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passa par Maïa d'où il enleva quelque butin, puis il revint à Tolède en l'an 93 (711-2 de J.-C.). On dit aussi qu'il fit une incursion en Galice et pénétra jusqu'à Astorga, et qu'ensuite il rentra à Tolède où les détachements qu'il avait fait partir d'Ecija vinrent le rejoindre, après s'être rendus maîtres de toutes les villes contre lesquelles il les avait envoyés.

Dans le mois de Ramadan de l'an 93 (juin-juillet, 712 de J.-C.), Mouça-Ibn-Noceir conduisit en Espagne une armée nombreuse, et il apprit avec dépit les hauts faits de Tarec. En débarquant à Algéciras, il rejeta le conseil qu'on lui donna de suivre la route que Tarec avait prise. Ses guides lui dirent alors : « Nous vous mènerons par un chemin où il y aura plus d'honneur à acquérir que dans celui que votre devancier a choisi, et vous y trouverez des villes qui n'ont pas encore été subjuguées. » Yulîan lui prédisait aussi une grande victoire, ce qui le remplit de joie, et ils partirent tous pour la ville [nommée depuis] Ibn-es-Selîm 1 qu'ils emportèrent d'assaut. De là il se rendit à Carmona, la ville la plus forte d'Espagne, et Yulîan s'y fit admettre avec ses officiers, en se donnant pour des vaincus qui fuyaient les musulmans. Mouça envoya alors de la cavalerie contre Carmona, et les affidés de Yulîan leur ouvrirent les portes pendant la nuit.

Mouça se dirigea alors vers Séville, l'une des villes les plus considérables et les plus célèbres de l'Espagne, et s'en empara après un siège de quelques mois. Comme les habitants s'étaient enfuis, Mouça y établit des juifs, et il partit pour aller assiéger Mérida. La garnison de cette place ayant fait plusieurs sorties vigoureuses, Mouça plaça des troupes en embuscade dans des carrières où les infidèles ne pouvaient les apercevoir, et, aussitôt que le jour commença à poindre, il marcha à l'assaut. Les assiégés étant sortis, comme de coutume, pour combattre les musulmans, furent enveloppés par les soldats embusqués qui se jetèrent entre eux et la ville; le combat fut long et sanglant, et ceux qui parvinrent à se soustraire à la mort rentrèrent dans la ville, qui était très

1. Cette ville était située dans le territoire de Medina-Sidonia. (Ibn-Haiyan, apud Gayangos.)

forte. Après un siège de plusieurs mois, Mouça s'avança pour faire pratiquer une brèche aux murailles, mais la garnison opéra une nouvelle sortie et tailla en pièces un nombre considérable de musulmans au pied de la tour nommée depuis la Tour des Martyrs (Bordj-es-Chohedâ). Mérida se rendit, enfin, le dernier jour du mois de Ramadan de l'an 94 (30 juin 713 de J.-C.). La capitulation porta que les musulmans se mettraient en possession des biens de ceux qui périrent lors de l'embuscade, de ceux qui avaient abandonné la ville pour fuir en Galice, et des propriétés des églises, ainsi que de l'église principale.

Plus tard, le peuple de Séville s'étant assemblé, courut sur les musulmans et extermina tous ceux qui se trouvaient dans la ville. Mouça envoya son fils, Abd-el-Azîz, à la tête d'une armée, pour en faire le siège, et celui-ci fit périr tous les habitants. Puis il alla s'emparer de Lebla (Niebla) et Béja, après quoi il retourna à Séville.

Le même auteur dit plus loin :

Mouça partit de Mérida dans le mois de Choual, pour se rendre à Tolède. Tarec alla au-devant de lui et descendit de cheval sitôt qu'il le vit, mais Mouça lui porta à la tête un coup de fouet, parce qu'il avait outrepassé ses ordres. Arrivé à Tolède, Mouça exigea de Tarec la remise du butin et de la table. Un des pieds de cette table avait été enlevé par Tarec, et Mouça l'ayant interrogé sur ce sujet, reçut pour réponse qu'on l'avait trouvée ainsi. Il y fit mettre un nouveau pied en or, et marcha ensuite contre Saragosse, dont il s'empara ainsi que des villes voisines. Alors il envahit le pays des Francs, et arrivé dans un vaste désert et une plaine où étaient des puits, il trouva une statue [ou piédestal]. debout et portant cette inscription: « Enfants d'Ismail! c'est » ici le terme de votre marche; ainsi, rebroussez chemin ! » Désirez-vous savoir le sort qui vous attend? Je vous le » dirai : Il y aura des dissensions dans lesquelles vous vous » couperez les têtes les uns aux autres. »

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Mouça revint alors sur ses pas, et, chemin faisant, il rencontra un messager qui lui porta l'ordre de quitter l'Espagne et de l'accompagner auprès d'El-Ouélid. Ce contre-temps le fàcha beau

coup, et il remit l'envoyé de jour en jour, tout en faisant des expéditions dans le pays ennemi. Il évita toutefois l'endroit où se trouvait la statue, et s'occupa à tuer, à faire des captifs, à détruire les églises et à en briser les cloches. Toujours puissant et victorieux, il était parvenu au rocher de Belaï 1, situé sur la Mer-Verte (l'Atlantique), quand un second messager arriva de la part d'El-Ouélîd, pour lui enjoindre de presser son retour. Cet envoyé saisit la mule de Mouça par la bride et emmena ainsi le chef musulman. Ce fut dans la ville de Lok (Lugo), en Galice, que cette rencontre eut lieu. En revenant de là, Mouça traversa un défilé appelé depuis le défilé de Mouça (Fedj-Mouça), et il fut rejoint par Tarec qui arrivait de la Frontière-Supérieure (l'Aragon). Il obligea cet officier à partir avec lui, et laissa en Espagne son propre fils, Abd-el-Azîz-Ibn-Mouça, en qualité de lieutenant. Débarqué à Ceuta, il confia à son autre fils, Abd-el-Mélek, le commandement de cette ville, de Tanger et des lieux voisins, et nomma Abd-Allah, son fils aîné, gouverneur de l'Ifrîkïa et des pays qui en dépendaient. Il prit alors la route de la Syrie, emmenant avec lui trente mille jeunes vierges, filles des princes des Goths et de leurs chefs, et emportant les dépouilles de l'Espagne, la table de Salomon, ainsi qu'une quantité immense de pierreries et d'autres objets précieux.

A son arrivée en Syrie, il apprit la mort d'El-Ouélîd et l'avènement de Soleiman, fils d'Abd-el-Mélek. Le nouveau khalife n'aimait pas Mouça-Ibn-Noceir; aussi il lui ôta toutes ses charges, le bannit de sa présense et lui imposa une amende si considérable que Mouça fut obligé de s'adresser aux Arabes du Désert, pour avoir de quoi vivre. Selon une autre relation, El-Ouélîd vivait encore lors du retour de Mouça qui lui avait écrit pour annoncer la prise de la table. Quand il parut devant le khalife, il lui présenta ce qu'il avait apporté, sans oublier ce meuble précieux, mais Tarec, qui l'accompagnait, revendiqua l'honneur de l'avoir pris. Cette assertion lui attira de la part de Mouça un démenti

1. L'auteur aurait dû écrire au rocher appelé depuis rocher de Belaï, ou Pelayo. C'est probablement la Sierra de Covadonga. (Gayangos.)

formel. Sur cela, il pria El-Ouélîd de demander à Mouça ce qu'était devenu le pied qui manquait, et, comme celui-ci n'en avait aucune connaissance, il fit voir ce pied au khalife en lui disant que c'était pour cette raison qu'il l'avait caché. ElOuélîd reconnut alors la véracité de Tarec. En agissant ainsi, Tarec voulait se venger de Mouça qui l'avait fait battre et garder aux arrêts jusqu'à ce qu'El- Ouélîd lui rendît la liberté. Quelquesuns disent, cependant, que Mouça ne l'emprisonna pas.

On rapporte qu'il y avait en Espagne, sous la domination romaine, une maison à laquelle chaque nouveau gouverneur ajouta une serrure; leurs successeurs, les Goths, en firent de même. Roderic, lors de son avènement au trône, ouvrit les serrures et trouva dans la maison des images représentant des Arabes portant des turbans rouges, et montés sur des chevaux gris; on y voyait aussi l'inscription suivante: «< Lors de l'ouverture de cette maison, le peuple que voici pénétra dans ce pays. » Et l'invasion de l'Espagne eut lieu dans cette même année 1.

S XIV.

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-IBN-YEZÎD, ET MORT D'ABD-EL-AZÎZ, FILS DE MOUÇA-IBN-NOCEIR.

L'historien dit: Soliman, fils d'Abd-el-Mélek confia le gouvernement de l'Ifrîkïa à Mohammed, fils de Yezîd, client de la tribu de Coreich, et au moment de sa nomination, il lui adressa ces paroles : «< O Mohammed ! crains le Dieu unique, et fais fleurir la vérité et la justice dans le pays que je te confie. O mon Dieu ! sois témoin [entre nous]. » Alors Mohammed se retira, en disant qu'il serait sans excuse s'il ne gouvernait pas avec équité. Sa nomination eut lieu l'an 97 (715-716 J.-C.) 2. Pendant son

1. Je supprime ici un autre chapitre dans lequel En-Noweiri parle d'une expédition en Sardaigne, que les Arabes auraient entreprise en l'an 92. Les détails que cet historien donne à ce sujet s'accordent parfaitement avec ceux qu'Ibn-Abd-el-Hakem nous fournit au sujet d'une expédition des Arabes en Espagne. Le chapitre supprimé se trouve dans le Journal asiatique de mai 1841, p. 575.

2. Ibn-Abd-el-Hakem dit en 96 ou 97; Ibn-el-Abbar place la nomination d'Ibn-Yezid en 96.

administration, qui dura deux ans et quelques mois, il reçut une lettre de Soleiman-Ibn-Abd-el-Mélek, qui lui intimait l'ordre de faire arrêter la famille et tous les dépendants de Mouça-Ibn-Noceir, et de les garder jusqu'à ce qu'ils eussent acquitté l'amende imposée à Mouça, amende dont le reliquat s'élevait à trois cent mille dinars. « Pour leur arracher cette somme, lui écrivit-il, tu ne dois pas même épargner les tortures. » D'après cette injonction, Mohammed-Ibn-Yezîd fit arrêter et emprisonner AbdAllah, gouverneur de Cairouan; et un peu plus tard, il reçut par un courrier l'ordre de lui faire trancher la tête 2.

Quant à Abd-el-Azîz, l'autre fils que Mouça avait laissé en Espagne comme gouverneur, il soumit le pays, en fortifia la frontière et prit plusieurs villes dont son père ne s'était pas rendu maître. Ce fut un homme de bien et de talent. Il épousa la veuve3 du roi Roderic et la traita avec tant d'égards qu'elle parvint à exercer une haute influence sur son esprit. Elle chercha même à l'amener jusqu'à exiger de ses compagnons qu'ils se prosternassent en se présentant devant lui, selon ce qui se pratiquait envers son premier mari. Bien qu'il lui fit observer qu'une telle cérémonie n'était pas dans les mœurs des Arabes, elle insista avec tant de persévérance qu'il fit pratiquer une porte basse dans la salle où il donnait audience, de sorte que ceux qui entraient furent obligés d'incliner la tête. Elle lui dit : «< Tu es maintenant au nombre des rois ; il ne me reste plus qu'à faire pour toi

1. Ibn-Abd-el-Hakem nous apprend qu'on emprisonna Mouça et qu'on lui imposa une amende de cent mille dinars; mais, grâce à l'intercession de Yezîd-Ibn-el-Mohelleb, il obtint sa liberté et la remise de l'amende. En l'an 97, le khalife Soleiman-Ibn-Abd-el-Mélek fit le pèlerinage, emmenant Mouça avec lui, et celui-ci mourut à El-Merbed, sur la route de Médine, ou à Médine même, selon d'autres historiens.

2. Abd-Allah, fils de Mouça-Ibn-Noceir, vivait encore en l'an 102, époque à laquelle Yezîd, fils d'Abou-Moslem, fut assassiné. Comme on soupçonna Abd-Allah d'avoir tramé le complot dont Yezid fut la victime, Bichr-Ibn-Safouan, gouverneur de l'Egypte, en informa le khalife. Ce prince donna Fordre de lui ôter la vie, et Bichr, après quelque hésitation, lui fit trancher la tête. Bichr se montra le persécuteur le plus acharné des amis et parents de Mouça-Ibn-Noceir.

3. La sœur, selon Ibn-Abd-el-Hakem.

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