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retourna en Égypte 1, sans y laisser de gouverneur, et sans y établir de cairouan. Abou-'l-A soued, client d'Ibn-Lahîa3, rapporte qu'Oweis lui avait fait le récit suivant : « Nous accompagnâmes Abd-Allah-Ibn-Sâd dans son expédition contre l'Ifrîkïa, et il partagea entre nous le butin, après en avoir prélevé le quint. Chaque cavalier eut trois mille dinars pour sa part, deux mille pour son cheval et mille pour lui-même, et chaque fantassin reçut mille dinars. Un des fantassins mourut à Dat-el-Hammam, et, après sa mort, sa famille reçut mille dinars. »

1. Théophane, dans sa Chronographie, raconte ses événements de la manière suivante :

«< A. M. 6138. Première année d'Othman, chef des Arabes. En cette année, le patrice Grégorios, soutenu par ses Africains, se met en révolte .»

« A. M. 6139. En cette année, les Sarrasins font une expédition en Afrique et, ayant livré bataille au tyran Grégorios, ils le mettent en fuite et détruisent son armée. En vertu d'un traité, les vainqueurs imposent des contributions sur les Africains et s'en retournent. >>

Le mot tyran dans ce passage montre évidemment que Grégoire avait pris la pourpre.

2. On voit que le mot cairouan est employé ici avec le sens d'entrepôt, ou place d'armes.

3. Abd-Allah-Ibn-Lahîa, célèbre traditionniste, mourut en l'an 174 (790).

4. Je regarde la première partie de cette tradition comme fausse, tout en admettant que le fantassin dont il est question eût rapporté un butin de mille dinars. Mais je dirai que cet homme avait pillé pour son propre compte métier que les Arabes ont toujours entendu à merveille; et j'ajouterai que la personne qui fabriqua cette tradition a cru que cette somme provenait en entier du partage égal du butin entre tous les individus de l'armée. Elle a donc déclaré que chaque fantassin avait reçu mille dinars; et, comme le cavalier devait recevoir une triple part, notre traditionniste Oweis lui en donne généreusement trois mille. IbnAbd-el-Hakem ajoute ici une autre version de la même tradition, mais c'est toujours Oweis qui parle. La nouvelle version nous apprend que l'homme avait reçu deux mille dinars pour sa part. Selon Ibn-Abd-el Hakem, la masse du butin fournit trois mille pièces d'or à chaque cavalier et mille à chaque fantassin, et cela après le prélèvement du cinquième pour le compte du trésor public. L'armée d'Ibn-Sâd se composait de vingt mille hommes. Disons dix mille d'infanterie et autant de cavalerie, et supposons que la pièce d'or valait dix francs. Le butin

El-Leith-Ibn-Sâd rapporte sur l'autorité de plus d'un individu, qu'Abd-Allah-Ibn-Sâd ayant fait une expédition en Ifrîkïa et tué Djoredjîr, chaque cavalier reçut trois mille dinars et chaque fantassin mille. Un autre cheikh égyptien ajoute que chacun de ces dinars valait un dinar et un quart. Othman-IbnSaleh et d'autres disent que l'armée d'Abd-Allah-Ibn-Sâd était forte de vingt mille hommes.

La fille de Djoredjîr échut en partage à un homme d'entre les Ansars [le peuple de Médine]. Il la plaça sur un chameau et s'en retourna avec elle, en improvisant les vers suivants :

Fille de Djoredjîr, tu iras à pied à ton tour.
Dans le Hidjaz ta maîtresse t'attend.

Tu porteras [de l'eau dans] une outre de Coba [à Médine]'. En entendant ces paroles, elle demanda ce que ce chien voulait dire, et, en ayant appris le sens, elle se jeta du chameau qui la portait et se cassa le cou.

Selon Ibn-Lahîa, ce fut Abd-Allah-Ibn-Sâd qui envahit l'lfrîkïa, mais d'autres disent qu'il ne fit que l'entamer. Voyant les pièces monnayées qu'on avait mises en tas devant lui, il demanda aux Africains (Afarica) d'où cet argent leur était venu; et l'un d'entre eux se mit à aller de côté et d'autre, comme s'il cherchait quelque chose, et ayant trouvé une olive, il l'apporta à AbdAllah et lui dit : « C'est avec ceci que nous nous procurons de l'argent. Comment cela? dit Abd-Allah. — Les Grecs, répondit cet homme, n'ont pas d'olives chez eux, et ils viennent chez nous acheter de l'huile avec ces pièces de monnaie. »

Les Afarica reçurent ce nom parce qu'ils étaient enfants de Farec, fils de Biser. Farec s'appropria le pays situé entre Barca et l'Ifrîkïa, et c'est d'après les Afaric que l'Ifrikia (Afrique) fut

ainsi nommée.

Abd-Allah-Ibn-Sâd envoya Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir annoncer

aurait donc été de quatre cents millions de francs, plus le cinquième, ce qui fait en tout cinq cents millions. La fausseté de ces renseignements saute aux yeux.

1. Coba est le nom d'un village à deux milles de Médine. Encore a u jourd'hui, Coba fournit de l'eau à cette ville.

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[au khalife] la conquête de l'Ifrîkïa. Othman entendit avec admiration le récit qu'Ibn-Zobeir lui fit de la bataille et des autres circonstances qui marquèrent cette expédition. Il lui dit alors: « Pourras-tu répéter cette nouvelle au public de la même manière que tu viens de me la raconter? » Ibn-ez-Zobeir répondit affirmativement, et le khalife, l'ayant pris par la main, le conduisit à la chaire [de la mosquée) et lui dit : « Raconte-leur ce que tu viens de m'apprendre. » Ibn-ez-Zobeir leur tint alors un discours qui les remplit d'admiration.

Cette invasion de l'Ifrîkïa eut lieu en l'an 27 (647-8) de J.-C

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une

En l'an 34 (654-5), Moaouïa-Ibn-Hodeidj partit avec armée pour l'Occident (Maghreb). Il y prit plusieurs châteaux ainsi qu'un butin immense, et il fonda Cairouan au voisinage d'El-Carn. Ce fut là qu'il résida constamment jusqu'à l'époque de son retour en Égypte.

Dans cette expédition, il s'avança jusqu'à Counîa, lieu où fut fondé Cairouan et, de là, il alla fixer son camp sur le flan c d'une montagne appelée El-Carn. Alors il envoya Merouan- Ibnel-Hakem, avec mille cavaliers, vers une ville appelée Djeloula1. Merouan assiégea cette place pendant quelques jours, mais trouvant que sa tentative n'avait aucun résultat, il se mit en marche pour s'en retourner. Il avait à peine commencé sa retraite, quand l'arrière-garde aperçut une grande poussière; on crut que c'était l'ennemi qui venait de se mettre à leur poursuite, et plusieurs des soldats firent volte-face pour le repousser. Les

1. Les ruines de Djeloula, l'Oppidum usaletanum de Pline, se voient à cinq lieues de Cairouan, vers le couchant. Elles sont situées dans une région occupée par la tribu nomade des Oucelat, et ce fut, sans doute, d'après eux que le pays montagneux de cette partie de la Byzacène fut nommé Mons usaletanus. Saint-Martin, dans ses notes sur l'Histoire du Bas-Empire de Lebeau, a commis uue singulière erreur ayant pris Usilla, ville maritime de la Byzacène pour Usaletanum, il place Djeloula sur le bord de la mer. Shaw, qu'il cite pour autorité, distingue parfaitement les deux localités. L'erreur de Saint-Martin a été reproduite par d'autres écrivains.

autres gardèrent leur rang, et leurs meilleurs coureurs étant allés de ce côté, virent que la muraille de Djeloula venait de s'écrouler. Aussitôt les musulmans y pénétrèrent et enlevérent tout ce qu'elle renfermait de précieux. Abd-el-Mélek [fils de Merouan] vint alors rejoindre Ibn-Hodeidj, et comme on ne pouvait s'accorder sur le partage du butin, on écrivit à Moaouïa-Ibn-Abi-Sofyan qui rendit cette réponse : « Que l'armée rappelle ses détachements et que le partage se fasse alors entre tout le monde. » Chaque homme reçut deux cents dinars pour sa portion, mais le cavalier eut en plus une double portion pour son cheval. Abd-el-Mélek déclara avoir reçu pour luimême et pour son cheval la somme de six cents dinars, et qu'il les employa à l'achat d'une jeune fille.

D'autres racontent que ce fut Ibn-Hodeidj lui-même qui assiégea Djeloula, et qu'il désespéra de réussir en voyant que plusieurs de ses soldats avait succombé et que les autres avaient presque tous reçu des blessures. Il s'en retourna donc, mais Dieu lui ouvrit alors la ville sans qu'il fallut employer ni chevaux ni hommes pour l'attaquer. Il y pénétra sans éprouver la moindre résistance, la mit au pillage et repartit pour l'Égypte.

Moaouïa-Ibn-Hodeidj fit plusieurs expéditions en Afrique : la première en l'an 34 (654-5), avant la mort d'Othman ; cette expédition n'est connue que de peu de personnes; la seconde eut lieu en l'an 40 (660-1), et la troisième en l'an 50 (670).

S VI.

OCBA-IBN-NAFE-EL-FIHRI SE REND DANS LE MAGHREB.

En l'an 46 (666-7), Ocba-Ibn-Nafê-el-Firhi [de la famille de Fihr-Coreich partit pour le Maghreb,jaccompagné de Bosr2-Ibn

1. Moaouïa était donc chef de la nation musulmane. Ce fait prouve la fausseté de la date assignée par Ibn-Abd-el-Hakem à l'expédition dont il parle ici, Moaouïa n'ayant été proclamé khalife qu'en l'an 41. Ibn-Khaldoun a eu le grave tort d'adopter l'erreur d'Ibn-Abd-el-Hakem dans son abrégé de l'histoire de l'Afrique septentrionale sous les émirs arabes.

2. Les manuscrits portent Bichr, mais on sait par d'autres sources que le nom de ce chef doit s'écrire Bosr.

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Arta et de Choreik-Ibn-Somaï-el-Moradi, et il s'arrêta à Maghmedas (?) [ lieu dans les dépendances] de Sort. En l'an 26, Bosr s'était déjà rendu de Sort à cet endroit. Quand Ocba y fut arrivé, l'hiver survint, et comme il était d'une santé faible, il s'y arrêta. Ce fut alors qu'il apprit que les gens de Oueddan venaient de rompre le traité qu'ils avaient fait précédemment, et qu'ils refusaient de remplir les conditions que Bosr leur avait imposées lors du siège de Tripoli, quand Amr-Ibn-el-Aci l'envoya dans ce pays. Ocba-Ibn-Nafê quitta aussitôt son armée, dont il donna le commandement à Omar-Ibn-Ali-el-Coréchi et à Zoheir-Ibn-Caïsel-Beloui; puis, ayant pris quatre cents cavaliers, quatre cents chameaux et une provision de huit cents outres d'eau, il se mit en marche. Arrivé à Oueddan il le soumit et coupa l'oreille au roi du pays. « Pourquoi me traiter ainsi, lui dit le prince, toi qui as déjà fait la paix avec moi?» «C'est un avertissement que je te donne, lui dit Ocba, et toutes les fois que tu porteras la main vers ton oreille, tu te le rappelleras, et tu ne songeras point à faire la guerre aux Arabes. » Ensuite il exigea d'eux le tribut de trois cent soixante esclaves que Bosr leur avait imposé. Désirant savoir s'il existait quelque contrée au delà de Oueddan, on lui nomma la ville de Djerma, capitale du grand Fezzan. Parti de Oueddan, il arriva, après une marche de huit nuits, dans le voisinage de Djerma, dont il fit inviter les habitants à embrasser l'islamisme. Ils y consentirent, et il fit halte à la distance de six milles de la ville. Quand leur roi sortit pour se rendre auprès d'Ocba, des cavaliers, apostés par celui-ci, se jetèrent entre lui et son cortège, le forcèrent de mettre pied à terre et le conduisirent en la présence de leur chef. Comme il était d'une constitution délicate, il y arriva épuisé de fatigue et crachant le sang. « Pourquoi me traiter ainsi ? dit-il à Ocba, ne me suis-je pas empressé de me rendre auprès de toi?»-« C'est une leçon que je veux te donner, lui répondit Ocba, toutes les fois que tu te la rappelleras, tu perdras l'envie de faire la guerre aux Arabes. » Ensuite il imposa sur les habitants un tribut de trois cent soixante esclaves. Ce même jour, Ocba fit partir cet homme [le roi] pour l'Orient, et sans perdre un instant, il prit la route des

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