent cinquante mille eibadites dont trente-cinq mille cavaliers, les uns et les autres sous le commandement d'Abou-Hatem. Quand Omar voulut sortir de la ville, une grande agitation se manifesta parmi les siens : « Tu veux sortir, lui disaient-ils, et nous laisser ici au milieu des fatigues d'un siège; ne sors pas ! reste avec nous ! » — « Oui, réponditil, je resterai, mais je ferai partir Djemîl et El-Mokharec à la tête des hommes que vous aurez désignés. >> Ils donnèrent leur consentement à cette proposition, mais au moment où ce détachement allait quitter la ville, ceux qui le composaient lui dirent : « Tu veux rester tranquille et nous faire sortir exposer au danger. Non, par Dieu! nous ne bougerons pas. » — << Soit! leur dit-il, outré de colère; mais, par Dieu ! je vous enverrai à l'abreuvoir de la mort. » Le siège durait encore quand il reçut une lettre de sa femme Kholeida, fille d'El-Moârek, qui l'informait que le Commandant des croyants, mécontent de sa lenteur, allait envoyer en Ifrikïa une armée de soixante mille hommes, sous les ordres de Yezid-Ibn-Hatem, et qu'en pareille conjoncture, il ne lui restait plus qu'à mourir. « Il demanda à me voir, dit Khirach-Ibn-Eidjlan, et en arrivant, je le trouvai le front inondé de sueur, ce qui manifestait, chez lui, une extrême colère. Pendant que je lisais la lettre de sa femme, je versais des larmes. « Q'avez-vous donc ? » me dit-il. - « Et vous-même ? quel mal y a-t-il à ce qu'un membre de votre famille vienne vous remplacer

et vous donner du repos ? » — « Oui, reprit-il, mais ce sera un repos qui se prolongera jusqu'au jour de la résurrection! Ecoute mes dernières volontés. »— Ilme les dicta, et sortant alors comme un chameau enragé, il se précipita sur les assiégeants et ne cessa de frapper à coups de lance et à coups d'épée jusqu'à ce qu'eníîn il eût reçut lui-même un coup mortel. » Cet événement eut lieu le dimanche 15 du mois de Dou-'l-Hiddja de l'an 154 (novembre 771).

A sa mort, Djemil-Ibn-Sakhr, son frère utérin et son successeur, continua la résistance; mais il proposa enfin à AbouHatem de rendre la ville aux conditions suivantes : Qu'AbouHatem n'exigerait pas des assiégés de renoncer à l'autorité de leur souverain, ni de déposer le vêtement noir la livrée des Abbacides]; que les Berbères ne se vengeraient pas sur eux du sang déjà répandu ; qu'enfin aucun soldat de la milice ne serait forcé de se défaire de ses armes ni de sa monture. Ces conditions ayant été acceptées, Djemîl livra la place aux rebelles, et, en même temps, la plus grande partie de la milice prit le chemin de Tobna. Abou-Halem mit le feu aux portes de la ville et démantela les murailles; puis, à la nouvelle de l'approche de YezîdIbn-Hatem, il partit pour Tripoli, laissant à Abd-el-Azîz-Ibnes-Samh-el-Mâferi le commandement de Cairouan. Ensuite il envoya à cet officier l'ordre de désarmer les soldats de la milice, de les empêcher de se réunir, même deux à deux, et de les lui envoyer les uns après les autres. Ces guerriers, encouragés maintenant par l'approche de Yezîd-Ibn-Hatem, se rassemblèrent tous et prirent l'engagement solennel de ne pas se soumettre à un pareil ordre. Ils allèrent ensuite trouver Omar. Ibn-Othman-el-Fihri, et, l'ayant mis à leur tête, ils attaquèrent les partisans d'Abou-Hatem et les taillèrent en pièces. AbouHatem partit aussitôt de Tripoli pour châtier ces Arabes. Après avoir soutenu un combat dans lequel un grand nombre de Berbères perdirent la vie, Omar, à la tête de ses compagnons, se dirigea vers Tunis, pendant que Djemil-Ibn-Sakhr et El-Djoneid-Ibn-Séïar prirent le chemin de l'Orient. Abou-Hatem se mit à la poursuite de son adversaire, en se faisant précéder

d'une avant-garde sous les ordres de Djerîr-Ibn-Masoud de la tribu berbère de Medîouna. Celui-ci atteignit Omar à Djîdjel, dans le pays des Ketama. Un combat eut lieu; Djerîr et ses partisans y périrent, et Omar entra à Tunis, accompagné d'ElMokharec. Abou-Hatem se rendit à Tripoli, où il resta jusqu'à ce qu'on lui annonça l'approche de Yezîd-Ibn-Hatem. Pendant ce temps, Djemîl-Ibn-Sakhr avait opéré sa jonction avec Yezîd, qu'il trouva à Sort et qui y resta encore quelque temps avant de marcher à la rencontre d'Abou-Hatem.

On rapporte qu'à partir du moment où ils se révoltèrent contre Omar-Ibn-Hafs jusqu'à leur déroute complète, les Berbères livrèrent aux troupes de la milice trois cent soixante-cinq combats.

§ XXX.

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GOUVERNEMENT DE YEZÎD, FILS DE HATEM, FILS DE CABÎÇA, FILS D'EL-MOHELLEB, FILS D'ABOU-SOFRA.

L'historien dit: El-Mansour connaissait déjà la triste position d'Omar-Ibn-Hafs, quand il apprit, avec une profonde douleur, la nouvelle de sa mort. Sans perdre un instant, il ordonna à Yezîd-Ibn-Hatem de partir pour l'Ifrîkïa à la tête de trente mille hommes des troupes de Khorasan et de soixante mille de celles de Basra, de Koufa et de la Syrie. Arrivé à Sort, Yezîd effectua sa jonction avec Djemîl-Ibn-Sakhr qui venait de rallier autour de lui une partie des miliciens qui s'étaient éloignés de Cairouan. Pendant qu'il marchait sur Tripoli, Abou-Hatem l'eibadite se dirigea vers les montagnes de Nefousa, mais il rencontra, sur sa route, l'avant-garde de Yezîd, commandée par Salem-IbnSouada de la tribu de Temîm. Par une vigoureuse attaque il obligea ce corps à se replier sur le reste de l'armée ; mais, intimidé ensuite par les forces de son adversaire, il alla prendre position dans un lieu presque inabordable et s'y fortifia. Yezîd, étant arrivé, força les retranchements, tailla en pièces la plupart des insurgés et mit le reste en pleine déroute. AbouHatem y perdit la vie. La cavalerie de Yezîd s'élança à la poursuite des fuyards et les extermina presque tous. Trente mille

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