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espèce d'outrage. Cette conduite scandaleuse des Ourfeddjouma et de leurs alliés nefzaouiens excita, dans la province de Tripoli, l'indignation des Berbères eibadites qui appartenaient aux tribus de Hoouara et de Zenata. Ils coururent aux armes, et ayant pris pour chef Abou-'l-Khattab-Abd-el-Ala-Ibn-es-Cheik-el-Mâferi, ils marchèrent sur Tripoli et en expulsèrent le gouverneur, Omar-Ibn-Othman, de la tribu de Coreich. Devenu maître de cette ville, Abou-'l-Khattab réunit tous les Zenata et Hoouara établis dans la province et marcha sur Cairouan. Il s'en empara, l'an 141 (758-9), après avoir tué Ibn-Abi-'l-Djâd et massacré une foule d'Ourfeddjouma et de Nefzaoua.

Quelque temps après, Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem devint gouverneur de Cairouan. Il tirait son origine du célèbre Rostem qui avait commandé l'armée persane à la bataille de Cadicïa1. D'abord néophyte des Arabes, il était devenu, dans la suite, chef d'une de ces sectes hérétiques. Abou-'l-Khattab s'en retourna à Tripoli, et comme le feu de la guerre s'était propagé dans tout le Maghreb, les Berbères devinrent maîtres d'une grande partie du pays.

En l'an 140 (727-8), les Sofrides de la tribu des Miknaça se rassemblèrent dans le Maghreb-el-Acsa, sous les ordres d'EïçaIbn-Yezîd-el-Asoued, et fondèrent la ville de Sidjilmessa pour leur servir de résidence.

Mohammed-Ibn-el-Achâth, qu'Abou-Djâfer-el-Mansour avait nommé gouverneur de l'Ifrîkïa, se rendait à sa destination quand il fut attaqué, près de Sort, par une armée berbère sous les ordres d'Abou-'l-Khattab. A la suite de la victoire prompte et sanglante qu'il remporta sur ses adversaires, il força Ibn-Rostem à s'enfuir de Cairouan. Ce chef courut jusqu'à Thèert, dans le Maghreb central, et ayant rassemblé les Eibadites de plusieurs tribus berbères telles que les Lemaïa et les Louata, ainsi qu'un nombre considérable de guerriers nefzaouiens, il se fixa dans cette localité et y bàtit la ville de Tèhert-la-Neuve. Ceci eut lieu en l'an 144 (761-2).

1. La bataille de Cadicïa fut livrée l'an 15 de l'hégire, et eut pour résultat la conquête de la Perse par les Arabes.

Ibn-el-Achâth était parvenu à frapper les Berbères d'épouva..le et à soumettre l'Ifrîkïa, quand les Beni-Ifren, tribu zenatienne, soutenus par les Berbères de la tribu de Maghîla, se rév 'tèrent dans la province de Tlemcen, et ayant choisi pour chef Abou-Corra l'Ifrénide, ou plutôt le Maghîlide, ils le proclamèrent khalife. Ceci se passa en 148. El-Aghleb-Ibn-Soudaet-Temîmi, gouverneur dé Tobna, marcha contre les rebelles, obligea Abou-Corra à prendre la fuite, et alla s'établir dans le Zab. Quelque temps après, il fit une tentative contre Tlemcen, et ensuite contre Tanger; mais ayant été abandonné par les milices de l'empire1, il se vit dans la nécessité de rebrousser chemin.

En l'an 151 (768-9), sous l'administration d'Omar-Ibn-HafsHezarmerd, de la famille de Cabiça, frère d'El-Mohelleb-IbnAbi-Sofra 2, les Berbères se révoltèrent à Tripoli et prirent pour chef Abou-Hatem-Yacoub, fils de Habib et petit-fils de MidyenIbn-Itouweft. Ce personnage, qui était un des émirs de la tribu de Maghîla, s'appelait aussi Abou-Cadem. Sous la conduite de leur nouveau chef, ils défirent les troupes qu'Omar-Ibh-Hafs envoya contre eux, et s'étant emparés de la ville de Tripoli, ils allèrent mettre le siège devant Cairouan. Les Berbères qui habitaient l'autre côté de la province se mirent alors en mouvement, de sorte que treize corps d'armée, levés chez eux, parurent à la fois sous les murs de Tobna et y assiégèrent Omar-Ibn-Hafs. Dans cet attroupement immense, on remarqua Abou-Corra à la tête de quarante mille Sofrites, Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem avec un corps de six mille Eibadites, El-Miçouer-Ibn-Hani avec dix mille des mêmes sectaires, Djerîr-Ibn-Masoud avec ses parti

1. Après la conquête de la Syrie par les premiers musulmans, ce pays fut partagé en cinq arrondissements dans lesquels on établit plusieurs fractions des grandes tribus arabes. Ces colonies militaires s'appelaient djonds parce qu'elles étaient tenues de fournir des troupes ou milices (djond) pour le service du khalifat. Il existait d'autres djonds en Irac, en Khoraçan et en Égypte.

2. El-Mohelleb, fils d'Abou-Sofra, était gouverneur du Khoraçan, sous le règne du khalife Abd-el-Mélek-Ibn-Merouan. Il se rendit illustre par sa bravoure, sa prudence et sa libéralité.

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sans de la tribu de Mediouna, et Abd-el-Mélek-Ibn-Sekerdîd-esSanhadji avec une troupe de deux mille Sofrites sanhadjiens. Omar-Ibn-Hafs, se voyant cerné de toute part, chercha à semer la désunion parmi les assiégeants, et comme les Beni-Ifren, tribu zenatienne, étaient plus à redouter que tous les autres Berbères, tant par leur nombre que par leur bravoure, il acheta la neutralité de leur chef, Abou-Corra, au prix de quarante mille (dirhems) '. Il en donna quatre mille de plus au fils de cet émir pour le récompenser d'avoir conduit à bonne fin cette négociation. Les Beni-Ifren s'éloignèrent alors de Tobna, et IbnRostem, voyant ses troupes attaquées et mises en déroute par un détachement de la garnison d'Omar-Ibn-Hafs, s'empressa de ramener à Tèhert les débris de son armée. Omar marcha alors contre les Berbères eibadites commandés par Abou-Hatem, et aussitôt qu'ils eurent quitté leurs positions pour aller à sa rencontre, il profita de ce faux mouvement et se jeta dans Cairouan. Ayant approvisionné cette ville où il laissa aussi une forte garnison, il alla livrer bataille à Abou-Hatem, mais, dans cette rencontre, il essuya une défaite qui l'obligea à rentrer dans Cairouan. L'armée berbère-eibadite, forte de trois cent cinquante mille hommes, dont trente-cinq mille cavaliers, cerna aussitôt la ville et la tint étroitement bloquée ?.

1. La valeur moyenne du dirhem peut être fixée à douze sous; et celle du dinar d'or à dix francs.

2. Notre auteur, en écrivant ceci, aurait dû se rappeler ses propres paroles : « Rien n'est plus fréquent, a-t-il dit dans ses Prolégomènes, que de voir les annalistes, les commentateurs et les écrivains qui ne font que copier ce que d'autres ont raconté, commettre de graves méprises dans le récit des événements, parce qu'ils se sont habitués à admettre avec une confiance aveugle ce que d'autres leur avaient transmis, sans le juger par les règles de la saine critique et sans épurer les récits qu'ils adoptent par de profondes et mûres réflexions. Il est arrivé de là qu'ils se sont égarés dans le vaste champ de l'erreur et des vaines imaginations, surtout en matière de nombres, comme, par exemple, quand, dans le cours d'un récit, il s'est agi de déterminer le montant des richesses de tel ou tel personnage, ou la force des armées. C'est en ces matières qu'il est très facile de se laisser aller au mensonge et à l'exagération. (Voyez la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, tome I, page 371.)

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En l'an 154 (771), Omar-Ibn-Hafs perdit la vie dans un des combats qui marquèrent ce long siège. Abou-Hatem fit alors un traité de paix avec la garnison de Cairouan à des conditions très avantageuses pour elle, et il marcha sur le champ contre Yezid, [fils de Hatem,] fils de Cabîça-Ibn-el-Mohelleb, qui venait [de l'Orient pour prendre le gouvernement de l'Ifrîkïa. L'ayant rencontré près de Tripoli, il osa lui livrer bataille, bien qu'il avait été abandonné par son allié Omar-Ibn-Othman-el-Fihri et que la discorde s'était mise parmi ses Berbères. Aussi son armée futelle mise en pleine déroute et il y trouva lui-même la mort.

Abd-er-Rahman, fils de Habib et petit-fils d'Abd-er-Rahman, se réfugia chez les Ketama, après la défaite de son collègue Abou-Hatem. Bloqué pendant huit mois par Mokharec-IbnGhifar, de la tribu de Taï, il succomba à la fin et mourut avec tous les Berbères qui lui étaient restés fidèles.

Les débris de ce peuple s'enfuirent alors de tout côté, eux qui, depuis l'époque où ils assiégèrent Omar-Ibn-Hafs dans Tobna jusqu'au moment où cette guerre prit fin 1, avaient livré trois cent soixante-quinze combats aux troupes de l'empire.

Arrivé en Ifrîkïa, Yezid y rétablit l'ordre et restaura la ville de Cairouan. Le pays continua à jouir des avantages de la paix jusqu'à l'an 157 (773-4) quand les Ourfeddjouma se révoltèrent de nouveau et prirent pour chef un membre de leur tribu, nommé Abou-Zerhouna2. Yezîd envoya contre eux son parent Ibn-Mihratel-Mohellebi. Comme cet officier se laissa battre par eux, Mohelleb, fils de Yezîd et gouverneur du Zab, de Tobna et [du pays] des Ketama, demanda à son père l'autorisation de marcher contre les rebelles. Yezid y consentit et lui fournit un corps de renforts commandé par El-Alâ-Ibn-Saîd-Ibn-Merouan-el-Mohellebi, autre membre de la même famille. Le fils de Yezîd s'étant alors mis en campagne, fit des Ourfęddjouma un massacre épouvantable.

1. Le texte arabe imprimé et les manuscrits offrent ici une phrase très incorrecte. Il faut lire kital à la place de ketl et insérer le mot ilfiten après inkidâ.

2. Variantes: Zerdjouna, Rezhouna,

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En l'an 161 (777-8), quelque temps après la mort de Yezîd et sous l'administration de son fils Dawoud, les Nefzaoua se révoltèrent, et ayant élu pour chef un membre de leur tribu, le nommé Saleh-Ibn-Noceir, ils sommèrent leurs voisins d'embrasser la doctrine des Eibadites. Dawoud envoya contre eux son cousin, Soleiman-Ibn-es-Somma, à la tête de dix mille hommes. Cegénéral força les rebelles à prendre la fuite et leur tua beaucoup de monde. Saleh ayant alors rappelé sous les drapeaux tous les Berbères eibadites qui n'avaient pas assisté au premier soulèvement, les réunit tous à Sicca-Veneria, mais Soleiman remporta sur eux une nouvelle victoire et revint ensuite à Cairouan.

Dès ce moment, l'esprit d'hérésie et de révolte qui avait si longtemps agité les Berbères de l'Ifrîkïa, se calma tout à fait, et les nouveautés dangereuses dont ces peuples avaient fait profession disparurent bientôt pour ne laisser plus de trace.

En l'an 171 (787-8), Abd-el-Ouehhab-Ibn-Rostem, seigneur de Tehert, demanda la paix au gouverneur de Cairouan, Rouh, fils de Hatem, fils de Cabîça- el-Mohellebi. En accueillant cette proposition, Rouh porta le dernier coup à la puissance des Berbères et soumit enfin leurs cœurs à l'empire de la vraie religion et à l'autorité arabe. L'islamisme prit alors chez eux une assiette ferme, et la domination des Arabes moderides les accabla de tout son poids.

En l'an 185 (801), Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb de la tribu de Temîm fut nommé gouverneur de l'Ifrîkïa et du Maghreb par Haroun-er-Rechîd, et étant parvenu à y raffermir son autorité, il se dévoua au soin d'y faire fleurir la justice et de porter remède aux maux qui avaient affligé le pays. Ayant réussi à mettre d'accord tous les partis et à gagner tous les cœurs, il finit par jouir d'une puissance absolue, sans encourir ni opposition ni haine. L'empire qu'il fonda devint l'héritage de ses enfants, et les provinces d'Ifrikia et de Maghreb se transmirent d'une génération de sa famille à une autre jusqu'à ce que la domination arabe fut renversée en ces pays et que Ziadet-Allah, le dernier souverain de cette dynastie, s'enfuit en Orient, l'an 296 (908-9), devant les armes victorieuses de la tribu de Ketama.

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