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d'Ibrahîm-Ibn-es-Sabbah, et Khaled, fils de Thabet de la tribu de Coreich. L'on rapporte aussi quA'bd-Allah, fils du khalife Omar-Ibn-el-Khattab, s'y trouva avec Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir et les personnages les plus éminents des milices de la Syrie et de l'Égypte.

Les habitants de l'Ifrîkïa croyaient toujours que Djenaha était à la tête de l'expédition. Quand Ibn-Hodeidj vint camper au pied d'une colline située à dix parasanges à l'occident de Camounîa, il y essuya un tel temps de pluie qu'il s'écria : « Notre montagne est bien arrosée (mamtour). » Ce nom est resté à la montagne jusqu'à ce jour. Il dit ensuite: «Marchons à pic de montagne (carn) », et, depuis lors, ce lieu fut appelé El-Carn.

Alors un patrice nommé Nicéphore, sous les ordres duquel le roi des Grecs avait placé une armée de trente mille combattants, vint débarquer à Sentirta 3. Un détachement de cavalerie qu'IbnHodeidj envoya à la rencontre de ces troupes, les mit en déroute et les obligea à reprendre la mer. Ibn-Hodeidj dirigea alors ses attaques contre Djeloula et alla combattre les habitants jusqu'aux portes de la ville. Chaque matin, il leur livrait bataille; mais, aussitôt après midi, il rentrait dans son camp à El-Carn. Un certain jour, après les avoir combattus, il venait de reprendre le chemin du camp, quandAbd-el-Mélek, fils de Merouan, revint sur ses pas pour chercher son arc qu'il avait laissé suspendu à un arbre; s'apercevant alors qu'un côté de la ville venait de s'écrouler, il rappela ses compagnons, et, à la suite d'une lutte qui coûta la vie à beaucoup de monde, il prit Djeloula d'assaut. On s'empara de tout ce que la place renfermait, après avoir tué la garnison et réduit les habitants en esclavage. Selon un autre récit, Ibn-Hodeidj s'était tenu à El-Carn, et avait envoyé Abd-el

1. Voyez ci-devant, page 221, note 1.

2. Ceci est l'endroit qu'Ibn-Abd-el-Hakem appelle Counia. (Voyez cidevant, page 307.)

3. Variante: Santbertha. Cette localité est inconnue.

4. Selon l'auteur du Baïan, Nicéphore mit à la voile sans avoir engagé le combat.

Mélek à la tête de mille cavaliers pour assiéger Djeloula. Après avoir passé quelques jours dans des tentatives inutiles, ils battirent en retraite, mais à peine s'étaient-ils éloignés, qu'ils virent des tourbillons de poussière s'élever derrière eux. Pensant que c'était l'ennemi qui sortait à leur poursuite, ils firent volte-face pour le recevoir, et, alors, ils s'aperçurent que tout un côté de la muraille de la ville venait de s'écrouler. Aussitôt ils livrèrent l'assaut, et ayant emporté la place, ils tuèrent, pillèrent et firent des esclaves. Abd-el-Mélek revint auprès de Moaouïa [-Ibn-Hodeidj] qui l'attendait dans son camp à El-Carn, et lui remit le butin. Une dispute s'éleva alors au sujet du partage : Abd-el-Mélek réclamait le tout pour ses compagnons, et Ibn-Hodeidj voulait en faire la distribution à tous les musulmans de l'armée. A la fin, on écrivit au khalife Moaouïa-Ibn-Abi-Sofyan, et celui-ci répondit qu'il fallait rappeler les corps détachés et faire le partage du butin entre tout le monde 1. Dans la distribution qui eut lieu, chaque cavalier reçut trois cents dinars.

El-Beladori 2 dit que Moaouïa-Ibn-Hodeidj fut le premier qui envoya des troupes contre la Sicile. Le chef de cette expédition se nommait Abd-Allah-Ibn-Caïs 3.

[Ibn-er-Rakîk, dont nous continuerons à citer l'histoire, ajoute Moaouïa-bn-Hodeidj rentra alors en Egypte, et reçut] d'Ibn-Abi-Sofyan le gouvernement de ce pays, en échange de celui de l'Ifrîkïa. Ce dernier pays devint ainsi un gouvernement séparé, ne dépendant plus de celui de l'Egypte, mais relevant directement du khalife.

1. D'après la loi islamique tous les soldats faisant partie d'une armée ont un droit égal au butin.

2. El-Beladori, l'auteur du Livre des conquêtes faites par les Musulmans, mourut en l'an 279 (892-3). M. Hamaker a donné une notice sur cet écrivain dans son Specimen Catal. Bibl. Lugd. Bat., p. 7.

3. On lit dans le Baïan que la flotte envoyée contre la Sicile se composa de deux cents navires. Les musulmans restèrent un mois dans cette île et en rapportèrent des prisonniers et des images ornées de pierres précieuses. Cette expédition eut lieu l'an 46 (666-7).

§ III. GOUVERNEMENT D'OCBA-IBN-NAFÊ-EL-FIHRI, ET TROISIÈME

EXPÉDITION EN IFRÎKÏA.

L'historien dit : En l'an 50 (670) Moaouïa-Ibn-Abi-Sofyan envoya en Afrique Ocba-bn-Nafê de la tribu de Fihr [Coreich], lequel était resté à Barca et à Zouîla pendant qu'Imr-Ibn-el-Aci gouvernait l'Egypte 1. Ocba rassembla les Berbères néophytes, et les incorpora dans l'armée que Moaouïa venait de lui envoyer et qui se composait de dix mille cavaliers musulmans. Il marcha aussitôt contre l'Ifrîkïa, et, y ayant pénétré, il passa au fil de l'épée tous les chrétiens qui y restaient 2. Il dit alors [à ses troupes] : « Quand un imam 3 entre en Ifrîkïa, les habitants de ce pays se mettent à l'abri du danger en faisant la profession de l'islamisme, mais aussitôt que l'imam se retire, ces gens-là retombent dans l'infidélité. Je suis donc d'avis, ô musulmans! de fonder une ville qui puisse servir de camp et d'appui à l'islamisme jusqu'à la fin des temps. » Ce conseil fut adopté.

S IV.

FONDATION DE LA VILLE DE CAIROUAN.

Les historiens disent qu'Ocba, ayant fait comprendre aux musulmans la nécessité de fonder une ville, les mena à l'emplacement où Cairouan devait s'élever et qui était alors couvert d'un bois

1. Amr-Ibn-el-Aci gouverna l'Egypte depuis l'an 20 jusqu'à l'an 25, et depuis l'an 38 jusqu'à l'an 43. Or Ibn-Khaldoun dit, dans l'histoire des émirs arabes, qu'en l'an 45 Moaouïa ôta le gouvernement de l'Afrique à Moaouïa-Ibn-Hodeidj pour le confier à Ocba-Ibn-Nafê. Cette date me paraît inadmissible.

2. Ici l'auteur exagère à la manière arabe ; nous savons qu'Ocba mourut en combattant les Berbères et chrétiens qui s'étaient réunis pour l'attaquer.

3. C'est-à-dire une personne revêtue de l'autorité spirituelle et temporelle; tels étaient les généraux de ce temps-là, quand ils agissaient comme représentants du khalife.

fourré et impénétrable1. « Voici, dit-il, notre affaire. » — « Comment! lui répondirent ses compagnons, tu nous ordonnes de bâtir dans un marécage boisé où personne ne saurait passer, et où nous aurons à craindre les animaux féroces, les serpents et les autres reptiles de la terre! » Ocba, dont les vœux furent toujours exaucés, invoqua le Dieu tout-puissant, et ses compagnons se joignirentà la prière en disant Amen. Rassemblant alors autourde lui les dix-huit compagnons du Prophète qui se trouvaient dans l'armée, il cria à haute voix : « Serpents et bêtes féroces! nous sommes les compagnons du Prophète béni; ainsi retirez-vous, car nous allons nous établir ici, et nous tuerons quiconque de vous s'y trouvera après cet avertissement. » Alors on vit les animaux féroces et les serpents emporter leurs petits, et à ce spectacle, beaucoup de Berbères se convertirent à l'islamisme 2. Ocba ordonna par proclamation de les laisser passer sans leur faire du mal, et quand ils furent partis, il marcha, accompagné de ses principaux officiers, autour du lieu qu'il avait choisi, en adressant cette prière à Dieu : « O mon Dieu! remplis cette ville de science et de la connaissance de ta loi. Fais qu'elle soit habitée par des hommes pieux et dévoués à ton service, et protège-nous contre les puissants de la terre. » Il descendit alors, en suivant le cours du ruisseau, et ordonna à ses hommes de tracer les fondations de la ville et d'arracher les broussailles. Notre historien ajoute que pendant quarante ans, à partir de cette époque, on ne vit ni serpent, ni scorpion en Ifrîkïa.

L'historien dit plus loin : Il traça les fondations de l'hôtel du

1. D'après le conseil des musulmans, Ocba choisit pour l'emplacement de sa ville une localité éloignée de la mer et voisine d'une sibkha ou marais salé. « De cette manière, lui dirent-ils, nous n'aurons pas à craindre une descente de la part des Grecs et nos chameaux auront un lieu de pâturage où les Berbères et les chrétiens n'oseront pas venir les enlever ». La construction de Cairouan fut commencée en l'an 50 (670). (Baian).

2. Les miracles opérés par Ocba ont encore du retentissement en Afrique. Pour cette raison, nous nous sommes décidé à conserver cette légende. On peut voir à la page 311 les traditions à ce sujet recueillies par Ibn-Abd-el-Hakem.

gouvernement et de la grande mosquée. La construction de celleci n'était pas encore commencée quand il y fit célébrer la prière. A cette occasion un certain mouvement se manifesta parmi le peuple au sujet de la kibla 1; ils disaient que, les habitants du Maghreb devant se régler d'après la kibla de cette mosquée quand ils en construiraient d'autres, le général aurait à employer tout son talent afin d'en déterminer la vraie position. On laissa donc écouler un temps considérable pour observer le lever des astres en hiver et en été et pour prendre les azymuths du soleil à son lever 2. Ce délai causa à Ocba de graves soucis; mais s'étant adressé au Dieu tout-puissant, il vit pendant son sommeil une figure qui vint à lui et prononça ces paroles : «< Favori du maître de l'univers ! quand le jour se lèvera, prends ton étendard et mets-le sur ton épaule; tu entendras alors devant toi des cris d'Allah akber (Dieu est grand!), et nul autre ne les entendra à l'endroit où ces cris cesseront, là tu placeras la kibla et le mihrab 3 de tá mosquée. Dieu toutpuissant a agréé cette ville et cette mosquée; par elle, il exaltera sa religion et humiliera les infidèles jusqu'à la fin des siècles. » Ocba se réveilla plein d'effroi, et après avoir fait une ablution, il se mit, avec les nobles d'entre les musulmans, à prier dans la mosquée projetée. Le jour commençait à poindre, et il faisait encore des prosternements, quand le cri d'Allah akber! retentit à ses oreilles. Ayant demandé aux personnes qui l'entouraient si elles entendaient quelque chose, elles répondirent que non. « C'est donc l'ordre du Dieu tout-puissant! >> s'écria-t-il. Prenant alors l'étendard sur son épaule, il suivit la

1. Kibla veut dire le côté de l'horizon qui est dans la direction de la Mecque. Il faut connaître la kibla pour orienter une mosquée et pour savoir de quel côté se tourner pour faire la prière.

2. Il aurait fallu de plus déterminer la latitude et la longitude de l'endroit, opération qu'assurément les Arabes de cette époque étaient incapables de faire. On va voir de quelle manière Ocba se tira de la difficulté.

3. Le mihrab est une niche pratiquée dans le mur de la mosquée et dans l'intérieur de l'édifice; il sert à marquer la direction de la kibla.

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