Images de page
PDF
ePub
[merged small][ocr errors][merged small]

Cette invasion eut lieu l'an 92 de l'hégire (710-711 de J.-C.) sous la conduite de Tarec-Ibn-Zîad, client de Mouça-Ibn-Noce ir. Dans la chronique intitulée El-Kamel (le Complet), Ibn-elAthîr a donné quelques détails sur les événements qui se sont passés en Espagne et sur l'ancienne histoire de ce pays; nous reproduirons ici les renseignements qu'il a fournis, attendu que cette conquête fut un des plus brillants triomphes des armes musulmanes. Après quelques notions préliminaires sur l'ancienne histoire de l'Espagne1, il donne une nomenclature des souverains, les uns idolâtres, les autres chrétiens, qui régnèrent sur cette contrée. Voici ce qu'il dit de la famille de Witiza. Ce prince commença à régner en l'an 77 ou 78 de l'hégire (696-698 de J.-C.). Il laissa, en mourant, deux fils; mais le peuple, ne voulant pas vivre sous leur autorité, se donna pour souverain un nommé Roderic, qui s'était distingué par sa bravoure, mais qui n'appartenait pas à la maison royale. Les princes d'Espagne avaient coutume d'envoyer leurs enfants des deux sexes à Tolède, où ils entraient au service du roi, qui ne prenait pas d'autres serviteurs. Quand ils avaient reçu une éducation convenable et atteint l'âge de puberté, le roi les mariait entre eux et se chargeait du trousseau. A l'avènement de Roderic, Yulîan (Julien), seigneur d'ElDjezîra-t-el-Khadrâ2, Ceuta et autres lieux, plaça sa fille à la cour, et le roi, frappé de sa beauté, lui fit violence. Elle écrivit à son père pour l'en informer, et celui-ci, pénétré d'indignation, adressa à Mouça-Ibn-Noceir 3, une lettre dans laquelle il se dé

1. Je supprime ici la matière d'environ une page d'impression, ne voulant pas reproduire un amas de fables et d'erreurs qu'Ibn-el-Athîr nous donne comme une esquisse de l'ancienne histoire de l'Espagne. 2. El-Djezîra-t-el-Khadrâ (l'île verte), maintenant Algeciras.

[ocr errors]

3. Selon Ibn-Abd-el-Hakem, qui rapporte le même fait, Julien s'adressa à Tarec, qui se trouvait alors à Tanger avec un corps de dix-sept cents hommes. M. de Gayangos, dans sa traduction anglaise des Dynasties musulmanes de l'Espagne, par El-Maccari, a réuni et discuté, dans une savante note, tous les renseignements que les auteurs arabes et chrétiens nous fournissent au sujet du comte Julien (en arabe Ilian

clara prêt à reconnaître son autorité, et l'invita à venir le trouver. L'ayant alors introduit dans les villes dont il était le maître, et ayant pris l'engagement pour lui et les siens d'obéir aux volontés du chef musulman, il lui dépeignit l'état de l'Espagne, et le pressa de s'y rendre. Mouça en écrivit [au khalife] El-Ouélid, pour obtenir de lui l'autorisation nécessaire. Ceci se passa vers la fin de l'an 90 (octobre 709 de J.-C.). Le khalife donna son consentement à cette entreprise avec d'autant plus de facilité, qu'il n'y avait qu'une mer étroite à traverser. Mouça fit partir alors un de ses clients nommé Tarîf 1, accompagné de quatre cents fantassins et de cent cavaliers. Quatre navires les transportèrent dans l'île, nommée depuis l'île de Tarîf 2. De là, Tarîf fit une incursion vers Algéciras, et revint sain et sauf avec un riche butin. Ce fait eut lieu au mois de Ramadan de l'an 91 (juillet 710 de J.-C.) 3. Témoins de la suite heureuse de

ou Yulian). On ne peut plus révoquer en doute l'existence de ce chef trop célèbre. Dans la partie nécrologique des Annales d'Ed-Dehebi, an 326, on trouve l'article suivant que M. de Gayangos n'a pas connu et qui nous aidera à deviner le sort de Julien et de ses descendants: << Abou-Soleiman-Aïoub, fils d'El-Hakem, fils d'Abd-Allah, fils de Melka-Bitro (Pedro), fils d'Ilîan, était d'origine gothe. Il étudia sous Baki-Ibn-Mokhelled et profita beaucoup des leçons de ce maître. Etant allé en Irac, il cultiva la science des traditions sous le cadi Ismail-IbnIshac. Comme jurisconsulte, il suivit son propre jugement, sans adopter aveuglément les opinions des anciens légistes. Il forma plusieurs élèves. La noblesse de sa naissance égalait son savoir, car il eut pour aïeul cet Ilîan qui fit entrer l'islamisme en Espagne. Il mourut en l'an 326 (937-8). » L'inspection des noms qui composent cette généalogie nous fait savoir que Julien et son fils Pedro étaient restés chrétiens et qu'un de ses petits-fils se convertit à l'islamisme et prit le nom d'Abd-Allah. On voit aussi que la famille de Julien avait continué, pendant deux siècles, à jouir d'une très haute considération parmi les musulmans. ⚫ 1. Ibn-Abd-el-Hakem ne fait aucune mention de ce Tarif; mais il connaît deux Tarec l'un, fils d'Amr, et l'autre, fils d'Abbad.

2. En arabe, Djezîra-Tarif, maintenant Tarifa.

3. Ce fut en l'an 27, pendant le khalifat d'Othman, que les Arabes firent leur première descente en Espagne, sous la conduite d'Abd-AllahIbn-Nafê et d'Abd-Allah-Ibn-Hosein. La descente de Tarîf eut lieu en 94, et fut suivie, la même année, par celle de Tarec. Mouça s'y rendit l'année suivante. — (Baïan.)

cette tentative, les autres musulmans se hâtèrent de prendre part à une nouvelle expédition. Mouça fit alors venir son client, Tarec-Ibn-Ziad, chef de l'avant-garde musulmane, et l'envoya [en Espagne] avec sept mille musulmans, dont la plupart étaient Berbères et nouveaux convertis. La flotte se dirigea vers une montagne qui s'élève dans la mer et touche, d'un côté, au continent. Ce fut là qu'ils abordèrent, et cette montagne fut nommée Djebel-Tarec (la montagne de Tarec, Gibraltar). Lors des conquêtes d'Abd-el-Moumen [le souverain almohade], ce prince y fit bâtir une ville, et changea le nom de la montagne en Djebel-el-Feth (Mont-Victoire ou montagne de l'entrée), mais cette nouvelle dénomination ne se maintint pas ; l'ancienne seule s'est conservée. Le débarquement de Tarec s'effectua dans le mois de Redjeb de l'an 92 (mai 711). Ibn-el-Athîr rapporte que, dans la traversée, Tarec s'étant abandonné au sommeil, vit le saint Prophète, accompagné de ceux qui avaient émigré de la Mecque pendant la persécution, et des Médinois qui lui avaient accordé leur appui. Ils portaient l'épée au côté et l'arc en bandoulière. Le Prophète lui adressa ces paroles : << O Tarec! avance et accomplis ton entreprise; sois humain envers les musulmans et fidèle à tes engagements. » Tarec regarda alors et vit le Prophète béni et ceux qui l'accompagnaient entrer en Espagne devant lui. A son réveil, il annonça cette bonne nouvelle à ses compagnons, et sentant son cœur affermi, il se tint assuré du succès. Quand tout le monde fut débarqué à la montagne, il les mena dans la plaine et pénétra dans Algéciras où il rencontra une vieille femme qui lui adressa ces paroles : « J'avais un mari qui prévoyait l'avenir; il annonça au peuple qu'un chef entrerait dans leur ville et en prendrait possession; il leur décrivit la figure du conquérant, qui devait avoir, selon lui, une grosse tête et une tache velue sur l'épaule gauche. >> Tarec se dépouilla aussitôt de ses vêtements et eut le plaisir d'apprendre que sur son épaule il se trouvait, en effet, une tache telle qu'elle l'avait décrite. Le même historien dit encore: Lorsque Tarec eut quitté la forteresse de la montagne, et subjugé Algéciras, la nouvelle en fut portée à Roderic qui était alors engagé dans une ex

pédition militaire. Frappé de cet événement, Roderic renonça à son entreprise et rassembla une armée de cent mille hommes, à ce qu'on dit, pour s'opposer aux progrès de Tarec. Celui-ci écrivit alors à Mouça, pour l'instruire de son succès et lui demander des renforts. Il obtint un secours de cinq mille hommes, de sorte que le nombre des musulmans se trouva porté à douze mille. Yulian les accompagna, pour les diriger vers les endroits faibles du pays, et leur procurer des renseignements. Roderic vint avec son armée leur livrer bataille1; la rencontre eut lieu sur le bord de la rivière Léka 2, dans le district de Sidonia, le vingt-huitième jour du mois de Ramadan de l'an 92 (19 juillet 711 de J.-C.), et huit jours se passèrent en combats 3. Les deux fils de l'ancien roi commandaient chacun une aile de l'armée de Roderic, et comme ils le détestaient, ils résolurent, d'accord avec quelques autres princes; de prendre la fuite; « car, disaientils, quand les musulmans auront les mains remplies de butin, ils s'en retourneront dans leur pays et le royaume nous restera. » Ils se retirèrent alors en désordre, et Dieu ayant mis en déroute les troupes de Roderic, ce prince se noya dans le fleuve. Tarec les poursuivit jusqu'à la ville d'Ecija, dont les habitants, ainsi qu'un grand nombre de fuyards qui s'étaient ralliés à eux, vinrent lui livrer bataille. Après un combat acharné, les Espagnols

1. Ibn-Abd-el-Hakem rapporte que Roderic vint à la rencontre de Tarec, et parut assis sur le trône du royaume qui était porté par deux mulets; il avait la tête ceinte d'un diadème et portait des gants (cofazan) et tous les autres ornements dont les rois ont l'habitude de se parer.

2. Nehr-Leka peut être la même rivière que le Ouadi-Leka ou Guadelète. Ibn-el-Goutïa l'appelle Quadi-Béka. L'auteur anonyme de la conquête de l'Espagne, man. de la Bibl. nat., no 706, dit que le combat eut lieu près du lac (el-boheira).

3. Les musulmans passèrent trois jours à tuer leurs ennemis. (Ibn-Abd-el-Hakem.)

4. L'on n'entendit plus parler de Roderic, et personne n'a jamais su ce qu'il devint. Les musulmans trouvèrent le cheval gris qu'il avait monté ; l'animal portait une selle ornée d'or, de rubis et d'émeraudes, et l'on remarqua sur ses jambes les traces de la boue dans laquelle il était tombé. On trouva aussi dans la boue une des bottes de Roderic. (Ibn-Abd-el-Hakem.)

furent défaits, et Tarec s'arrêta à quatre milles d'Ecija, près d'une source qui a été appelée depuis Aïn-Tarec (la source de Tarec).

Plus loin l'historien dit : La nouvelle de cette double défaite jeta la terreur parmi les Goths, et ils abandonnèrent leurs villes pour se réfugier dans Tolède. Yulîan conseilla alors à Tarec de partager son armée en plusieurs corps, vu qu'il n'y avait plus rien à craindre de la part du peuple espagnol, et de marcher en personne sur Tolède. Tarec accueillit cet avis, et d'Ecija [où il était], il fit partir un corps de troupes pour Cordoue, un autre pour Grenade, un troisième pour Malaga, un quatrième pour Todmîr1, et il marcha lui-même sur Tolède avec le corps le plus considérable. En y arrivant, il trouva la ville déserte, les habitants s'en étant retirés pour se réfugier dans une autre ville nommée Maïa, qui était située derrière la montagne 2. L'historien ajoute que les autres détachements prirent les villes contre lesquelles on les avait envoyées, et que Tarec établit dans Tolède les juifs avec quelques-uns de ses compagnons, et se dirigea vers Ouadi'l-Hidjara (Guadalarara). Traversant alors la montagne, en suivant un défilé qui porte depuis le nom de défilé de Tarec (FedjTarec), il arriva à une ville appelée Medina-t-el-Maïda (ville de la table) 3, où se trouvait la table de Salomon, fils de David. Cette table était en émeraude verte, ayant les bords garnis de perles, de corail, de rubis et d'autres pierres précieuses, ainsi que les pieds, qui étaient trois cent soixante en nombre. De là Tarec

1. Par le nom de pays de Todmir, ou Theodomir, les historiens arabes veulent désigner la province de Murcie.

2. Cette montagne se nomme Somosierra, mais l'emplacement et la synonymie de Maïa sont encore inconnus. (Gayangos.)

3. La position de cette ville est inconnue; mais le défilé de Tarec est dominé par une bourgade qui porte encore le nom de Buitrago, une altération de Bèb-Tarec (porte de Tarec). (Gayangos.)

4. D'après une tradition rapportée par Ibn-Abd-el-Hakem, cette table merveilleuse aurait été trouvée à Narbonne. Dans l'ouvrage d'El-Maccari, vol. I, p. 286, se trouve un extrait de l'histoire de l'Espagne d'Ibn-Haiyan; cet auteur nous apprend que la table dite de Salomon avait été faite par les chrétiens et qu'elle servait à porter les évangiles On la trouva sur le grand autel de l'église principale de Tolède.

« PrécédentContinuer »