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alhinen, êtres surnaturels, auxquels l'imagination donne la forme humaine, avec des cornes, une queue et du poil pour vêtements.

D'après la tradition orientale, les génies sont partout, mais chez les Touareg Azdjer, les álhinen occupent un pâté de montagnes isolées qui leur est entièrement abandonné et où nul n'oserait pénétrer.

Cette montagne est située sur la route des caravanes de Ghadamès à Rhât, près la chaîne de l'Akákoús, à 30 kilomètres au Nord de Rhât. Les Arabes l'appellent Qaçar-el-Djenoûn, les Touareg Idinen.

Ce palais enchanté, dont on distingue tous les détails de la route, est composé d'une série d'énormes blocs de pierres lavées par les eaux et représentant les formes les plus bizarres. Pour peu que l'imagination vienne vivifier ces masses inertes, on y voit des temples, des fortifications, des tours, des châteaux, tout ce que l'on veut. (Voir la planche ci-contre.)

On raconte qu'un individu ayant cherché à y entrer par la gouttière d'écoulement des eaux, y trouva, au centre, un cimetière de grands tombeaux de païens, djohála, qui lui inspira une frayeur à le faire rebrousser chemin.

Une plantation de palmiers, affirme-t-on, existerait dans l'inté rieur de ces montagnes qui ont la forme d'un fer à cheval. On aurait la preuve de ce fait par les troncs de palmiers trouvés, à l'époque des grandes pluies, dans les eaux qui descendent d'ldinen dans le lit du Tanezzouft.

M. le docteur Barth a entrepris d'explorer la montagne d'Idinen, mais nul targui n'a voulu l'y accompagner. Sans guide, il s'est perdu, et, sans eau, sans vivres, sous un ciel ardent, il a failli périr de soif et de faim, à ce point qu'il a dù ouvrir une de ses veines pour en boire le sang. Bien qu'il n'y eût rien que de naturel dans le grave danger couru par l'intrépide voyageur, les Touareg y voient une preuve de plus de l'impossibilité de pénétrer impunément dans le domaine des génies.

Quand j'ai témoigné à Ikhenoùkhen le désir de visiter la montagne d'Idînen, il en fut aussi effrayé que s'il s'était agi de la chose la plus difficile du monde. Je n'insistai pas.

Inutile de dire que M. le docteur Birth, qui a parcouru en détail les monts Idinen, n'y a trouvé ni cimetière, ni palmiers.

Chez les Ahaggår, le mont Oudân est aussi abandonné aux âlhînen et nul n'y pénètre. Les génies qui l'habitent auraient, dit-on,

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D'après les profils relevés à la boussole par M. H. Duveyrier.

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l'humeur batailleuse, car on raconte qu'ils viennent attaquer leurs frères, chez les Azdjer, et qu'on entend parfois le bruit de leurs combats.

Chez les Touareg d'Aïr, les génies occupent une oasis enchantée que personne ne connaissait lorsque la découverte en fut faite de la manière suivante :

Un targui de la vallée de l'Ouâdi-Tâfasâsset, après avoir abreuvé ses chameaux aux puits de son campement, les conduisit au pâturage dans un désert du côté du pays des Teboû, où il les abandonna," selon l'habitude, les chameaux revenant toujours vers les puits quand ils ont soif. Cette fois, les chameaux furent très-longtemps à reparaître, et quand ils rentrèrent leurs crottins étaient pleins de noyaux de dattes.

D'où venaient-ils donc ? on ne connaissaît pas de dattiers dans le pays.

Intrigué de cette découverte, le propriétaire des chameaux suivit leurs traces. Elles le conduisirent au milieu des sables, à une plantation de dattiers arrosés par des sources. I mangea des dattes, en remplit une outre, après quoi il monta un de ses chameaux pour regagner sa demeure.

Quel ne fut pas son étonnement, quand, après avoir voyagé toute la nuit, il se retrouva, au point du jour, à la source qu'il avait quittée la veille!

Peut-être l'obscurité l'a-t-elle empêché de reconnaître sa route? Il se remet en marche et voyage tout le jour. Au soir, il est encore au même point.

A bon entendeur, salut! Notre targui a compris que le génie conservateur de la plantation ne veut pas qu'il emporte des dattes. Il vide donc son outre et repart; mais, après une longue marche, la source fatale est encore là. Alors le targui fouille son bagage, et il y trouve une datte oubliée. C'est là la cause de l'enchantement. Il la jette, se remet en route et arrive enfin pour raconter à ses contribules l'histoire de ses mésaventures.

Personne n'a mis en doute son récit, mais nul n'est allé à la recherche de l'oasis enchantée.

Il y a probablement aussi un territoire réservé aux alhinen chez les Aouélimmiden, de sorte qu'il y aurait, dans chaque grande fraction targuie, une tribu de génies correspondant à chacune d'elles.

En voyant, au XIXe siècle, les Touareg assigner, au milieu de leurs campements, un territoire aux génies, et respecter ce territoire comme inviolable, on est tout étonné de retrouver une tradition qui remonte aux premiers âges de l'histoire.

Pomponius Mela place dans les montagnes, aujourd'hui occupées par les Touareg, « des peuples plus qu'à demi sauvages, qui méri<< tent à peine qu'on les mette au rang des hommes et qu'on nomme « les Égipanes, les Blemyens, les Gamphasantes et les Satyres, qui, « n'ayant ni feu ni lieu, ne font qu'errer d'un endroit à l'autre sans « s'arrêter nulle part.

« Les Gamphasantes sont nus; les Blemyens n'ont pas de tête, « leur visage étant placé sur leur poitrine: les Satyres n'ont rien « de l'homme que la figure. Les Égipanes sont faits comme on le << dit communément. »>

Depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, la somme des connaissances sur ces êtres surnaturels s'est beaucoup agrandie, car on ne serait pas embarrassé de trouver aujourd'hui dans les bibliothèques des zaouiya bien des volumes, œuvres d'hommes graves, qui donnent les détails les plus intimes sur la vie des génies, leurs divisions en nations, en tribus, leurs mœurs, leurs coutumes, etc., etc. L'imagination de l'homme ne recule devant rien, quand il s'agit de mystères.

Dans toute l'Afrique, il n'y a pas un individu, éclairé ou ignare, instruit ou illettré, qui n'attribue aux génies tout ce qui arrive d'extraordinaire sur la terre.

Chez les Touareg, cette croyance est tellement puissante qu'ils ne veulent jamais passer la nuit sous un toit, dans la crainte de s'y trouver emprisonné par les alhinen: aussi, mettre un targui en prison est presque le condamner à mourir de peur.

Toute maladie nerveuse épilepsie, catalepsie, convulsion, etc., est réputée prise de possession par les génies; pour les conjurer d'évacuer la place, on a recours aux exorcismes les plus étranges.

L's Touareg croient aussi aux sorciers, aux enchanteurs, auxquels ils attribuent le pouvoir de métamorphoser les hommes en bêtes. Tout voyageur européen, par le seul fait qu'il ose aborder des pays inconnus, est réputé quelque peu sorcier. Aussi El-Hadj-el-Amîn, le cheikh de Rhât, évitait-il mes regards avec le plus grand soin, dans la crainte de tous les dangers possibles.

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