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Ils citent encore les vers suivants, tirés d'un poème composé par Yezîd-Ibn-Khaled à la louange des Berbères :

O toi qui désires connaître nos aïeux! [descendants de] CaïsGhailan, nous sommes les enfants de la noblesse la plus ancienne.

Tant que nous vivrons, nous serons fils de Berr le généreux, rejetons d'une souche enracinée dans le sol de la gloire.

Berr s'est élevé un édifice de gloire dont l'éclat rejaillit au loin, et il nous a garantis contre les malheurs les plus graves. Berr réclame Caïs pour aïeul; et certes Caïs peut réclamer parenté avec Berr.

La gloire de Caïs est la nôtre; il est notre grand aïeul, le même qui sut briser les chaînes des captifs.

Caïs, Caïs-Ghailan, est la source du vrai honneur et notre guide vers la vertu.

En fait de bonté [Berr], que le Berr de notre peuple te sufils ont subjugué la terre avec la pointe de la lance.

fise;

Et avec des épées qui, dans les mains de nos guerriers ardents, abattent les têtes de ceux qui méconnaissent le bon droit.

Portez aux Berbères, de ma part, un éloge brodé avec les perles de la poésie la plus exquise 1.

Voici un récit provenant des généalogistes berbères et reproduit par El-Bekri et d'autres auteurs : « Moder avait deux fils: >> El-Yas et Ghailan. Leur mère, Er-Rebab, était fille de HîdaIbn-Amr-Ibn-Mâdd-Ibn-Adnan. Ghailan, fils de Moder, en>>> gendra Caïs et Dehman. Les enfants de Dehman sont peu >> nombreux et forment une famille caïside à laquelle on donne le nom de Beni-Amama. Dans cette maison naquit une fille

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qui porta le nom d'El-Beha, fille de Dehman. Quant à Caïs, >> fils de Ghailan, il engendra quatre fils: Sâd, Amr, Berr et

1. Les morceaux de vers cités ici sont en fort mauvais arabe. Celte circonstance, jointe au décousu des idées et aux incorrections grammaticales qui les caractérisent, indique suffisamment qu'ils ont été fabriqués par des Berbères peu instruits, qui croyaient pouvoir relever l'honneur de leur nation en lui attribuant une origine arabe.

>> Tomader, dont les deux premiers naquirent de Mozna, fille >> d'Aced-Ibn-Rebiâ-Ibn-Nizar, et les deux derniers de Tamzigh, » fille de Medjdel-Ibn-Medjdel-Ibn-Ghomar-Ibn-Masmoud. >> A cette époque, les tribus berbères habitaient la Syrie, et » ayant les Arabes pour voisins, ils partageaient avec eux la jouissance des eaux, des pâturages, des lieux de parcours, et » s'alliaient à eux par des mariages. Alors Berr, fils de Caïs, » épousa sa cousine, El-Beha, fille de Dehman, et encourut » ainsi la jalousie de ses frères. Tamzigh, sa mère, femme » d'une grande intelligence, craignant qu'ils ne le tuassent, >> avertit secrètement ses oncles maternels et partit avec eux » et son fils et son mari, pour la terre des Berbères, peuple » qui habitait alors la Palestine et les frontières de la Syrie. >> El-Beha donna à Berr-Ibn-Caïs deux enfants, Alouan et » Madghis. Le premier mourut en bas âge, mais Madghis >> resta. Il portait le surnom d'El-Abter et était père des » Berbères-Botr. Toutes les tribus zenatiennes descendent de. » lui. »

Les mêmes historiens disent que Madghis, fils de Berr, et surnommé El-Abter, épousa Amlel, fille de Ouatas-Ibn-Medjdel-Ibn-Medjdel-Ibn-Ghomar, et qu'il eut d'elle un fils surnommé Zahhîk [ou Zeddjîk] -Ibn-Madghis.

Abou-Omer-Ibn-Abd-el-Berr dit, dans son ouvrage intitulé Kitab-et-Temhid (Classification des généalogies): « Une grande » diversité d'opinion existe au sujet des origines berbères ; mais » la plus probable est celle qui représente ce peuple comme » les enfants de Cobt, fils de Ham. Quand [Cobt] se fut établi >> en Egypte, ses fils en sortirent1 pour aller vers l'occident (Maghreb), et ils prirent pour habitation le territoire qui s'étend de» puis la frontière de l'Egypte jusqu'à l'océan Vert [l'Atlantique] » et la mer de l'Andalousie, en passant derrière Barca, et en se prolongeant jusqu'à la limite du grand Désert. De ce côté ils » se trouvèrent dans le voisinage immédiat des peuples nègres. » Une de leurs familles, les Louata, occupa le territoire de

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1. Le texte arabe porte: son fils sortit. Voy. ci-devant, p. 163, note 1.)

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Tripoli; et une autre peuplade, les Nefza, s'établirent auprès » de cette ville. De là, ils s'avancèrent jusqu'à Cairouan, et passèrent en avant jusqu'à ce qu'ils parvinrent à Téhert, » à Tanger, à Sidjilmessa et au Sous-el-Acsa. Ces populations >> étaient des Sanhadja, des Ketama, des Dokkala, branche des Ouerglaoua [ou Zeglaoua], des Fetouaka, branche des Hes» koura, et des Meztaoua. >>

>>

Quelques investigateurs de l'antiquité racontent que Satan ayant semé la discorde entre les enfants de Cham et ceux de Sem, plusieurs conflits eurent lieu entre les deux races, et la guerre se termina par le triomphe de Sem et de ses fils. Cham s'en alla vers l'ouest (Maghreb) et entra en Egypte. Après la disper sion de ses enfants, il continua sa route vers le Maghreb etatteignit le Sous-el-Acsa. Ses enfants allèrent à sa recherche, et chacune de leurs bandes parvint à un endroit différent. N'ayant plus entendu parler de lui, ils s'établirent dans ces endroits et s'y multiplièrent. [Chaque] troupe de gens qui arriva chez eux y fixa son séjour et s'y multiplia aussi.

El-Bekri rapporte que Cham vécut 443 ans, mais d'autres historiens lui donnent 531 ans.

« Yémen, dit Es-Soheili, est la même personne que Yarob, >> fils de Cahtan. Ce fut lui qui exila les enfants de Cham dans », le Maghreb après qu'ils eurent été les tributaires de Cout, » fils de Japhet. »

FIN DE L'EXPOSITION DES DIVERSES OPINIONS AU SUJET

DE L'ORIGINE DES BERBÈRES.

Sachez maintenant que toutes ces hypothèses sont erronées et bien éloignées de la vérité. Prenons-en d'abord celle qui représente les Berbères comme enfants d'Abraham, et nous en reconnaîtrons l'absurdité en nous rappelant qu'il n'y avait entre David (qui tua Goliath, contemporain des Berbères), et Isaac, fils d'Abraham et frère de Yacsan, le prétendu père des Berbères, qu'à peu près dix générations, ainsi que nous l'avons dit dans la première partie de cet ouvrage. Or, on ne saurait guère suppo

ser que, dans cet espace de temps, les Berbères eussent pu se multiplier au point qu'on le dit.

L'opinion qui les représente comme les enfants de Goliath ou Amalécites, et qui les fait émigrer de la Syrie, soit de bon gré soit de force, est tellement insoutenable qu'elle mérite d'être rangée au nombre des fables. Une nation comme celle des Berbères, formée d'une foule de peuples et remplissant une partie considérable de la terre, n'a pas pu y être transportée d'un autre endroit, et surtout d'une région très bornée. Depuis une longue suite. de siècles avant l'islamisme, les Berbères ont été connus comme habitants du pays et des régions qui leur appartiennent de nos jours, et ils s'y distinguent encore aux marques spécifiques qui les ont toujours fait reconnaître. Mais pourquoi nous arrêter aux sornettes que l'on a ainsi débitées au sujet des origines berbères? il nous faudrait donc subir la nécessité d'en faire autant, chaque fois que nous aurions à traiter d'une race ou d'un peuple quelconque, soit arabe, soit étranger? L'on a dit qu'Ifricos transporta les Berbères [en Afrique]; puis ils racontent qu'il les trouva déjà dans ce pays, et qu'étant étonné de leur nombre et de leur langage barbare, il s'écria : Quelle berbera est la vôtre ? comment aura-t-il donc pu les y transporter? Si l'on suppose qu'ils y avaient déjà été transportés par Abraha-Dou-'l-Menar, ainsi que quelques-uns l'ont dit, on peut à cela répondre qu'il n'y avait pas entre ce prince et Ifricos assez de générations pour que ce peuple eût pu se multiplier au point [d'exciter l'étonnement de celui-ci].

Quant à l'hypothèse de ceux qui les prennent pour des Himyerites de la famille de Noman, ou pour des Modérites de la famille de Caïs-Ibn-Ghailan, elle est insoutenable, et a déjà été réduite à néant par le chef des généalogistes et des savants, Abou-Mohammed-Ibn-Hazm, qui a consigné dans son Djemhera l'observation suivante: « Quelques peuplades berbères veulent faire » accroire qu'elles viennent du Yémen et qu'elles descendent de >> Himyer; d'autres se disent descendues de Berr, fils de Caïs ; >> mais la fausseté de ces prétentions est hors de doute : le fait de » Caïs ayant eu un fils nomm: Berr est absolument inconnu à

» tous les généalogistes; et les Himyerites n'eurent jamais >> d'autre voie pour se rendre en Maghreb que les récits men>> songers des historiens yémenites. »

Passons à l'opinion d'Ibn-Coteiba. Cet auteur les déclare enfants de Goliath, et il ajoute que celui-ci était fils de Caïs-IbnGhailan: bévue énorme! En effet, Caïs fils du Ghailan descendait de Mâdd, lequel était contemporain de Nabuchodonosor, comme nous l'avons constaté ailleurs, et avait été emporté en Syrie par le prophète Jérémie auquel la volonté divine avait révélé l'ordre de le sauver des fureurs de ce conquérant qui venait de subjuguer les Arabes'. Ce Nabuchodonosor est le même qui détruisit le temple de Jérusalem bâti par David et Salomon, environ quatre cent cinquante ans auparavant. Donc Mâdd a dû être postérieur à David d'environ ce nombre d'années; comment, alors, son fils Caïs aura-t-il pu être le père de Goliath, contemporain de David? cela est d'une absurdité si frappante que je le regarde comme un trait de négligence et d'inattention de la part d'Ibn-Coteiba.

Maintenant le fait réel, fait qui nous dispense de toute hypothèse, est ceci : les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé, ainsi que nous l'avons déjà énoncé en traitant des grandes divisions de l'espèce humaine. Leur aïeul se nommait Mazigh; leurs frères étaient les Gergéséens (Agrikech); les Philistins, enfants de Casluhim, fils de Misraïm, fils de Cham, étaient leurs parents. Le roi, chez eux, portait le titre de Goliath (Djalout). Il y eut en Syrie, entre les Philistins et les Israélites, des guerres rapportées par l'histoire, et pendant lesquelles les descendants de Canaan et les Gergéséens soutinrent les Philistins contre les enfants d'Israël. Cette dernière circonstance aura probablement induit en erreur la personne qui représenta Goliath comme Berbère, tandis qu'il faisait partie des Philistins, parents des Berbères. On ne doit admettre aucune autre opinion que la nôtre; elle est la seule qui soit vraie et de laquelle on ne peut s'écarter.

1. Voyez sur la légende de Jérémie et Mâdd l'Essai de M. C. de Perceval, tome I, pages 181 et suiv. C'est de Taberi qu'Ibn-Khaldoun

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a emprunté ce renseignement controuvé.

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