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Cafsa, Castîlïa et Nefzaoua, et El-Yas obtint pour lui-même le reste de l'Ifrîkïa et du Maghreb, Alors Habib s'en retourna à Cairouan et El-Yas accompagna Emra à Tunis, où il le fit arrêter bientôt après, ainsi qu'Omer-Ibn-Nafê, fils d'Abou-Obeida-elFihri, El-Asoued-Ibn-Mouça-Ibn-Abd-er-Rahman-Ibn-Ocba et Ali-Ibn-Caten. Les ayant fait jeter tous dans les fers, il les embarqua pour l'Espagne, afin de les livrer à Youçof-Ibn-Abd-erRahman-Ibn-Ocba [le gouverneur de ce pays]. Rentré à Cairouan, il apprit des choses sur la conduite de Habib qui lui inspirèrent de vives appréhensions 1. Cette découverte le porta à faire naître la désaffection parmi les sujets de son neveu, et il envoya aussi un agent auprès de lui pour l'engager à se rendre en Espagne. Habib accueillit cette proposition et s'embarqua sur un navire fourni par El-Yas; mais un vent contraire le força de rentrer au port. De là il lui écrivit que le mauvais temps l'avait mis dans l'impossibilité de partir. El-Yas craignant toujours le voisinage de son neveu, fit prévenir Soleiman-IbnZiad-er-Roaïni, gouverneur de l'endroit, de se tenir sur ses gardes; mais déjà les anciensc lients d'Abd-er-Rahman s'étaient ralliés à son fils: ils ne tardèrent pas de garrotter Soleiman, d'enlever Habib, de le conduire dans le pays ouvert et de le reconnaître pour leur chef. Aussitôt après, ils marchèrent sur la ville de Laribus dont ils prirent possession. El-Yas ayant appris ce qui venait d'arriver, alla à la rencontre de son neveu. Lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, Habîb s'adressa à son oncle et lui dit : « Ne souffre pas que notre querelle devienne funeste à nos partisans et à nos serviteurs dévoués, car ce sont eux qui font notre force; avance plutôt toi-même, et qu'un combat singulier décide entre nous de cette manière, nous n'aurons plus rien à craindre l'un de l'autre ; si tu me tues, tu n'auras fait que m'envoyer rejoindre mon père; et si je te tue, j'aurai

1. Il y a ici une lacune de deux feuillets dans le n° 702, manuscrit dont Cardonne s'est servi pour faire sa mauvaise compilation intitulée Histoire de l'Afrique et de l'Espagne sous les Arabes. Cardonne n'avait ni assez de critique ní assez de connaissances dans l'arabe pour s'apercevoir de cette lacune.

vengé sa mort. » El-Yas hésita à accepter ce défi, mais une clameur générale s'éleva contre lui : « La proposition est très juste, s'écria-t-on; ne sois pas poltron! prends garde que ta lâcheté ne t'expose pas, ainsi que tes enfants, au mépris de tout le monde. » Il se décida donc à combattre, et les deux adversaires coururent l'un sur l'autre. D'un coup d'épée, El-Yas atteignit Habîb à travers ses habits et sa cotte-de-mailles ; Habîb riposta par un coup qui le renversa de son cheval, et sautant aussitôt à terre, il se jeta sur lui et lui coupa la tête. D'après ses ordres, ce trophée fut placé au bout d'une lance. Abd-el-Ouareth s'enfuit avec ses partisans, et chercha un refuge chez une tribu berbère nommée Ourfeddjouma. Habib entra à Cairouan, en faisant porter devant lui la tête de son oncle, celle de Mohammed fils d'Ocba-Ibn-Nafê, oncle de son père, et celle de Mohammed-Ibn-el-Mogheira-Ibn-Abd-er-Rahman, de la tribu de Coreich. A son arrivée il eut la visite de Mohammed-Ibn-AmerIbn-Mosab-el-Fezari, qui avait épousé la tante de son père [Abder-Rahman]; il était venu féliciter Habîb de son succès; mais celui ci lui fit couper la tête. Tous ces événements se passèrent dans le mois de Redjeb 138 (décembre-janvier 755-756).

L'historien dit: Abd-el-Ouareth arriva avec ses compagnons chez les Ourfeddjouma et reçut l'hospitalité d'Acem-IbnDjemîl, chef de cette tribu. Habîb somma Hacem, par écrit, de livrer ses hôtes, et, sur son refus, il se mit en marche pour l'y contraindre, après avoir confié le commandement de la ville [de Cairouan] au cadi Abou Koreib-Djemîl-Ibn-Koreib. Acem vint lui livrer bataille et le força de prendre la fuite. Par suite de cet événement, la puissance des Ourfeddjouma s'accrut au point que plusieurs des notables de Cairouan conçurent des craintes pour leur sûreté personnelle et entrèrent en correspondance avec eux. Acem et son frère Mokerrem s'avancèrent alors à la tête d'une armée composée de Berbères et de gens qui s'étaient ralliés à eux, et, arrivés dans le voisinage de Cabes, ils prirent la route de Cairouan. Abou-Koreib partit pour s'opposer à leur progrès. Quand les deux armées furent en présence, plusieurs habitants de Cairouan sortirent des rangs des Berbères et invitèrent

leurs compatriotes à passer du côté d'Acem. Aussitôt la majeure partie des troupes d'Abou-Koreib l'abandonna, et le mit ainsi dans la nécessité de rentrer dans la ville. Il y fit une vigoureuse résistance à l'aide d'environ mille combattants qui lui étaient restés fidèles, tous gens d'un rang élevé et qui se distinguaient par leur prudence et leur piété. Les Ourfeddjouma les attaquèrent avec vigueur; Abou-Koreib fut tué dans un assaut, et ses compagnons succombèrent tous, les armes à la main. Les Berbères pénétrèrent alors dans la ville où ils violèrent la sainteté des harems et se portèrent aux excès les plus horribles. Après cette victoire, Acem s'établit dans l'endroit qu'on appelle le Mosalla de Rouh1, et ayant confié le gouvernement de Cairouan à Abd-el-Mélek-Abi-Ibn-Djâda de la tribu de Nefzaoua, il alla à Cabes pour combattre Habîb. Celui-ci essuya une nouvelle défaite et fut contraint de se réfugier dans le Mont-Auras, où demeuraient les parents de sa grand'mère. Acem le poursuivit jusqu'à la montagne où il l'attaqua encore une fois; mais son armée fut mise en déroute et il perdit lui-même la vie ainsi que la plupart de ses compagnons. Habib marcha aussitôt sur Cairouan, et il trouva la mort en combattant Ibn-Abi-Djâda qui était sorti pour le repousser. Cet événement arriva dans le mois de Moharrem de l'an 140 (mai-juin 757). Ainsi s'éteignit la branche de la famille de Fihr établie dans le Maghreb.

Abd-er-Rahman-Ibn-Habîb gouverna dix ans et quelques mois; son frère El-Yas exerça l'autorité dix mois. Quant à Habîb, son règne ne fut que d'un an et six mois. Ce fut ainsi que Dieu accomplit la prière de son pieux serviteur, Handalael-Kelbi.

1. Le mosalla (moratoire) ets une grande place en plein air et située en dehors de la ville, où le peuple se réunit, en temps de sécheresse, pour demander à Dieu de lui envoyer de la pluie. On y célèbre aussi la prière des deux fêtes consacrées par la religion musulmane.

2. Fihr était l'ancêtre de a tribu de Coreich. A l'époque dont il s'agit ici, la haute noblesse de l'Afrique, c'est-à-dire les chefs arabes, se composait de Coreichides et d'autres descendants de Moder.

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L'historien dit : Les Ourfeddjouma, devenus maîtres de Cairouan, livrèrent aux plus cruelles tortures et à la mort tous les membres de la tribu de Coreich qui y étaient restés ; ils logèrent leurs montures dans la grande mosquée, et [par leur conduite abominable] ils firent éprouver à leurs alliés de vifs regrets d'avoir coopéré à leur succès.

Quelque temps après, ajoute l'historien, un eibadite, que ses affaires avaient appelé à Cairouan, vit quelques hommes de la tribu d'Ourfeddjouma faire, en public, violence à une femme. Frappé d'horreur à ce forfait, il oublia le motif qui l'avait amené là et s'en alla trouver Abou-'l-Khattab-Abd-el-lâ-Abn-esSamh-el-Mâferi, auquel il raconta le fait dont il venait d'être témoin. Abou-'l-Khattab s'élança aussitôt hors de la tente en invoquant Dieu : « Me voici, s'écria-t-il, prêt à te servir, ô mon Dieu! je réponds à ton appel!» Des amis lui étant arrivés de tous côtés, il marcha sur Tripoli et s'en empara après en avoir expulsé Omar-Ibn-Othman de la tribu de Coreich. De là, il se porta sur Cairouan, et ayant rencontré Abd-el-Mélek-Ibn-AbiDjâda qui venait avec un corps des Ourfeddjouma pour s'opposer à ses progrès, il lui livra bataille, le tua ainsi qu'un grand nombre de ses partisans, extermina les fuyards et prit possession de Cairouan. Ceci eut lieu dans le mois de Safer de l'an 141 (juin-juillet 758). Les Ourfeddjouma étaient restés maîtres de cette ville pendant quatre mois. près avoir confié le commandement de Cairouan au cadi Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem, Abou'l-Khattab se rendit à Tripoli et établit son autorité dans toute l'Ifrîkïa. Les choses demeurèrent en cet état jusqu'à l'an 144. Alors [le khalife] Abou-Djâfer-el-Mansour fit partir Mohammed, fils d'El-Achâth, de la tribu de Khozâa, pour prendre le gouvernement du pays. Abou-'l-Khattab et ses partisans étaient kharedjites; ils suivaient, les uns la doctrine des sofrites, et les autres celle des eibadites.

§ XXVII. GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-IBN-EL-ACHÂTH

EL-KHOZAÏ.

L'historien dit: Après la destruction des Ourfeddjouma par les sofrites, plusieurs [notables arabes partirent pour l'Orient et se] rendirent auprès d'Abou-Djâfer-el-Mansour, dont ils espéraient obtenir des secours contre les Berbères. Dans cette députation se trouvaient Abd-er-Rahman-Ibn-Zîad-Ibn-Anâm, [grand cadi de l'Ifrîkïa,] Nafê-Ibn-Abd-er-Rahman-es-Sélémi, Abou-'l-Behloul-Ibn-Obeida et Abou-l-Eirbad. Touché du récit des malheurs qu'ils avaient éprouvés, le khalife nomma Mohammed-Ibn-el-Achâth gouverneur de l'Egypte, et celui-ci envoya en Ifrîkïa Abou-'l-Ahouès-Amr-Ibn-el-Ahouès de la tribu d'Idjl. Ce général fut battu par Abou-'l-Khattab, en l'an 142, et Ibn-el-Achâth reçut alors d'El-Mansour un corps de troupes et l'ordre écrit de les conduire en Ifrîkïa. Il se mit done en marche avec quarante mille cavaliers, dont trente mille Khoraçanites et dix mille Syriens 1. El-Mansour le fit accompagner par ElAghleb-Ibn-Salem de la tribu de Temîm2, El-Mohareb-IbnHilal-el-Farsi [de la province de Fars] et El-Moharec-IbnGhifar de la tribu de Taï. Il enjoignit aux troupes d'obéir en toutes choses à Ibn-el-Achàth; puis, si quelque malheur arrivait à ce chef, elles devaient reconnaitre El-Aghleb pour général; si elles perdaient celui-ci, elles auraient à se mettre sous le commandement d'El Moharec, et, à son défaut, elles prendraient les ordres d'El-Mohareb. Ce dernier mourut avant leur arrivée en Ifrikïa. A la nouvelle de l'approche d'Ibn-el-Achâth, Abou-`lKhattab rassembla ses partisans et sortit contre lui à la tête d'une grande multitude de combattants. Arrivé à Sort, il envoya chercher à Cairouan le corps de troupes qu'Abd-er-Rahman-Ibn

1. Par Khoraçanites et Syriens l'historien entend les Arabes tirés des colonies militaires établies en Khoragan et en Syrie.

2. Voici le premier Aghlebide qui arrive en Afrique. La généalogie de cette famille se trouve dans Ibn-Khallikan, vol 11, page 265 de ma traduction de cet ouvrage biographique.

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