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soulevèrent contre lui, en l'an 122 (740). Ce fut la première fois que, dans l'Ifrîkïa, des troubles éclatèrent au sein de l'islamisme. Meicera-el-Madghari se mit en révolte et tua Omarel-Moradi.

Alors parurent en Ifrîkïa des gens qui professaient les doctrines des kharedjites et dont le nombre ainsi que la puissance prirent de grands accroissements.

L'historien dit plus loin: Obeid-Allah choisit des troupes parmi les Arabes et les envoya contre Meicera. Il en confia le commandement à Khaled-Ibn-Abi-Habîb-el-Fihri, auquel il donna pour lieutenant Habib-Ibn-Abi-Obeida. Khaled vint livrer bataille à Meicera sous les murs de Tanger. Le combat fut soutenu avec un acharnement inouï; mais, à la fin, Meicera rentra dans la ville. Plus tard les Berbères éclatèrent en plaintes contre leur chef, et ceux même qui l'avaient proclamé khalife et qui lui avaient prêté serment de fidélité, secouèrent le joug de son autorité et le mirent à mort. Alors ils décernèrent le pouvoir suprême à Khaled-Ibn-Hamîd de la tribu de Zenata. Ibn-Abi-Habib, vint [une seconde fois] leur livrer bataille, mais, au plus fort de la mêlée, il fut attaqué par Khaled-Ibn-Hamîd, à la tête d'un [autre] corps d'armée. Les Arabes furent mis en déroute; mais Ibn-Abi-Obeida et quelques-uns de ses compagnons, trop fiers pour prendre la fuite, se précipitèrent dans les rangs ennemis et y trouvèrent la mort pas un seul n'échappa. Les Arabes les plus braves et leurs cavaliers les plus intrépides succombèrent dans cette rencontre qui fut nommée la bataille des nobles (Ouaçâ-t-el-Achraf).

Par suite de ce revers, la révolte se propagea dans tout le pays, et le désordre devint tellement grave que le peuple se réunit et déposa son gouverneur Obeid-Allah. En apprenant ce nouveau malheur, [le khalife] Hicham-Ibn-Abd-el-Mélek s'écria : << Quoi donc ? ces chefs arabes qui vinrent m'offrir leurs services, sont-ils morts?» — « Oui », répondirent ses serviteurs. — «< Par Allah! reprit-il, je me fâcherai contre ces rebelles de la colère

1. Voyez ci-devant, page 203, note 5.

d'un Arabe ! Je leur enverrai une armée telle qu'ils n'en virent jamais dans leur pays; la tête de la colonne sera chez eux pendant que la queue en sera encore chez moi. Je ne laisserai point de château berbère sans établir à côté un camp de guerriers de la tribu de Caïs ou de la tribu de Temîm. » Il envoya alors à ObeidAllah une lettre de rappel. Ce chef quitta l'Ifrîkïa dans le mois de Djomada premier de l'an 123 (avril 741)'.

Lors de son arrivée en ce pays, dit l'historien, Obeid-Allah avait remplacé Anbeça, gouverneur de l'Espagne, par Ocba-Ibnel-Haddjadj; mais, sur la nouvelle de la révolte des Berbères, les [musulmans] habitants de ce pays déposèrent Ocba et choisirent pour chef Abd-el-Mélek-Ibn-Catan-el-Fihri.

L'historien ajoute que Hicham-Ibn-Abd-el-Mélek nomma alors Kolthoum, fils d'Eïad, de la tribu de Cocheir, gouverneur de l'Ifrîkïa.

§ XXI.

GOUVERNEMENT DE

KOLTHOUM-IBN-EÏAD-EL-COCHEIRI 2.

Au mois de Ramadan 123 (juillet-août 741), Kolthoum, fils d'Eïad, arriva en Ifrîkïa. Il venait de recevoir le commandement de douze mille hommes de cavalerie, fournis par les établisse ments militaires de la Syrie 3, et il avait écrit de tout côté pou qu'on vînt prendre part à son expédition. Avec lui se trouvèrent les gouverneurs de l'Égypte, de Barca et de Tripoli. Aussitôt entré dans la province d'Ifrîkïa, il marcha directement sur Ceuta sans entrer à Cairouan, mais il confia le gouvernement de cette

1. Ibn-Abd-el-Hakem dit qu'Obeid-Allah envoya Habîb-Ibn-Abi-Obeidael-Fihri contre les pays de Sous et de Soudan, et que ce général en rapporta un butin énorme. Ibn-Khaldoun, qui rapporte le même fait, ajoute qu'en l'an 122, Obeid-Allah fit partir Habîb pour la Sicile. Arrivé à Syracuse, la ville la plus considérable de cette île, Habib en soumit les habitants à la capitation et ravagea le reste du pays.

2. El-Cocheiri signifie membre de la tribu de Cocheir. Ibn-Abd-el-Hakem dit qu'il appartenait à la tribu de Caïs.

3. Voyez ci-devant, page 221, note 1.

4. A la place de Ceuta, il faut probablement lire Sebiba. Ibn-Abd-elHakem dit : « Kolthoum passa auprès de Cairouan et entra à Sebîba, ville à une journée de Cairouan, où il resta pendant le mois de Choual. >>

ville à Abd-er-Rahman-Ibn-Ocba-el-Ghaffari, qui était alors grand cadi de l'Ifrikïa. Ayant appris que Habîb-Ibn-Abi-Obeida résistait toujours aux Berbères, il alla à leur rencontre et les trouva, au nombre de trente mille, sur le bord de la rivière de Tanger1, où Khaled-Ibn-Hamîd vint les rejoindre. Les deux armées se livrèrent alors une bataille terrible 2; Kolthoum y périt ainsi qu'Ibn-Abi-Obeida, Soleiman-Ibn-Abi-Mohadjer et les principaux chefs des Arabes. Le reste prit la fuite; les troupes syriennes passèrent en Espagne, pendant que celles de l'Egypte et de la province d'Afrique se réfugièrent en Ifrîkïa. Quand on sut à Cairouan que Kolthoum avait perdu la vie, le peuple de cette ville se révolta; et, en même temps, Okacha-Ibn-Aïoub-elFezari souleva les habitants de Cabes. Okacha était sofrite. Il avait commandé l'avant-garde des Syriens lors de leur entrée en Ifrîkïa avec Obeid-Allah-Ibn-Habhâb. Attaqué maintenant et défait par Abd-er-Rahman-Ibn-Ocba, qui s'était aussitôt mis en marche contre lui, il prit la fuite, laissant un grand nombre de ses partisans sur le champ de bataille. Quand Hicham-IbnAbd-el-Mélek apprit l'état dans lequel se trouvait la province, il y envoya Handala, fils de Safouan, de la tribu de Kelb.

§ XXII.

GOUVERNEMENT DE HANDALA-IBN-SAFOUAN-EL-KELBI.

En l'an 119 (737), Handala fut nommé gouverneur de l'Égypte par Hicham, et il continua à remplir cette charge jusqu'au temps où ce khalife l'envoya en Ifrîkïa. Il y arriva au mois de Rebiâ second de l'an 124 (février-mars 742); mais à peine se fut-il installé à Cairouan, qu'Okacha le sofrite marcha contre lui avec une telle multitude de Berbères, que jamais pareil rassemblement ne s'était vu en Ifrîkïa. Ce fut après sa défaite qu'Okacha était parvenu à rassembler cette nombreuse armée dans laquelle [presque] toutes les tribus berbères se trouvèrent réunies. En même temps, un autre corps très considérable s'avança sous les

1. Il s'agit du Sebou, la rivière qui coule près de Fez.

2. Cette bataille eut lieu en l'an 123, ou l'année suivante. — (Ibn Abd-el-Hakem.)

ordres d'Abd-el-Ouahed-Ibn-Yezîd, de la tribu de Hoouara, pour attaquer Handala. Ces chefs rebelles partirent tous deux à la fois de la province du Zab, Okacha en prenant la route de Meddjana, pour se rendre à El-Carn; et Abd-el-Ouahed en suivant le chemin des montagnes, pour se porter à Tabînas1. L'avant-garde de celui-ci était commandée par Abou-Aura-el-Atéki'. Handala sentit la nécessité d'attaquer Okacha avant que les autres troupes eussent pu le rejoindre, et il marcha contre lui avec un corps composé du peuple3 de Cairouan. Les deux partis en vinrent aux mains à El-Carn; le combat fut très opiniâtre et le carnage immense. Enfin, Okacha et les siens prirent la fuite et les Berbères furent taillés en pièces. Handala revint alors à Cairouan, craignant qu'en son absence Abd-el-Ouahed ne vînt occuper cette ville.

On raconte qu'à l'arrivée de ce dernier à Bédja, Handala envoya contre lui quarante mille cavaliers sous le commandement d'un homme de la tribu de Lakhm. Ce corps ne cessa, pendant un mois, d'attaquer Abd-el-Ouahed dans les ravines et les terrains inégaux qui entourent la ville, mais il finit par être repoussé jusqu'à Cairouan après avoir perdu vingt mille hommes. Abdel-Ouahed, à la tête de trois cent mille combattants, vint alors prendre position à El-Asnam, lieu [du canton] de Djeraoua, à trois milles de Cairouan 5. Handala, de son côté, tira des magasins de l'état toutes les armes qui s'y trouvaient, et ayant fait un appel au peuple, il donna à chaque individú une cotte-de-mailles et cinquante dinars. Ce moyen lui attira tant de volontaires qu'il diminua ensuite le don jusqu'à quarante dinars, puis jusqu'à trente, et il ne choisit plus que des hommes jeunes et robustes. Il passa toute la nuit à la lueur des flambeaux, occupé de l'arme

1. Variantes Tabibas, Tabeniach.

2. Dans l'ouvrage d'Ibn-Abd-el-Hakem, on lit: Abou-Corra-el-Ocaïli. 3. L'on sait que, d'après la religion musulmane, tout croyant est soldat.

4. Abd-el-Ouahed s'empara de Tunis et s'y fit proclamer khalife; ensuite il marcha sur Cairouan. (Ibn-Abd-el-Hakem.)

5. A une journée de Cairouan, selon Ibn-Abd-el-Hakem.

ment de ses recrues, dont cinq mille reçurent des cottes-demailles et cinq mille des flèches. Le matin, de bonne heure, les Arabes marchèrent au combat, après avoir brisé les fourreaux de leurs épées. Les fantassins tinrent ferme et mirent le genou à terre; l'aile gauche des Berbères et celle des Arabes fléchirent en même temps, mais celle-ci revint à la charge et renversa l'aile droite des Berbères, dont la déroute fut complète 1. Abd-elOuahed y perdit la vie, et sa tête fut portée à Handala, qui se prosterna pour remercier Dieu. On dit que jamais un conflit aussi sanglant n'eut lieu sur la terre, et que cent quatre-vingt mille Berbères restèrent sur le champ de bataille. Ces gens-là étaient sofrites; ils regardaient comme permis de répandre le sang [des musulmans] et de réduire [leurs] femmes en servitude. Okacha fut ensuite amené prisonnier devant Handala, qui le fit mettre à mort et écrivit à Hicham pour l'informer de sa victoire. El-Leith-Ibn-Sâd disait de cette bataille : « Après le combat de Bedr2, il n'en est pas d'autre que j'eusse plus désiré voir que celui d'El-Carn et d'El-Asnam. »

§ XXIII.

ABD-ER-RAHMAN-IBN-HABIB SE REND MAÎTRE DE
L'IFRIKÏA.

Abd-er-Rahman était fils de Habîb, fils d'Abou-Obeida, fils de Nafê, de la tribu de Fihr [Coreich]. Lors de la défaite de Kolthoum, il s'était réfugié en Espagne, où il avait essayé plusieurs fois, mais infructueusement, de s'emparer du pouvoir. Enfin, lorsqu'Abou-'l-Khattab-Ibn-Dirar-el-Kelbieut été envoyé dans ce pays par Handala en qualité de gouverneur et que tout le monde eut reconnu son autorité, Abd-er-Rahman conçut des craintes pour sa sûreté personnelle, et quitta le pays. Débarqué à Tunis au mois de Djomada premier de l'an 127 (février-mars 745), il rallia les habitants autour de lui et alla camper à la

1. Au rapport du traditioniste cité dans les notes précédentes, cette bataille se livra en l'an 124. Selon lui, Handala gagna d'abord une bataille à El-Asnam et ensuite une autre à El-Carn.

2. Ce fut à Bedr, près de Médine, que Mahomet remporta sa première victoire.

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